A Gaza, le casse-tête de l'acheminement de l'aide humanitaire
Olivier Bonnel (avec Marie Duhamel et Alexandra Sirgant) - Cité du Vatican
Plus d’un habitant sur deux de la bande de Gaza connait une situation alimentaire catastrophique. Après 6 mois de conflit entre Israël et le Hamas la faim semble plus que jamais utilisée comme arme de guerre dans l’enclave palestinienne, ce qui pourraient «constituer un crime de guerre», a affirmé mardi 19 mars Jemery Laurence, porte-parole du Haut-commissariat des droits de l’homme de l'ONU.
Pourtant, au vu de l’ampleur de la catastrophe humanitaire, et de la violation quotidienne du droit international, comment comprendre l’inaction de la communauté internationale? Comme dans un aveu d'impuissance, celle-ci se voit contrainte d’acheminer des bateaux remplis de vivres ou de parachuter de l’aide par les airs. Sur le terrain, la ville de Gaza et le nord de l’enclave palestinienne ne sont plus sous le contrôle du Hamas, mais dirigés par des gangs et autres factions, dont certains profitent de la guerre.
Depuis 1996, Riccardo Bocco s'est rendu plus d’une centaine de fois dans la bande de Gaza dans le cadre notamment de programmes de recherche pour le compte des Nations-unies. Professeur émérite en sociologie et en anthropologie à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève (IHEID), il retrace le parcours semé d’embuches des convois d’aide humanitaire avant d’arriver à la population civile.
Les denrées alimentaires viennent en grande partie d'Égypte, elles sont chargées sur des camions conduits par des chauffeurs égyptiens. Ces camions arrivent à la frontière et sont ensuite envoyés à Kerem Shalom ou un autre point de contrôle israélien, et là, Israël met en place des procédures particulièrement longues.
Une fois qu'il y a l'accord des autorités israéliennes à la frontière de Rafah, il y a d'autres camions qui arrivent et qui chargent cette marchandise. Il y a des camions palestiniens des Nations-unies et il y a des camions de compagnies privées palestiniennes. Cinq compagnies privées agissent principalement dans le nord de la bande de Gaza, sous contrôle israélien. Dans le Sud, ce sont des hommes du Hamas qui assurent la sécurité de ces convois, tandis que dans le Nord c'est une sorte de «sécurité privée», des hommes de main. Que font-ils? Ils arrivent localement pour vendre leurs denrées alimentaires à des commerçants et c'est là que la situation se corse. Par exemple, le prix d'un paquet de fèves, qui est normalement à 0,5 € d'euros au Caire va coûter 5 € une fois dans la bande de Gaza, et il y a tout un tas d'intermédiaires qui font leur beurre sur tout ça.
Et tout ça se passe au vu et au su de tous ?
Les Israéliens sont absolument ravis de tout ce «micmac» et les acteurs de la communauté internationale, au lieu de mettre leur nez dans tout ça -parce qu'ils sont conscients et savent-, s'évertuent à suspendre les fonds à l’Unrwa, à négocier, à apporter de l'aide.
Le choix de la part des Etats-Unis d'envoyer l'armée pour construire un port temporaire et de l'Union européenne d'envoyer de l'aide par bateau, révèle une absence de volonté de faire plier le gouvernement israélien.
Qu'est-ce que, par exemple, le président américain Biden pourrait faire pour garantir un meilleur acheminement de l'aide humanitaire et pousser Israël à le permettre?
Il faudrait commencer, avec une mesure «soft», par ne pas imposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité concernant le cessez le feu (Ce jeudi 21 mars, les Etats-Unis présentent pour la première fois à l’ONU une résolution de cessez-le feu, ndlr). Mais ensuite, s'ils voulaient vraiment parvenir à un cessez le feu, la mesure la plus efficace serait de suspendre la livraison d'armes à Israël. Les Etats-Unis, depuis 2019, donnent 3,8 milliards de dollars à Israël en aide militaire chaque année. Où va tout cet argent? Il est officiellement envoyé à Israël, mais en réalité, il revient aux industries américaines d'armement.
Qu'est-ce que cela révèle selon vous, en termes de droit international, de respect des traités ? Est-ce que cette crise peut être le début d'une prise de conscience ?
Finalement, la guerre à Gaza révèle plus que jamais la politique du «deux poids, deux mesures». On n'a pas hésité lors de l'invasion de l'Ukraine par les Russes, à imposer des sanctions, etc... mais lorsque l’on en vient au conflit israélo-palestinien, on n'a pas une application du droit international claire et cohérente.
Le problème est que l'ordre international scellé en 1948 avec la Charte des droits de l'homme, est en train de s'effondrer. Si demain la Chine a envie de conquérir Taïwan, qu'est-ce qu'on va lui dire? Que selon le droit international, ce n'est pas possible? Les Chinois vont rigoler. On peut certainement dire qu'il y aura eu un avant et un après 7 octobre. Et cet après 7 octobre a des conséquences qui vont bien au-delà de la «petite guerre» à Gaza.
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