RDC: entre «génocide» et «omerta de la Communauté internationale»
Entretien réalisé par Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
L’auteur de «L'holocauste au Congo. L’omerta de la Communauté internationale», paru en avril 2023, a été l’hôte de l’Université de Kinshasa, samedi 16 mars, et de l’Université Loyola du Congo, lundi 18 mars 2024. Le politologue, journaliste et essayiste camerounais y a partagé les résultats de ses recherches qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage dans lequel il décrypte la tragédie congolaise, mettant notamment en exergue le bilan humain des guerres répétitives qui affectent la partie Est de la RDC. Interviewé par Radio Vatican-Vatican News, Charles Onana revient sur cette situation qui perdure en RDC depuis près de trente ans, avec des conséquences humanitaires désastreuses. Fustigeant le silence et l’inaction du Conseil de sécurité des Nations et d’autres institutions internationales, il attire l’attention sur le «génocide» en cours dans ce pays et appelle à reconnaître le statut de la RDC comme victime «d’un holocauste qui se passe en plein jour».
Nous vous proposons l’intégralité de cette interview.
Vous venez de tenir deux conférences en République Démocratique du Congo, dans la capitale Kinshasa. Pouvez-vous nous dire, de manière succincte, de quoi il était question?
J'ai été invité par le recteur de l'Université de Kinshasa pour partager le résultat de mes recherches avec les enseignants, les chercheurs et les étudiants. Il se trouve que l'amphithéâtre de l'université était rempli. Manifestement, beaucoup de gens connaissaient mes travaux de loin. Et là, pouvoir partager avec eux, c'était encore mieux. Donc, il a été question de venir un peu expliquer les recherches que j'ai pu faire dans ce dernier ouvrage «Holocauste au Congo…» et pouvoir partager avec eux ce que j'ai découvert. Il faut quand même que je rappelle que j'ai consulté les archives du Conseil de sécurité, les archives de l'Élysée, les archives de la Maison Blanche, les archives du Pentagone et les archives du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Donc, j'ai accumulé une importante documentation, y compris les rencontres importantes avec différentes personnalités, notamment l'ancien représentant du Secrétaire général des Nations Unies au Rwanda, Jacques Roger Bohbot; le commandant Luc Marchal, qui était commandant des Casques bleus au Rwanda. C'est donc le fruit de tous ces travaux et de toutes ces recherches que j'ai pu partager avec mes collègues et confrères à l'Université de Kinshasa, et bien entendu chez les Jésuites.
Dans votre livre «L'holocauste au Congo. L’omerta de la Communauté internationale», en décryptant la tragédie congolaise, mettant notamment en exergue le bilan humain des guerres répétitives qui affectent la partie Est de la RDC, vous parlez de l’omerta de la communauté internationale. Doit-on vraiment parler de silence de la communauté internationale quand on voit toute la documentation autour de la crise dans l’Est de la RDC, avec les rapports récurrents des experts de l’ONU, des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, des organisations des droits de l’homme, etc.? La crise de la RDC souffre-t-elle du silence ou plutôt de l’inaction de la Communauté internationale?
Il y a un peu des deux. La RDC souffre à la fois du silence, parce que vous savez très bien que les rapports des experts des Nations Unies, ce ne sont pas les positions des pays membres du Conseil de sécurité. Les pays membres du Conseil de sécurité s'expriment beaucoup sur le Rwanda, sur les événements de 1994, c'est à dire d'il y a 30 ans. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais comparativement au drame de la République Démocratique du Congo, où l'on compte déjà plus de morts que ce qui s'est passé au Rwanda en 1994, il est étonnant que les pays membres du Conseil de sécurité ne s'expriment pas. L'Union européenne ne s'exprime pas. Tout au contraire, elle apporte une certaine aide, je dirais financière, au Rwanda, dont les troupes sont, d'après les rapports des experts de l'ONU que vous évoquez, au Congo. Ces rapports attestent que le Rwanda occupe le territoire congolais, appuie le mouvement terroriste M23. Et donc, il est évident aussi que ni l'Union européenne ni le Conseil de sécurité n'ont adopté des sanctions concernant cette action, qui est une violation de la souveraineté du Congo et une violation du droit international public. On peut donc dire logiquement qu'il y a inaction et il y a également un silence sur les millions de Congolais qui sont exterminés sur leur territoire.
Certains de vos détracteurs contestent les chiffres que vous avancez sur le bilan des guerres dans le Congo oriental et critiquent même la notion d’holocauste, et la qualification juridique de génocide que vous utilisez. D’aucuns vont jusqu’à vous accuser de négationnisme, disant que vous faites un plaidoyer pour la reconnaissance des crimes commis en RDC au prix de la négation du génocide rwandais. Que répondez-vous à ces accusations?
Je n'ai pas l'habitude de répondre à des accusations farfelues et surtout à des gens qui attaquent la personne. Je mets des dossiers sur la table et si on n'est pas en mesure d’apporter des éléments de preuve sur le plan intellectuel pour contredire ces éléments, eh bien, ils peuvent passer leur temps à attaquer la personne, ça ne servira à rien. Je peux simplement vous dire que d'abord, la notion de génocide, ce n'est pas moi qui l’ai inventée ou qui l'utilise de façon abusive. C'est un expert américain, Robert Gersony, qui, en 1994, évoquait déjà la question du génocide. Et il me semble également que le Rapport Mapping parle de génocide. Et le Pape est venu lui-même dernièrement au Congo. Il a évoqué la question du génocide. Donc ceux qui veulent contester l’utilisation du mot génocide faite par ces personnalités et ce rapport ont parfaitement le droit. Ce n'est pas moi qui l’utilise de façon abusive. Deuxièmement, en ce qui concerne les chiffres. Les chiffres qui sont avancés ne sont pas mes chiffres. Les chiffres sont ceux du président Félix Tshisekedi, le président de la République Démocratique du Congo, qui a avancé le nombre de 10 millions de morts. Et ce nombre avait été aussi avancé par de nombreux experts. Et le chiffre de 500 000 femmes violées est celui avancé par le docteur Mukwege. Il me semble que ces deux personnalités sont des congolais qualifiés pour parler à la fois des chiffres sur les massacres et des chiffres sur les viols. S'ils considèrent effectivement que parce que Charles Onana a utilisé ces chiffres-là, que c'est Charles Onana qui le dit et qu'il faut le disqualifier pour cela, eh bien, ils peuvent donc critiquer le président Tshisekedi et critiquer le docteur Mukwege d'avoir avancé des chiffres qui sont totalement inexacts.
Dans votre analyse de la crise en RDC, vous semblez tout réduire à l’action des pays de la région qui agressent le Congo. Quelle est la place que vous accordez aux facteurs internes, comme la fragilité de l’État congolais et les conflits ethniques dans l’équation sécuritaire dans l’Est congolais?
Je suis désolé de vous contredire un tout petit peu parce que la crise du Congo n'est pas une crise ethnique. Le conflit du Congo n'est pas un conflit ethnique. Il me semble que les sénateurs américains on écrit à Anthony Blinken pour dire qu’effectivement, le Rwanda, qui est un pays étranger, appuie des rébellions et que les rapports des Nations Unies que vous avez cités en début d'émission attestent que le Rwanda a des troupes sur le territoire congolais. Et cela est devenu aujourd'hui un fait incontestable. Je ne réduis absolument rien du tout et il se trouve également que l'Ouganda a été cité. Ce pays a été condamné par la Cour internationale de justice d'avoir violé le territoire congolais, pour avoir massacré des populations sur le territoire congolais. Donc, il y a aujourd'hui un certain nombre de faits. De ce fait, si l'on n'a pas envie de regarder ces faits-là et qu’on considère que si c'est Charles Onana qui écrit ou qui le dit, ça devient inacceptable, alors je crois qu'on n'est plus en train de faire de la science, on est dans l'idéologie, et moi je ne suis pas un idéologue.
La deuxième chose que je voudrais dire par rapport à cette situation, c'est que si vous lisez mon livre «Holocauste au Congo», je parle de la situation géopolitique dans laquelle le Congo a été plongé depuis 1994 lors des événements du Rwanda. Le Congo n'était pas mêlé aux événements du Rwanda. Mais ceux qui disent avoir stoppé le génocide au Rwanda, c'est-à-dire l'armée patriotique rwandaise, dirigée à l'époque par Paul Kagamé, sont aujourd'hui ceux qui ont envahi le Congo, qui investissent le territoire congolais en violation du droit international public. Et je pense que le minimum, c'est de dénoncer cela et de considérer que la Communauté internationale doit sanctionner le Rwanda comme ils ont sanctionné l'Irak au moment où il avait envahi le Koweït. Tout comme l'on peut ramener ça à l'actualité d'aujourd'hui, c'est-à-dire qu’il y a eu des sanctions contre la Russie parce qu'elle a envahi le territoire ukrainien. Qu'est ce qui peut donc expliquer que d'un côté, on sanctionne l'Irak pour violation du droit international, on sanctionne la Russie, et de l'autre, on ne sanctionne pas le Rwanda pour violation du droit international?
L’une des questions importantes souvent évoquée dans le cadre de la crise sécuritaire de la RDC est celle liée aux minerais. En février dernier, l’Union européenne et le Rwanda ont signé un protocole d'accord ayant pour objectif «de renforcer le rôle du Rwanda» dans le développement de «chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques». Qu’est-ce que ce partenariat vient ajouter ou provoquer, selon vous?
Je peux considérer que, pour une fois, le terme négationnisme peut s'appliquer dans ce cas à l'Union européenne qui, en signant un accord de partenariat avec le Rwanda, signifie que les autorités, par exemple de l'Union européenne, nient le fait que le Congo est victime d'une extermination de la population, et je dirais des massacres de masse et des violations, et effectivement de la souveraineté du territoire congolais. Donc, quand l'Union européenne signe ces accords de partenariat avec l’agresseur de la RDC, elle abandonne le Congo. Que voulez-vous qu'on dise à ce moment-là si ce n'est le fait qu’on nie ouvertement, ostensiblement la violation du droit international par le Rwanda sur le territoire congolais?
Dans cette situation infernale de l’Est de la RDC, cette crise qui dure depuis près de trois décennies, quelles pistes de solution proposez-vous?
Je pense que, au lieu de passer le temps à vouloir critiquer M. Onana, il serait judicieux et je crois salutaire, pour la communauté internationale, pour le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'Union Européenne, plutôt que de faire des partenariats -je dirais un peu tordus avec le Rwanda- de sanctionner ce pays-là comme un pays qui ne respecte pas le droit international, qui viole massivement les droits humains sur le territoire congolais. Et puis, surtout que l'on puisse prendre en compte le statut de la République Démocratique du Congo comme une victime d'un holocauste qui se déroule en plein jour et que sur la base de ces éléments, on puisse effectivement considérer la République Démocratique du Congo autrement que comme un pays qui a des problèmes internes -parce que quel est le pays qui n'a pas de problèmes internes?- Et si cela est fait, je pense que les Congolais, non seulement considéreront qu’ils comptent aux yeux de la communauté internationale, mais qu’on va considérer également que l'État voisin du Congo, le Rwanda et bien entendu aussi l'Ouganda, sont des pays qui ont un comportement menaçant pour la paix et la sécurité internationales, lesquelles sont en quelque sorte les règles élémentaires garanties par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Permettez-moi de vous poser une question qui peut paraître personnelle. Il vous arrive de mentionner Mgr Christophe Munzihirwa. Que vous inspire cette figure de l’Église congolaise?
Mgr Munzihirwa est pour moi un héros national au Congo qui a résisté depuis 1994, lorsque la masse des réfugiés rwandais s'est déversée sur le territoire congolais. Il a alerté la Communauté internationale. Il a écrit au président Carter à l'époque, il a écrit au nonce apostolique à Bruxelles, il a écrit à l'ambassadeur des Etats-Unis à Kinshasa pour attirer leur attention sur le drame qu’allait vivre la République démocratique du Congo si on ne prenait pas des mesures adéquates pour pouvoir ramener les réfugiés rwandais dans leur pays. Il se trouve que, en 1996, la première personne qui a été visée lorsque l'AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) et les troupes de Paul Kagamé du Rwanda sont rentrées sur le territoire congolais, était Mgr Munzihirwa. Donc, il a été assassiné par les éléments de la rébellion venue du Rwanda. Et pour cet assassinat ignoble, le FPR (Front patriotique rwandais) n'a pas été sanctionné. On n'a même pas voulu mener des investigations pour identifier effectivement les auteurs de cet acte criminel. Donc, quand je vois ce genre de situation, je ne peux être que comme beaucoup d'intellectuels, indigné par le silence de la Communauté internationale autour de l'assassinat de Mgr Munzihirwa.
Auriez-vous un mot de la fin?
Je pense qu’il serait important que les gens aujourd'hui reviennent sur le message que le Pape François avait adressé à Kinshasa lorsqu'il disait qu'il fallait ôter les mains du Congo et qu'il fallait également qu’on prenne en compte le génocide oublié des Congolais. Donc, ce sont des mots qui, à mon avis, sont importants, qui viennent d'une très haute autorité morale. Et si aujourd'hui la Communauté internationale veut aider le Congo, elle doit prendre en compte le fait que le génocide du Congo ne doit pas être oublié. L'holocauste qui se déroule au Congo est quelque chose d'extrêmement grave. Ça se fait au vu et au su de tous. Il faut le reconnaître et reconnaître le statut des Congolais comme victime d'un drame, d'un crime contre l'humanité qui est, à mon avis, imprescriptible devant les juridictions internationales.
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