Des ouvrières agricoles récoltent des cerises dans un verger du kibboutz Malkia, à la frontière nord d'Israël, le 5 mai 2024 Des ouvrières agricoles récoltent des cerises dans un verger du kibboutz Malkia, à la frontière nord d'Israël, le 5 mai 2024  (AFP or licensors) Les dossiers de Radio Vatican

Père David Neuhaus: en Israël, la migration de travail à l’épreuve de l’ethnocentrisme

Penseur et acteur de la migration par l'attention portée aux conditions de vie des populations étrangères travaillant dans l'État hébreu, le père David Neuhaus évoque les répercussions du 7 octobre 2023, attaque terroriste du Hamas en Israël, sur les personnes migrantes. Le professeur d'Écriture Sainte en Israël et en Palestine alerte, en particulier, sur le sort des enfants de la deuxième génération, nés en Israël, mais dépourvus de papiers et donc d’avenir.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican 

Ils viennent d’Inde, de Thaïlande, des Philippines ou encore du Kenya, pallier le manque de main d’œuvre en Israël. À l’ombre de la guerre à Gaza, de nombreux travailleurs étrangers évoluent dans des conditions précaires, sur les chantiers ou dans les champs israéliens, à des fonctions autrefois dévolues aux Palestiniens. Des syndicats d’Asie du Sud s’en inquiètent, tout comme l’Église catholique de Terre Sainte, qui fait de son mieux pour accueillir, protéger, promouvoir et intégrer, ces migrants de travail, parfois et souvent chrétiens.

Le père David Neuhaus, bibliste, fut coordinateur de la pastorale auprès des migrants et des demandeurs d'asile en Israël. Supérieur des Jésuites de Terre Sainte depuis 2019, il demeure un penseur et un acteur de la migration. Il intervenait aux MED24 organisées par le diocèse de Marseille sur les migrations du 6 au 8 avril dernier.

Entretien avec le p. David Neuhaus SJ, supérieur des Jésuites en Terre Sainte

Quelles sont les conséquences de la guerre à Gaza sur la migration en Israël depuis le 7 octobre dernier?

Des migrants de travail ont été pris en otage, notamment des Thaïlandais, qui travaillaient dans les implantations à côté de Gaza et dans l'agriculture, mais aussi quelques-uns qui prenaient soin des personnes âgées. Certains de ces migrants de travail sont allés après le 7 octobre aider dans les champs pour effectuer des travaux agricoles. Par ailleurs, une jeune génération des enfants des migrants de travail, qui, autrefois, ont reçu un certain statut, sont comme tous les Israéliens, mobilisés dans l'armée, et nous avons eu des cas de soldats blessés et un cas d'un soldat mort à Gaza dans cette population. C'est une grande souffrance pour eux, mais cela montre aussi une certaine solidarité qu'ils vivent, en Israël, avec la société israélienne. Les migrants de travail qui viennent en Israël vivent quelque chose de fort dans cette société, mais celle-ci les rejette et les exploite. Cela montre la complexité du phénomène de la migration de travail en Israël. Nous continuons un travail préalable pour demander plus de droits, surtout dans le cas des enfants qui n'ont pas de statut. Ces enfants sont nés, socialisés, éduqués, en Israël. Ils peuvent fréquenter les écoles, mais n’ont pas de documents. La dernière normalisation du statut de cette population remonte à 2010.

Nous sommes face à une nouvelle génération qui termine l'école cet été et n’a aucun avenir devant elle car n’a pas de papiers. Nous sommes en train de crier et d’essayer de trouver des solutions créatives pour l'avenir de ces enfants.

 

Quelles sont les origines et le visage de cette migration en Israël?

Le phénomène s’est beaucoup développé après la première intifada (1987-1993), car jusqu'alors nombre de travaux étaient faits par les Palestiniens. Mais avec la peur des Palestiniens, Israël a cherché plus de main d’œuvre venue d'ailleurs. Personne n'a pensé à l'humanité de la personne qui arrive avec sa vie, son histoire. Quand ces migrants de travail sont des femmes, en capacité d'avoir des enfants dans ce pays d'accueil, les enfants naissent, mais il n'y a ni pensée, ni système, pour régler le statut de ces enfants qui n'ont pas choisi de venir, mais qui sont nés en Israël. Ils mènent une vie précaire dans les marges et la pauvreté, quasiment sans protection. C'est une lutte contre l’ethnocentricité d'un État pour les Juifs. Que peuvent faire les non-juifs?

Comment l'Église catholique exerce-t-elle son apostolat auprès des migrants dans un tel contexte?

C'est une œuvre en perpétuel progrès. La première chose que nous avons découverte est l'existence même de ces communautés, spécialement parmi les chrétiens, qui ont besoin d'un lieu de culte. Nous avons donc commencé à les accueillir dans nos lieux de culte. Nous nous sommes ensuite rendus compte que beaucoup de ces populations habitent dans des lieux où il n'y a pas d'église locale liée à la population chrétienne arabe.

Nous avons cherché des lieux en dehors des lieux traditionnels de l'Église, loin des populations arabes. Par exemple, nous avons construit un centre à Tel-Aviv, mais aussi des petites communautés soutenues par l'Église dans des villes juives dépourvues de population chrétienne. 

La deuxième étape a nécessité le développement d'un catéchisme en langue hébraïque en lien fort avec la toute petite communauté hébréophone, mais pensé de façon plus large pour ces populations nombreuses. La troisième étape nous a conduit avec nos fidèles en dehors de l'Église pour découvrir les défis de vie quotidienne et la précarité de l'existence des travailleurs étrangers. Il s'agit d'essayer de conscientiser notre Église et la population générale sur leurs situations de vies vulnérables, sans assurance médicale en cas de maladies par exemple. Nous avons une présence forte, excellente dans la société palestinienne arabophone, mais pas encore dans la société israélienne pour ce type de population. Nous y œuvrons. 

L'État hébreu nourrit-il un paradoxe dans son rapport à sa propre expérience de migration?

Israël est un pays pour l'immigration, pour les réfugiés, pour les pauvres, s'ils sont juifs. Cela touche la nature ethnocentrique de l'État d'Israël. Israël dit très clairement "Nous sommes un pays pour les Juifs du monde, les pauvres, les migrants, les réfugiés". Mais ce n'est pas pour tous les autres qui arrivent. Ça, c'est la réalité à laquelle il faut faire face. Bien sûr, il y a aussi une responsabilité d'Israël comme pays riche qui attire les migrants de travail, et qui très souvent activement, va chercher les travailleurs parce qu'ils ne sont pas Palestiniens, ne mènent pas un agenda politique. Ils sont pauvres, mal payés et exploités.

Comment renouer avec la vocation biblique d'Israël de s'ouvrir à toutes les nations?

C'est la question que les Juifs doivent se poser eux-mêmes, en lisant leurs Écritures qui constituent pour eux une base mythologique, qui les lie avec cette terre. Avec un thème fréquent dans la Bible qui est «Je vous donne cette terre à la condition que vous soyez fidèles aux principes de la Torah». Des juifs pensent bien sûr cette question, mais un État, avec ses intérêts, son économie, ses luttes conflictuelles et idéologiques, ne le fait pas toujours.

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06 mai 2024, 11:41