La Géorgie tiraillée entre la Russie et son désir d’UE
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé dans la nuit de dimanche à lundi à Tbilissi pour réclamer le retrait d’un texte voulu par le gouvernement qui doit être examiné une dernière fois mardi 14 mai par les députés. Depuis plusieurs semaines, les manifestations aux abords du Parlement se multiplient contre ce projet de loi sur «l’influence étrangère» qui prévoit, sur le modèle d’une loi russe, que toute ONG ou organisation médiatique recevant plus de 20 % de son financement de l’étranger s’enregistre en tant qu’organisation poursuivant des intérêts d’une puissance étrangère.
Malgré les critiques de la rue, de l’opposition, des Nations unies, des États-Unis et de l’Union européenne, le gouvernement, composé des membres du parti Le Rêve géorgien de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, persiste et entend bien adopter le texte dès cette semaine. La commission parlementaire pour les Affaires juridiques l’a adopté ce lundi matin et ce mardi, les députés devraient voter lors d’une troisième lecture.
Conflits de génération et sociaux
La confrontation ouverte entre une grande partie de la population, opposée au texte, et le gouvernement «est révélatrice de plusieurs fractures anciennes» qui réapparaissent périodiquement depuis l’indépendance de la Géorgie, explique Jean Radvanyi, géographe, spécialiste du Caucase et auteur du livre Russie, un vertige de puissance aux éditions La Découverte. Il y a d’abord le débat autour de la volonté de rejoindre, pour une partie de la population, «et notamment des plus jeunes», l’Union européenne. Cela amène à se placer «en contradiction» avec la Russie, «le grand voisin du nord», qui occupe une partie du territoire géorgien, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, poursuit le géographe. Le gouvernement du Rêve géorgien, piloté en sous-main par l’oligarque Bidzina Ivanichvili qui a fait fortune en Russie, doit donc composer avec un environnement géopolitique compliqué, d’autant qu’officiellement, Tbilissi et Moscou ont rompu leurs relations diplomatiques depuis la guerre de 2008 en Ossétie du Sud.
«À cela s’ajoutent d’autres fractures encore plus profondes de la société géorgienne sur son évolution et sur les influences relatives occidentales ou conservatrices. Ce n’est pas un hasard si la discussion sur ce projet de loi coïncide avec une autre discussion sur les droits des LGBT, elle-aussi très controversée», précise Jean Radvanyi.
Ces fractures peuvent s’expliquer entre autres par des facteurs générationnels, les plus jeunes étant moins tournés vers la Russie que les plus anciens, ayant grandi sous l’Union soviétique. La langue russe n’est plus obligatoire et n’est pas nécessairement apprise par les jeunes générations. Autre facteur mis en exergue par le chercheur: l’accès aux médias occidentaux et aux ONG souvent soutenues par des fonds originaires de pays occidentaux.
À cela s’ajoute la proximité des élections législatives qui auront lieu à l’automne. «Le pouvoir, qui est fragilisé, et essaie de marquer des points et il y a une sorte de fuite en avant, le gouvernement tablant sur des incidents qu’il arriverait à contrôler par la force, prouvant ainsi que la déstabilisation vient de l’Occident et permettant ainsi le maintien de la majorité actuelle», estime Jean Radvanyi.
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