Du Cameroun en guerre à la cité phocéenne, le périple de Daniel à travers l’enfer libyen
Delphine Allaire – Marseille, France
Parmi les neuf cercles concentriques décrits dans l’Enfer de Dante, le piège libyen pour les migrants en quête d’un avenir autre tiendrait le haut du pavé, particulièrement durant les années de la deuxième guerre civile entre 2014 et 2020.
Tout commence à la fin de l’année 2014, lorsque le jeune Daniel se rend chez ses grands-parents, résidents dans l’Extrême-Nord du Cameroun. Au terme de deux semaines de séjour, la guerre éclate et les djihadistes de Boko Haram attaquent le village familial. «J’ai du fuir vers la frontière nigériane, la plus proche, mais où, sans le savoir, la situation était bien pire», raconte-t-il. Continuant le voyage vers des zones plus sûres, sans terroristes, il prend la route en direction du Niger et s’arrête à Arlit, localité aux portes du désert dont la seule ressource est celle qui git sous le sable, l’uranium.
L'Algérie avant la Libye
«C’est la dernière ville où il faut payer pour pouvoir rejoindre l’Algérie. Jusque-là, j’étais inconscient des dangers et ne ressentais pas trop les problèmes. Tout a changé dans le désert», confie-t-il, se remémorant les 5 heures de traversée du désert en pickup. 200 kilomètres macabres où l’on voit des vêtements, des os, joncher le sol aride.
«Par la grâce de Dieu, je suis arrivé en Algérie. Les passeurs nous ont tout pris, je n’avais plus d’argent. Il fallait rester là-bas et travailler pour rembourser l’argent». C’est à Tamanrasset qu’il peut enfin prévenir ses parents, en créant un compte Facebook. «Ma mère m’a dit: ‘’Fais tout, mais ne prends pas la mer’’».
Daniel part ensuite pour Oran au bord de la mer où il croise le chemin d’un Algérien de Nice. Ce dernier l’embauche pour rénover son appartement oranais. Il y reste deux mois et empoche 1 200 euros. Ayant vu un ami rejoindre l’Allemagne en très peu de temps en passant par la Libye, il succombe et prend sa décision de rejoindre cette terra incognita pourtant ravagée par la guerre en 2015. L’enfer commence.
L'étau de la guerre libyenne
«On a marché 10 heures pour atteindre la première ville libyenne. Et là, c’est la guerre, ça tire de partout. À Tripoli, l’on voit des immeubles détruits comme dans un film d’horreur. Je vais de suite au bord de la mer où des milliers de personnes attendent depuis deux mois de pouvoir passer. Je suis resté dans ce camp près d’un mois jusqu’à ce qu’il soit attaqué», se rappelle-t-il. Il rejoint la ville de Tripoli pour travailler -un temps avec une société chinoise- et se nourrir. Là, «les gangs», l’emprisonnent dans une maison avec 500 autres personnes; quand d’autres, paramilitaires, cassent la prison pour en faire à nouveau un business. Durant plusieurs mois, Daniel est à la merci de son passeur attendant indéfiniment un feu vert pour le grand voyage.
«À Tripoli, je revois le passeur et lui dit qu’il ne me fais plus peur. Je voulais mon argent ou tout de suite partir par bateau. Il m’a fait co-passeur pour faire monter tous ceux qui arrivent. Je retrouve à la mer plus de 5 000 passagers pour une quinzaine de bateaux qui ont embarqué à 19h00, pour un passage à 00h00. Quelques personnes manquaient à l’appel, je me suis couvert la tête et je suis monté à leur place», retrace-t-il. La traversée jusqu’aux eaux italiennes dure une nuit. L’embarcation arrive à Lampedusa le lendemain vers 11h00 du matin.
L'horizon de l'intégration
«Je suis sorti du bateau et j’ai sauté à l’eau, de joie. Après quelques semaines à Lampedusa en mars 2016, nous sommes dispersés sur l’île». Daniel est transféré en Sicile, puis à Gênes où il n’y avait pas de place. Il est donc laissé à Vintimille à la frontière franco-italienne. Il reste un mois dans le camp de la localité ligurienne, avant de payer un passeur 70 euros pour arriver à Nice, puis rejoindre Marseille en train. Dans la cité phocéenne, Daniel est rapidement pris en charge par la Cimade, association d’aide aux migrants. Il s’estime «chanceux» de son accueil à Marseille, sans avoir eu à dormir dehors grâce aux bénévoles de l’association. Deux jours plus tard, on lui propose 9 mois de formation. Il choisit la filière du jardin et obtient son diplôme. Huit ans plus tard, marié avec deux enfants, il a monté sa propre entreprise de jardinier-paysagiste. Du désert au jardin, l’exode de Daniel a pris fin, et les pages les plus sombres de son livre se sont refermées.
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