Paris veut provoquer un «sursaut stratégique», en proposant l'envoi de troupes en Ukraine
Marie Duhamel – Cité du Vatican
Le Saint-Siège croit au dialogue entre Russes et Ukrainiens pour faire émerger «une solution» qui permettra de mettre fin à la guerre initiée il y a plus de deux ans, lorsque les troupes russes envahissaient l’Ukraine.
Le dialogue était également l’option privilégiée par le président français. Emmanuel Macron s’était rendu à Moscou le 7 février pour aborder avec Vladimir Poutine les «grandes questions de sécurité collective», la question ukrainienne notamment. Il espérait jouer les médiateurs pour œuvrer à la désescalade. Dans un même esprit, après le début de la guerre, il fut un des rares alliés de Kiev à multiplier ses appels au Kremlin: des appels promus sur les réseaux sociaux, dans l’espoir de faire pression sur la Russie. En vain.
Deux ans après l’invasion, le dialogue est au point mort. Les Russes sont déterminés à gagner la guerre et si les troupes ukrainiennes résistent, le moral serait en berne et l’aide fournie par leurs alliés se montre insuffisante. C’est dans ce contexte que le président Macron a émis la possibilité d’aller plus loin encore dans le soutien à Kiev, pour provoquer, dit-il, «un sursaut stratégique».
«En dynamique, rien ne doit être exclu»
Interrogé par la presse à l’issue d’une conférence de soutien à l’Ukraine organisée à Paris le 26 février, Emmanuel Macron a reconnu l’absence de consensus autour de l’envoi «de manière officielle, assumée et endossée» d’occidentaux dans le pays en guerre, mais jugé qu’«en dynamique, rien ne doit être exclu», assumant «une ambiguïté stratégique».
Selon le scénario évoqué par le chef d’État français, les troupes envoyées ne combattraient pas les Russes mais gèreraient des opérations de déminage, de coproduction d’armement ou de cyberdéfense.
Des troupes de maintenance
Ces opérations de maintenance ne sont pas une nouveauté, explique Yohann Michel, responsable du pôle puissance aérienne à l'Institut d'études de stratégie et de défense de l'université Jean-Moulin-Lyon-III. Pendant la Guerre froide, des soldats soviétiques ont été déployés au nord du Vietnam Nord ou de la péninsule coréenne. Des hommes de la CIA ou de l’ancienne DGSE étaient engagés aux côtés des moudjahidines en Afghanistan. «Ce n'est pas forcément la version la plus amicale, mais ça peut faire partie de la défense de nos intérêts, des outils possibles de notre politique étrangère», poursuit Yohann Michel. Le chercheur note cependant que cela nécessite d'être capable d'accepter des pertes de vies humaines, ces hommes opérant à l’étranger de manière non-officielle, et de savoir, en cas de perte, «conserver un minimum de discrétion» sur le sol national et dans sa communication au monde, «si vous voulez éviter justement une escalade», souligne Yohann Michel.
Rejet public des chancelleries occidentales
Aussitôt formulée, l’éventualité d’apporter un soutien humain en Ukraine a provoqué une vague de réactions. Si Kiev a salué «un bon signe» dans le message du président français, l’hypothèse émise par Paris a crispé les débats. De nombreux pays comme l’Allemagne, la Pologne, la République tchèque et même les États-Unis ont opposé une fin de non-recevoir à l’éventualité d’envoyer des soldats sur le territoire ukrainien.
Spécialiste des questions de défense, Yohann Michel n’est pas surpris de ces réactions. «On a vécu pendant trente ans dans un monde idéal où le recours à la force n'arriverait jamais et était complètement exclu, ce qui par ailleurs reposait un petit peu sur le fait que finalement, c'était les Américains qui allaient agir pour notre compte.»
La pays membres de l’UE, les membres de l’Otan, mais aussi les États-Unis ont exprimé un refus catégorique, le plus souvent sans s’expliquer. En Suède, futur 32ème membre de l’Alliance atlantique, le Premier ministre affirme toutefois que la question n’est «pas d’actualité» puisque l’Ukraine n’en a pas fait la demande. En Hongrie, seule capitale européenne à avoir maintenu des liens étroits avec Moscou, le gouvernement estime qu’il faut «mettre fin à la guerre, et non l’approfondir et l’élargir».
Au Vatican, le cardinal Pietro Parolin voit dans l’envoi de troupes un scénario «effrayant», car il irait dans le sens d’une «escalade que nous avons toujours essayé d'éviter depuis le début».
La réponse de Vladimir Poutine
La mise en garde formulée par le président russe dans son allocution annuelle devant les deux chambres du parlement jeudi 29 février semble aller dans ce sens. Abordant la possibilité d’envoyer en Ukraine des contingents militaires, Vladimir Poutine a prévenu les occidentaux: «les conséquences de ces interventions seraient vraiment plus tragiques (…) Ils doivent comprendre que nous aussi, nous avons des armes capables d’atteindre des cibles sur leur territoire. Tous ce qu’ils inventent en ce moment, en plus d’effrayer le monde, est une menace réelle de conflit avec utilisation de l’arme nucléaire et donc de destruction de civilisation».
Cette même semaine, les autorités prorusses de Transnistrie, une région moldave séparatiste située à la frontière avec l’Ukraine, ont officiellement demandé la protection de Moscou. Ce sera une «priorité», promet le Kremlin.
«Nous ne sommes pas en guerre contre le peuple russe et nous refusons d'entrer dans une logique d'escalade», précisait le président français au quotidien tchèque Pravo, ce lundi 4 mars, à la veille d’un déplacement à Prague. «Nous lançons le débat et réfléchissons à tout ce qu'il est possible de faire pour soutenir l'Ukraine», ajoutait-il.
Erreur stratégique
Pour le spécialiste des questions de défense Yohann Michel, exclure «par principe» l’envoi de troupe «de manière à éviter une escalade» serait «une erreur» car contrairement à l’effet recherché, cela encouragerait une escalade. L’Histoire le démontre. «Dire dans les années 20, “nous ne ferons pas la guerre à l'Allemagne, quelle que soit sa politique étrangère”, nous a amené d'abord à Munich et donc, in fine, à 1939. Et malheureusement, on avait déclaré la guerre illégale. Nous nous sommes donc retrouvés privés des outils possibles de négociation. Et dans la négociation, il y a la menace de recourir à la force. Si on l'a exclue mais que notre adversaire ne l'a pas exclue pour lui-même, alors, malheureusement, on risque d'encourager l'adversaire à recourir toujours davantage à la force, surtout ce type d'adversaire là», juge le chercheur.
Ce mardi, en visite à Prague, soulignant qu’«on ne veut jamais voir les drames qui viennent», le président français a appelé les alliés de l’Ukraine «à être à la hauteur de l’Histoire et du courage qu’elle implique» face à «des puissances devenues inarrêtables» qui sont «en train d’étendre la menace chaque jour». Emmanuel Macron interroge les alliés de Kiev: «Est-ce notre guerre ou n'est-ce pas notre guerre? Pouvons-nous nous détourner, considérer que les choses peuvent continuer à se jouer? Je ne crois pas.»
Le droit d'agir
Les Européens doivent se donner les moyens d’être crédibles face à la Russie de Vladimir Poutine, «mais pas uniquement matériellement. Il faut aussi que nos compétiteurs sachent que si jamais ils allaient trop loin, alors nous pourrions nous aussi prendre les devants et ouvrir une confrontation avec eux», estime Yohann Michel. La piste lancée par la France entre dans une stratégie de dissuasion, pour faire comprendre à la partie adversaire qu’elle n’a pas les mains libres et que les occidentaux se réservent le droit de réagir si des lignes rouges étaient franchies, explique le responsable du pôle puissance aérienne à l'IESD. «Il serait tout à fait possible, note-t-il, qu'il se passe quelque chose en Ukraine qui nécessite qu'on envoie des troupes, que ce soit un accident nucléaire à la suite d'une frappe directe contre des centrales, que ce soit des frappes contre les pipelines de gaz (…) sans parler, par exemple, de tirs répétés depuis le territoire ukrainien vers des pays de l'OTAN». L’envoi de troupes occidentales en Ukraine pourrait également se justifier, juge Yohann Michel, «pour offrir des garanties de sécurité à l’Ukraine». Selon lui, cela pourrait permettre d'obtenir une paix sur le terrain, avant la défaite de la Russie ou la défaite complète de l'Ukraine.
Quant à la crainte de voir le président Poutine surenchérir, Yohan Michel ne croit pas à son recours à l’arme nucléaire. Évoquant les confrontations militaires et même les guerres opposant l’Inde et le Pakistan ou jadis la Chine à l’URSS, il souligne que «la possession d'armes nucléaires, y compris des deux côtés, n'empêche pas la guerre, mais la cadre. Elle bloque une montée aux extrêmes (…) on sait que seule notre destruction mutuelle pourrait advenir si jamais on allait plus loin». Les affrontements passés entre puissances nucléaires n’ont pas débouché sur un holocauste. Il invite ainsi à ne pas «trop fantasmer la sanctuarisation ni de nos territoires, ni de nos intérêts du fait de la dissuasion nucléaire. Y compris lorsqu'elle est réciproque».
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