Iran: la gouvernance de la République islamique ébranlée par la mort de son président
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant - Cité du Vatican
Des Iraniens en deuil rendent hommage mardi 21 mai au président défunt Ebrahim Raïssi. Les funérailles du dirigeant iranien ont commencé aujourd’hui à Tabriz, chef-lieu de la province de l’Azerbaïdjan oriental, province iranienne ou s’est écrasé l’hélicoptère de la présidence de retour d’un voyage officiel. Huit autres personnes ont perdu la vie dans cet accident, dont le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian.
Le décès de celui qui était pressenti pour remplacer le Guide suprême ouvre une page d’incertitude pour la gouvernance iranienne, fragilisée à la fois par une crise économique massive et les récentes contestations populaires, mais aussi par les tensions régionales. Le vice-président Mohammad Mokhber assure désormais l’intérim, en attendant l’élection présidentielle qui aura lieu le 28 juin prochain.
Entretien avec Bernard Hourcade, spécialiste de l’Iran et directeur de recherche émérite au CNRS.
Que sait-on des circonstances de la mort du président iranien?
Les hélicoptères iraniens, même ceux de la présidence, sont de vieux hélicoptères américains avec plus de cinquante ans d’âge. Il y a encore quinze jours, le vice-président, qui est désormais président par intérim de l'Iran, avait demandé à acheter à la Russie des hélicoptères modernes car ceux du président étaient vraiment presque hors d'usage. Il n'est donc pas surprenant qu'un accident d'hélicoptère ait eu lieu. C'est le cas pour beaucoup d'avions en Iran, des Boeing ou des Airbus qui n'ont pas de pièces détachées en raison des sanctions américaines, l'Iran ne peut pas acheter de pièces détachées et donc il y a un vrai enjeu technique pour les appareils aéronautiques iraniens.
Quel rôle avait Ebrahim Raïssi au sein de la gouvernance iranienne?
C'était surtout un membre de l'appareil d'État, un apparatchik très fidèle au Guide suprême de la République islamique. Mais ce n'est pas un religieux de haut rang, il n'a jamais été ayatollah (expert de l’islam), on lui a seulement donné ce titre par politesse, mais ce n’était pas un idéologue. C'était un homme d'appareil et un excellent gestionnaire qui faisait ce qu’on lui disait de faire. Son départ n'est donc pas important en raison d’une idéologie particulière, mais parce que c’était lui qui, de façon pragmatique et efficace, essayait de coordonner tous les éléments de la République islamique: la répression quand il fallait, l’ouverture [envers les autres pays] quand il fallait ouvrir… C’était quelqu'un qui savait bien gouverner dans le cadre de la République islamique et on le prévoyait éventuellement pour remplacer Ali Khamenei, en cas de décès de ce dernier.
Ebrahim Raïssi faisait consensus entre les conservateurs et les ultraconservateurs. Qui pour le remplacer lors de l'élection présidentielle prévue le 28 juin?
Il était une espèce de consensus «mou» entre les conservateurs. Mais le 10 mai dernier, le deuxième tour des élections législatives a suscité beaucoup de conflits et de rivalités internes au sein du camp conservateur qui est extrêmement divisé sur plusieurs sujets: la Palestine, les sanctions américaines, la relance du dossier sur le nucléaire, les relations avec l'Arabie saoudite, la grave crise économique, les émeutes populaires…La République islamique est en danger et tout le monde le sait à l'intérieur du pays. C'est pour ça que les conservateurs, qui ont tous les outils de la gouvernance en main, ne savent pas trop quoi faire. Les divisions sont importantes. On a vu apparaître lors des élections législatives, d’un côté plusieurs camps d'hyper radicaux qui veulent absolument tout fermer et bloquer l'Iran, et de l’autres des personnes qui pensent que des concessions sont nécessaires sur plusieurs dossiers, y compris sur la Palestine, y compris sur les femmes. On peut s'attendre à ce que cette élection présidentielle soit vraiment un changement stratégique pour l'Iran. Il ne faut pas attendre des miracles, mais il n'est pas impensable que, effectivement, les partisans de l'ouverture soient présents dans ce débat et que donc l'Iran ouvre une page un peu plus optimiste que celle que l’on vient de vivre.
Ce décès intervient alors que les tensions sont vives dans la région. Quelles conséquences aurait un changement de présidence iranienne dans le reste du Moyen-Orient?
Le départ d’Ebrahim Raïssi est important car il ouvre peut-être un petit peu «la porte». La porte de l'Iran était complètement fermée, dans l'axe de la résistance contre Israël et un peu tout le monde. Cela dit, l’Iran doit se rendre compte qu'elle risque de s'effondrer si elle n'accepte pas de discuter avec l'Arabie saoudite, avec l'Azerbaïdjan, avec l'Irak, avec les États-Unis, avec la Russie, avec la Chine, avec l'Europe…
Ainsi, la mort d’Ebrahim Raïssi, de mon point de vue, est une opportunité, entre guillemets, pour une possible ouverture. C'est à dire que d'autres politiques pourront être envisagées, alors que, jusqu'à maintenant, l’Iran a été bloqué par le fait qu’aucune idée nouvelle n'apparaissait. Le consensus «mou» de protection de la République islamique faisait qu'aucune décision n'était prise. Pour résumer, il n’y a pas de changement brutal à attendre mais peut être des inflexions utiles pour faire évoluer l'Iran, qui s'impose comme un partenaire incontournable au Moyen-Orient.
Cette ouverture pourrait-elle également avoir des conséquences sur la guerre à Gaza?
On sait très bien à propos de Gaza que l'Iran n'a pas accepté l'idée des deux États, mais elle ne s'y est pas complètement opposée non plus, donc les choses évoluent. Autrement dit, ces idées, qui étaient simplement en filigrane depuis quelques temps, pourraient soit être rejetées si les plus radicaux venaient au pouvoir, soit être mises en avant par l’arrivée au pouvoir de gens plus modérés et plus rationnels lors de la prochaine élection présidentielle. Cette dernière option pourrait permettre une inflexion légère, de nature à faire évoluer positivement les conflits dans la région.
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