L’ICASA: ensemble pour une Afrique sans VIH
Christian Losambe, SJ – Cité du Vatican
«La Conférence Internationale sur le Sida et les Infections Sexuellement Transmissibles en Afrique (ICASA) est une conférence internationale bilingue majeure qui se déroule en Afrique». Sa tenue biennale est alternée entre les pays africains francophones et anglophones. Organisée par la Société Africaine Anti-SIDA, en collaboration avec l’ONUSIDA, l’ICASA se déroule depuis 30 ans pour mitiger la propagation et atténuer l’impact du VIH/SIDA, la tuberculose, le paludisme et leurs effets néfastes sur les structures africaines, envisageant un continent où les stigmatisations contre les personnes vivants avec VIH (PVVIH) et leurs familles n’auront pas de place. Cette structure vise aussi la justice sociale et l’équité en ce qui concerne l’accès aux traitements, aux soins et la prise en charge. Dans cette optique, le thème retenu cette année par l’ICASA a été: «Le SIDA est toujours là: Éliminons les inégalités, accélérons l’inclusion et l’innovation».
Dans un entretien accordé à Radio Vatican, le prêtre jésuite congolais Ismaël Matambura, participant à la 22ème édition de l’ICASA à Harare, en a situé le contexte et fait part des objectifs assignés ainsi que des résolutions prises à l’issue de cette conférence. En outre, en tant que directeur du Réseau jésuite africain contre le SIDA, il a présenté quelques stratégies mises en place par AJAN dans la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles.
Une lutte entravée par les impacts du COVID-19
L’ICASA, a souligné le directeur d’AJAN, «représente une belle occasion pour les chercheurs et cliniciens du monde entier de partager les dernières avancées scientifiques, d’apprendre des expériences et de l’expertise de chacun et d’élaborer des stratégies pour faire aboutir toutes les facettes des efforts collectifs mondiaux pour mettre fin au SIDA en Afrique et dans le monde d’ici 2030». Il a souligné que la tenue de cette conférence intervient un an après le rapport mondial sur le SIDA, publié par ONUSIDA en 2022, qui a révélé les effets potentiellement catastrophiques du COVID-19 sur les systèmes de santé liés au VIH à travers le monde, si ces derniers ne sont pas renforcés.
Face aux progrès hésitants, à la diminution des ressources, aux inégalités qui se creusent et au manque d’innovation, le père Matambura a précisé que c’est en fonction de ce contexte que l’ICASA, cette année, s’est assigné comme objectifs «d’englober non seulement la lutte contre le VIH, mais aussi d’autres maladies connexes telles que la tuberculose, les hépatites, le paludisme et d’autres maladies infectieuses». De façon plus concrète, a-t-il poursuivi, «l’ICASA vise à intégrer le respect, l’équité, l’inclusion et la diversité dans le contrôle et l’atténuation de l’impact de ces maladies; et à consolider et accroître les ressources financières pour répondre aux besoins énormes des communautés».
Le SIDA est encore présent
«Le SIDA est encore là», a déclaré le jésuite congolais. «Lorsque vous regardez les données épidémiologiques fournies par l'ONUSIDA cette année 2023, nous voyons qu'il y a encore des personnes qui sont infectées du VIH. Actuellement, pour toute l’Afrique subsaharienne, plus de 20 millions de personnes vivent avec le VIH. Et malheureusement, les personnes qui sont plus touchées dans ces nouvelles infections, ce sont les jeunes de moins de 24 ans», a-t-il expliqué. Toutefois, a-t-il souligné, «il faudrait éliminer les inégalités, accélérer l’inclusion de chacun et construire sur l’innovation pour en finir avec le VIH d’ici 2030».
Des résolutions prises à plusieurs niveaux
A l’issue de la 22ème édition de l’ICASA, plusieurs résolutions, en termes de recommandations, ont été prises. Le directeur d’AJAN en a mentionné quelques-unes, qu’il a réparties sous trois angles. Tout d’abord, du point de vue biologique et pathologique, il a attesté que «les participants à cette conférence ont exprimé le besoin de développer des vaccins contre les hépatites, les IST, voire contre le SIDA». Ensuite, sous un aspect clinique et scientifique, compte tenu de l’écart observé entre la prise en charge des adultes et des enfants, un appel a été lancé à s’investir davantage dans ce secteur, à protéger et améliorer la qualité du traitement chez les enfants.
«Il y a aussi besoin de se focaliser davantage sur les personnes à haut risque, entre autres les jeunes, les personnes âgées et les homosexuels, ainsi qu’intégrer d’autres maladies telles que le cancer de l’utérus chez les femmes et les maladies mentales et cardiovasculaires», a ajouté le père Matambura. En outre, il a souligné que «penser avoir des assurances universelles de santé pourrait grandement favoriser l’accès de tous à des soins appropriés». Enfin, du point de vue social, les participants ont été exhortés à s’engager dans la lutte contre la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH dans les pays africains.
Quelques difficultés éprouvées par AJAN
En tant que directeur du Réseau jésuite africain contre le SIDA, qui travaille en collaboration avec la Société Africaine Anti-SIDA, le père Matambura a mentionné quelques difficultés que rencontre cette structure de la Compagnie de Jésus, dans le cadre de la prévention et de la sensibilisation contre les IST. D’emblée, le prêtre jésuite a relevé le problème de relâchement observé particulièrement chez les jeunes, en termes de formation et même de comportement adopté face au VIH. «Il n’y a plus ce qu’on avait une dizaine d’années avant: des forums et des sessions de sensibilisation à grande échelle sur cette maladie. Cela crée des problèmes et fait que les jeunes soient plus exposés », a-t-il déploré.
En outre, «la misère dans les pays africains rend la lutte très difficile en favorisant des anti-valeurs», a poursuivi le père Matambura. «Il y a des gens qui s’engagent dans la prostitution et passent des rapports sexuels transactionnels, contre tel ou tel autre service, ce qui exacerbe les cas de violences juvéniles», a-t-il précisé. Il a, par ailleurs, souligné que l’enclavement en milieux africains empêchent les interventions d’AJAN à cause la difficulté d’accès. Il en résulte que plusieurs personnes demeurent en danger faute de services de santé nécessaires.
Le père Matambura a affirmé que le manque de ressources financières devant des besoins grandissants, demeure l’une des grandes difficultés, sans oublier la pastorale des jeunes qui, selon lui, «n’est pas toujours bien organisée dans nos ministères, au niveau de la Compagnie de Jésus comme ailleurs».
AJAN s’engage à «confier le leadership aux communautés»
Le thème retenu cette année pour la Journée mondiale de lutte contre le VIH a été intitulé: «Confier le leadership aux communautés». Le directeur d’AJAN a exprimé sa joie de voir que cette vision de l’ONUSIDA et de l’OMS rejoint celle du Réseau jésuite africain de lutte contre le SIDA. Dans cette optique, le but poursuivi par cette structure jésuite est de donner pouvoir aux communautés puisque, selon le prêtre, celles-ci connaissent mieux leurs problèmes.
S’appuyant sur la force que représentent les jeunes, le père Matambura a souligné que des actions sont initiées et exécutées par eux, avec l’aide des différents centres en relation avec AJAN. «Et donc, puisque nous avons compris qu'avec les jeunes, ils ont beaucoup de talents, ils ont beaucoup de potentialités que nous pouvons justement utiliser pour arriver à trouver telle ou telle autre solution à un problème précis, nous continuons à travailler dans ce domaine-là, afin de leur donner davantage les outils nécessaires pour arriver à lutter contre la pauvreté chez eux», a-t-il expliqué. «Nous voulons, en outre, davantage intégrer la technologie existante dans notre stratégie de partage de formation avec les jeunes et les autres personnes avec qui nous travaillons», a-t-il poursuivi.
Un appel à promouvoir les valeurs
Au terme de l’entretien, le directeur d’AJAN a reconnu que d’énormes progrès ont été réalisés dans la lutte contre le VIH. Cependant, plusieurs efforts restent à fournir. Il a invité, surtout les jeunes africains, à promouvoir les valeurs qui puissent aider dans ce sens. «En Afrique, nous avons des valeurs, dans nos traditions, et même des valeurs religieuses qui sont très importantes dans la formation du caractère et dans le changement de comportement. Promouvoir les valeurs serait un élément majeur dans la lutte contre le VIH», a-t-il exhorté.
La lutte contre SIDA, une affaire de tous
Par ailleurs, le père Matambura a lancé un appel aux gouvernements des pays africains, aux Nations Unies et à tous les partenaires du Réseau jésuite africain contre le SIDA, «de prendre au sérieux les confessions religieuses, puisque qu’elles ont accès à toutes les catégories de la population, même là où l'État n'est pas présent». «Nous sommes appelés aussi à lutter contre la stigmatisation des confessions religieuses, à les intégrer, dans cette lutte pour qu'ensemble, nous puissions trouver des solutions durables», a-t-il conclu en soulignant que nous sommes tous concernés puisque, «même si nous ne sommes pas infectés, nous restons tous affectés du fait d’être tous insérés dans des communautés ravagées par le VIH».
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