Une réforme constitutionnelle controversée pour la Nouvelle-Calédonie
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican
L’Assemblée nationale française a adopté dans la nuit du 15 mai, à une large majorité, le projet de loi controversé sur l’élargissement du corps électoral en Nouvelle-Calédonie. Ce texte est à l’origine des violences urbaines de ces derniers jours à Nouméa. Deux personnes sont mortes lors d’une nouvelle nuit d’affrontements malgré le couvre-feu. Des voitures, des magasins, des usines ont été incendiées portant un coup dur à une économie locale déjà en grande difficulté.
Le gouvernement français a présenté son projet de loi comme s’inscrivant dans la continuité des accords de Nouméa. Or l’accord de 1998 avait gelé les listes électorales aux élections provinciales calédoniennes pour favoriser une plus forte représentation des populations autochtones. Aujourd’hui, la révision de ces listes qui autoriserait le vote aux résidents depuis dix ans au moins sur le territoire, réduirait sensiblement la représentativité des Kanaks. Les indépendantistes y voient un passage en force de l’État colonisateur.
Mgr Michel Marie Calvet est arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1969; il est archevêque de Nouméa depuis 1981 et a vécu les périodes de troubles successives sur le «Caillou». Entretien.
L'Assemblée nationale a adopté le texte de la réforme constitutionnelle tôt ce mercredi; ce texte est à l’origine de violences qui ont enflammé la Nouvelle-Calédonie ces derniers jours. Bien que le texte voté n’aille pas dans le sens des indépendantistes, les appels au calme lancés un peu par tous ont-ils été entendus?
Pour le moment, il y a encore beaucoup d'agitation et c'est difficilement contrôlable. Autrement dit, il y a une peur, mais on n'a pas encore de précisions. On a très peu de remontées, donc c'est vraiment une situation qui est préoccupante et encore très instable.
En quoi cette réforme constitutionnelle qui donne le droit de vote aux élections provinciales à toute personne résidente depuis dix ans au moins en Nouvelle-Calédonie, est-elle contestable par les Kanaks?
L'idée, c'est que, en 1998, à l'époque de Jacques Chirac, il y avait un accord qui avait été conclu mais qui n’avait peut-être pas été complètement mesuré. L’accord gelait le corps électoral. Aujourd’hui, plus de vingt ans après, les conséquences sont extrêmement difficiles sur le plan juridique. Des personnes qui sont nés en Nouvelle-Calédonie, qui sont devenues majeures, qui ont le droit de vote pour toutes les autres élections -la présidentielles, les municipales, les européennes-, sont exclues du corps électoral qui vote pour le Congrès et les provinces (de Nouvelle-Calédonie, ndlr), et le sont de manière quasiment définitive, alors que les accords ne gelaient le corps électoral que pour une durée limitée.
C'est là le problème, entre les différentes interprétations. Pour les uns, des accords ont été passés bloquant définitivement le corps électoral, tandis que d’autres soutiennent que ce blocage était limité dans la durée. Il faut revenir à quelque chose de plus large que les accords de Nouméa.
Avant même les accords de 1998, les accords de Matignon en 1988 établissaient des règles différentes. Ils garantissaient une plus forte représentativité des populations autochtones. Ces dernières affirment aujourd'hui avoir été trahies.
Tout le monde peut dire qu'il a été trahi, mais surtout qu'il y a eu une incompréhension. Et surtout, il n'y a pas eu d'avancées suffisantes, en tout cas sur le plan économique. C'est quelque chose qui va avoir des conséquences extrêmement graves pour la suite.
L'adoption du texte à l'Assemblée mercredi matin ne semble cependant pas totalement refermer le chapitre. Le chef de l'État français appelle indépendantistes et loyalistes à reprendre le dialogue et à présenter un accord, après quoi le projet de loi contesté pourrait être retiré. De quel accord parle-t-on?
C’est l'une des garanties qui avaient été offertes dès le début, avant même que le texte ne soit soumis à l'Assemblée nationale. S'il y avait une solution, un arrangement trouvé entre les deux parties en cause en Nouvelle-Calédonie, ne serait-ce même que dix jours avant le moment prévu pour les élections provinciales et du Congrès local de Nouvelle-Calédonie, c'est le corps électoral prévu par cet accord qui prévaudrait sur l'accord qui serait voté par le Congrès de Versailles pour favoriser le calme et le dialogue.
La priorité pour l’heure est de rétablir le calme; l'Église peut-elle jouer un rôle pour favoriser l’apaisement et le dialogue?
Ce matin même [mercredi 15 mai ndlr], j'ai eu une réunion avec les prêtres et les diacres de Nouméa et nous avons également pris contact avec les protestants pour voir comment nous allons essayer d'appeler à un temps de réflexion et de prière d’abord, et puis également appeler ceux qui ont une possibilité de décision et d'influence auprès de ceux qui sont actifs, puisqu'actuellement, on a même du bord opposé des gens qui commencent à s'organiser en milices.
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