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La Grande barrière de corail, au nord-est de l'Australie, subit actuellement un épisode de blanchissement jamais observé, avec 73% de ses récifs endommagés, annonce l'autorité qui la gère, le 17 avril 2024. La Grande barrière de corail, au nord-est de l'Australie, subit actuellement un épisode de blanchissement jamais observé, avec 73% de ses récifs endommagés, annonce l'autorité qui la gère, le 17 avril 2024.  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Les îles du Pacifique, pionnières de la diplomatie du climat en Océanie

Alors que la 9e conférence mondiale des océans s’achève à Athènes, focus sur l’archipel des Tuvalu, signataire fin mars d’un traité bilatéral avec l’Australie. Canberra devrait aider l’État insulaire vulnérable en cas de catastrophe naturelle. Le Pape se confrontera à cette réalité océanique lors d'une prochaine visite apostolique, aux confins de l’Océanie et en Asie du Sud-Est en septembre prochain.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Le grand continent bleu se pare des couleurs grecques pour la 9e conférence mondiale «Notre Océan», qui a lieu du 15 au 17 avril à Athènes, après une édition panaméenne en 2023. Cette conférence est la seule à aborder toutes les questions liées aux océans en même temps dans une perspective intégrale chère au Saint-Siège.

Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis, hôte des délégations de 120 pays, 12 chefs d’États et 50 ministres, a annoncé mardi des engagements dépassant les 10 milliards de dollars. En visite dans la République hellénique, le patriarche œcuménique de Constantinople a pris la parole lors de cette conférence. Connu pour son engagement écologique, Bartholomée a évoqué l’eau «comme don sacré», rappelant que chaque personne est «un microcosme d'un océan, un petit monde d'eaux qui entretiennent la vie».

En tête des défis mondiaux à relever pour protéger l’or bleu des océans, l’avenir des petites îles du Pacifique caracole. Coordonnés à l’échelle régionale dans le cadre du Forum des îles du Pacifique, ces États insulaires confrontés à la hausse du niveau des mers sont les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Pour remédier aux scénarios du pire et anticiper un possible engloutissement, le gouvernement de l’archipel des Tuvalu a signé un traité historique avec la puissance australienne voisine. Le texte prévoit l’octroi annuel de titres de séjour australiens aux citoyens tuvalais, non sans implications juridiques et géostratégiques que nous détaille Géraldine Giraudeau, professeur de droit public international à l’université Paris Saclay, précédemment à celle de Nouméa. Elle est spécialisée sur les îles du Pacifique.

Entretien avec Géraldine Giraudeau, professeur de droit public international à Paris-Saclay

Quels sont les aspects innovants de ce traité négocié entre l'Australie et Tuvalu?

C’est le premier traité bilatéral de mobilité climatique. Il n’a pas encore été ratifié et son issue fait d’ailleurs l’objet d’incertitudes du fait du changement récent de gouvernement à Tuvalu à la suite des élections de janvier dernier. Son contenu a toutefois été validé par le nouveau gouvernement.

C’est un traité cadre qui pose les principes d'une union entre les deux États, qui permettrait de donner accès aux ressortissants de Tuvalu à des titres de séjour; 270 ou 280 titres par an, donnant accès aux services étatiques principaux et dont on ne sait pas s'ils seraient à durée indéterminée ou non. L’Australie s’engage aussi sur l’aide apportée en cas de catastrophes naturelles.

En échange, l'Australie gagne un avantage stratégique considérable, puisque les dispositions de l'article 4, in fine, donnent un véritable droit de veto à l'Australie quant aux éventuels accords de défense et de sécurité négociés par Tuvalu. L’Australie vise ici Pékin et cherche à éviter de voir un accord de défense qui pourrait être signé avec la Chine, comme cela a été le cas des îles Salomon en 2022.

Quelles évolutions climatiques des Tuvalu ont conduit à ce texte?

Dans le Pacifique, le changement climatique est une question de sécurité et une menace existentielle. Cette menace est singulière pour un certain nombre de territoires atolliens, c'est-à-dire de territoires qui sont entièrement composés de formations coralliennes de très basse altitude, où il n'y a aucun point haut où se réfugier. Ces États atolliens se trouvent presque tous en Océanie, à l'exception des Maldives dans l'océan Indien.

En Océanie, les îles Marshall sont dans cette situation, Kiribati, Tokélaou, qui n'est pas un État à proprement parler, mais un territoire spécial de la Nouvelle-Zélande et donc Tuvalu, qui serait d'ailleurs, selon les experts, le premier État susceptible de voir son territoire disparaître entièrement. Il faut préciser que les territoires deviennent inhabitables avant d'être entièrement submergés. C'est ce que l'on observe déjà dans un certain nombre d'archipels, car la salinisation des sols devient telle que l'on ne peut plus rien y faire pousser. Les conditions deviennent trop dangereuses. Il est probable que ce scénario du pire, malheureusement, arrive pour Tuvalu et que cet État se voit contraint de relocaliser l'entièreté de sa population.

Cette perspective pose des questions juridiques inédites quant à savoir si cet État continuerait d'avoir une existence malgré tout, par exemple s'il continuerait d'avoir un siège à l'Organisation des Nations Unies ou au sein d'autres organisations internationales. Du point de vue des droits humains et du point de vue de la population, cela pose la question de savoir où cette population peut être relocalisée.

La situation des territoires océaniques face à cette perspective du pire n'est pas la même parce que certains territoires ont déjà des accords. Par exemple, les îles Marshall ont déjà un accord d'association avec les États-Unis, leurs ressortissants peuvent donc aller s'installer et travailler sur le sol américain. C'est le cas aussi d'autres territoires infra étatiques comme les territoires ultramarins français.

Tuvalu, en l'état, n'a pas cette possibilité et il est donc important pour le gouvernement de Tuvalu d'anticiper ce scénario. Comprenons qu’il s’agit toujours d’une solution de dernier recours, puisque beaucoup d'efforts d'ailleurs qui sont faits en ce moment sont des efforts à l'échelle étatique et à l'échelle régionale qui visent justement à faire reconnaître les obligations des États émetteurs de gaz à effet de serre, à obtenir les moyens nécessaires pour tout faire pour que ces populations, ces communautés puissent rester sur leurs terres.

Que gagne l’Australie avec un tel traité?

Il y a un certain cynisme dans le contenu de ce traité qu'on se doit d'observer dans la mesure où il ne contient aucun engagement de l'Australie, par rapport au changement climatique, par rapport à ses émissions de gaz à effet de serre, alors que l'Australie contribue de façon substantielle à ces émissions. Il pourrait se transformer en un gain pour l'Australie, en vertu de l’avantage stratégique sur les accords de sécurité et de défense, mais aussi, sans que cela soit écrit, des interrogations quant à savoir qui exercera le contrôle sur les zones maritimes sous juridiction étatique qui sont aujourd'hui sous juridiction de Tuvalu. En vertu du droit de la mer, Tuvalu possède une immense zone économique exclusive de 29 000 fois son territoire terrestre et qui pourrait, si les évolutions du droit vont en ce sens, continuer d'exister. Nous pouvons ainsi imaginer qu’en vertu de ce genre d'accords, l’Australie en aurait le contrôle effectif.

Quels sont les risques d'instrumentalisation de ces dits «pays confettis d'Océanie» par les grandes puissances?

Les États océaniens se retrouvent pris en étau dans une guerre d'influence entre la Chine et ce que l'on appelle l'axe Indopacifique, sans que les États insulaires du Pacifique soient à l'origine de ce narratif et de l'identification même de cet axe stratégique. Il y a une volonté et des efforts visibles au niveau régional pour essayer d'ailleurs de faire émerger un autre narratif, celui que l'on retrouve dans les déclarations du Forum des îles du Pacifique, principal cadre de coopération politique de la région.

Les gouvernements des États insulaires du Pacifique, bien sûr, ne sont pas dupes de cette guerre d'influence. Ils essayent, dans la mesure du possible et sans que le mot ait une connotation négative, d'en tirer profit dans le sens où ils peuvent faire jouer cette concurrence pour tenter de recevoir l'aide dont ils ont absolument besoin pour faire face aux effets du changement climatique.

En même temps, ils font l'objet d'une pression croissante puisque quelque part on les oblige à prendre parti, alors que comme États souverains, ils sont libres de choisir leurs partenaires, singulier ou pluriels, en matière économique, politique, de défense ou de sécurité.

Canberra assure que l'État des Tuvalu conservera son indépendance. Quelles sont les garanties?

En droit international, il y a trois éléments constitutifs de l'État: un territoire, une population, un gouvernement. Les effets du changement climatique, et en particulier la montée des eaux, interroge ce triptyque parce que des États apparaissent et disparaissent. Cela a été le cas dans l'histoire, mais jamais parce que le territoire disparaissait. C'est une nouvelle question, qui fait l'objet de réflexions dans un certain nombre de comités, notamment au sein de la Commission du droit international des Nations-Unies. Il n'y a pas aujourd'hui de réponse précise et définitive.

Néanmoins, on s'oriente vers une reconnaissance du principe «d'une présomption de continuité de l'État» en faveur de laquelle pourraient être imaginées d'autres formes d'États; des États par exemple déterritorialisés, dont on pourrait imaginer une existence virtuelle. Le ministre des Affaires étrangères tuvalais, Simon Kofe, avait amorcé l’idée lors d’une précédente COP, de la création d’un site internet dans le métavers qui reproduise en 3D le territoire de Tuvalu -ce site existe aujourd’hui-. Le ministre l’imagine aussi comme un site au sein duquel on disposerait dans le futur des services étatiques et des services pour les ressortissants déplacés.

De même, et c'est une perspective particulièrement dramatique, un site conçu comme le seul moyen pour les ressortissants de Tuvalu et leurs descendants de pouvoir, chaussés de lunettes 3D, voir, être immergés de nouveau dans un environnement musical, sensoriel, qui reconstituerait l'État de Tuvalu. Cette annonce, symbolique à ce stade, a aussi été faite tout simplement pour alarmer la communauté internationale sur la situation de ces États dont le territoire est amené à être submergé. Mais cela pourrait aussi être le support de cette continuité d’une existence virtuelle d’un territoire terrestre qui aurait été englouti.

Quelle voix ces acteurs insulaires du Pacifique Sud portent-ils dans la politique environnementale internationale?

Il ne faut pas que ces initiatives bilatérales qui pourraient se reproduire pour d'autres États, fassent en effet oublier les efforts menés à l'échelle régionale. Il y a beaucoup d'évolutions quant à l'émergence d'un cadre de mobilité régionale qui n'existe pas encore en tant que tel, mais qui se fonde sur l'idée de solidarité des États océaniens, et qui fait l'objet de rencontres, de discussions fréquentes et qui pourrait donner lieu à un véritable cadre concret de mobilité à l'échelle régionale.

Les États du Pacifique veulent rappeler les mobilités historiques dans la région. Beaucoup d'études montrent ces mouvements en dépit des énormes distances parcourues. Les mouvements de population étaient assez réguliers au temps des pirogues, et cet esprit persiste, malgré quelques revers, car il ne faut pas rêver une unité du Pacifique qui serait un leurre. De toute évidence, l'émergence de cette diplomatie océanienne du climat connaît aussi des revers, faits de tensions et désaccords. Le thème actuel le plus clivant étant la question de l'exploration et de l'exploitation des fonds marins.

Au-delà de cela, l’histoire de la solidarité océanienne est mise en avant et permettrait d'envisager des mobilités qui ne reposent pas sur la bonne volonté des grandes puissances, qui sont finalement celles qui ont provoqué précisément ces changements, mais qui reposerait sur les nations océaniennes elles-mêmes. L'Océanie ne peut se concevoir comme l'arrière-cour des grandes puissances. Le narratif des nations océaniennes, même s’il n’est pas toujours homogène, permet de concevoir l'océan d'une façon différente. Historiquement, les Occidentaux ont vu l’Océanie comme un espace vide, alors que précisément, dans la perspective océanienne, c'est l'inverse: l’océan est celui qui est vivant, qui nourrit, qui est sacré et qui relie. Il n’est pas un obstacle mais au contraire un élément de communication entre les terres qui le parsèment. Cette perspective est à l'opposé de la perspective occidentale.

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17 avril 2024, 10:07