Cap sur la Lune: les dessous d’un engouement planétaire
Alexandra Sirgant - Cité du Vatican
Le 20 janvier 2024, le Japon rejoignait le groupe très restreint de pays ayant réussi à se poser sur la Lune. Un alunissage historique pour l’agence spatiale japonaise Jaxa, mais aussi une prouesse technologique mondiale, le module spatial japonais SLIM s’étant posé à 55 mètres de sa cible, soit à un très haut degré de précision. Le Japon devenait ainsi la cinquième puissance spatiale, derrière les États-Unis, l’URSS, la Chine et l’Inde.
Ces dernières années, les missions lunaires se sont multipliées. En août 2023, c’est l’Inde qui réussissait l’alunissage de son robot sur le satellite naturel, quelques jours seulement après l’échec de la sonde russe Luna–25, et suivi de près par deux tentatives nippones infructueuses. Ce regain d’intérêt de la part des puissances spatiales pour la Lune s’ajoute aux ambitions toujours plus grandes du secteur privé, le dernier exemple en date étant la mission lunaire Peregrine Mission One, attribuée par la Nasa à la société américaine Astrobotic Technology. Début 2024, après un décollage réussi, l’entreprise privée a finalement échoué à poser son premier engin sur la Lune, signe de l’immense défi technologique que continue de représenter cette opération.
Pas de «course à la Lune», mais une conquête de «l’espace pour l’espace»
Selon Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’occupation de l’espace et des politiques spatiales, nous sommes entrés dans une nouvelle ère spatiale qui dépasse la simple exploration scientifique ou la prouesse technologique. Pourtant, la géographe refuse d’employer la formule «course à la Lune», inadaptée pour décrire l’engouement actuel pour l’unique satellite naturel de la Terre. «Je rappelle que les États-Unis ont posé des humains sur la Lune en 1969, alors que la Chine a un programme lunaire qui se met en place dans le milieu des années 2010, donc on est véritablement avec des décalages très importants qui correspondent à des capacités technologiques et industrielles très différentes», rectifie la chercheuse. «Il faut bien distinguer les dates auxquelles ces programmes ont été lancés, les ambitions qu’ils recouvrent et le fait que les arrivées se font effectivement dans une période assez resserrée depuis 2022».
En revanche, la géographe parle d’un «tournant» dans l’activité spatiale, qui n’est «plus seulement une activité autour de la Terre et destinée à la Terre», mais une démarche «de l’espace pour l’espace!». «On va avoir des échanges Terre-Lune qui vont s’établir d’une manière qu’on ne connaissait pas jusqu’à maintenant!», ajoute-t-elle.
De la guerre froide à nos jours
Le qualificatif «course à la Lune» renvoie encore aujourd’hui à celle de la guerre froide. «On était dans une logique d’affrontement de deux blocs», explique Isabelle Sourbès-Verger, avant d’ajouter qu’«aujourd’hui on ne peut pas parler de course puisque personne n’a besoin de faire une démonstration de supériorité, la supériorité américaine dans l’espace étant absolument incontestée et incontestable». En effet, le budget spatial américain s’élevait à 73 milliards de dollars en 2023, suivi de loin par le Chine avec 14 milliards de dollars, alors que le budget de l’Agence spatiale européenne (ESA) représentait 6,4 milliards de dollars, le budget total de l’Europe en incluant les pays européens et l’Union européenne atteignant les 18 milliards (source Euroconsult).
La scène spatiale américaine est aussi caractérisée par l’arrivée d’entreprises privées dans le secteur de l’exploration lunaire, comme SpaceX ou Blue Origin. Mais cette volonté d’intégrer le secteur privé, relancée sous l’administration de Barack Obama, n’est pas une nouveauté. «C’est un vieux rêve de tous les présidents américains de banaliser l’activité spatiale, au point que finalement l’argent public investi serve à la richesse des entreprises américaines», décrypte la géographe. Ainsi, ajoute-t-elle, ces entreprises ne sont pas en concurrence avec la NASA, mais font partie de la stratégie mise en place par l’agence spatiale américaine, qui consiste à sous-traiter certaines de ses compétences au secteur privé.
Chacun ses ambitions
À compétences inégales, ambitions diverses. Côté américain, il s’agit «d’établir une présence durable sur la Lune» avec la création de la station Lunar Gateway, située autour de l’astre, et qui se présente comme une expérimentation de ce qui pourrait se faire par la suite autour de Mars. Dans cette ambition, les États-Unis «embarquent leurs alliés et collaborateurs habituels, tels que l’Europe, le Japon, la Corée du Sud mais aussi les Émirats arabes unis et d’autres pays du Golfe». Parallèlement, la Chine et la Russie ont signé en 2021 un accord prévoyant la construction conjointe d’une future station lunaire.
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