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Des manifestants pour le climat manifestent devant le parlement européen le 31 mai à Bruxelles. Des manifestants pour le climat manifestent devant le parlement européen le 31 mai à Bruxelles.   (ANSA) Les dossiers de Radio Vatican

L'urgence climatique, l'enjeu majeur oublié de la campagne européenne

Les enjeux climatiques pourtant pointés comme une urgence par la communauté scientifique ont un écho plutôt mesuré dans les débats publics, malgré les engagements du "pacte vert" de l'Union Européenne, pris en 2020. Le chercheur François Gemenne, expert du Giec, invite à présenter les enjeux écologiques d'une autre manière.

Olivier Bonnel-Cité du Vatican

Dans quelques jours les citoyens des 27 pays de l’Union Européennes sont appelés aux urnes pour élire leurs 720 députés qui siègeront pour la prochaine mandature, jusqu’en 2029. Parmi les grands thèmes, la question écologique, pourtant majeure, reste étonnement au second plan dans les débats politiques, malgré les propositions détaillées de certaines listes. Le malaise des agriculteurs en Europe a souvent présenté l’écologie comme un repoussoir. La législature qui s’achève a pourtant été marquée par le «pacte vert» adopté en 2020, et qui a fixé les ambitions de l’Union européenne pour être neutre en carbone à l’horizon 2050.

Pourquoi l’urgence écologique reste-t-elle à la marge des débats européens? Faut-il en parler autrement? Éléments de réponse avec François Gemenne membre du Giec (le groupe d’experts de l’Onu sur le climat), directeur de l’observatoire sur les questions environnementales de l’Université de Liège

François Gemenne, spécialiste des politiques climatiques à l'Université de Liège

D'abord, il y a ce problème général qui est que les élections européennes sont malheureusement dans beaucoup de pays, souvent réduites à des enjeux nationaux. L'autre problème à mes yeux est que le «Green Deal», qui portait l'ambition européenne et qui semblait dessiner il y a cinq ans l'espoir d'un nouveau projet politique européen, d'un nouveau modèle économique et d'un nouveau contrat social, apparaît aujourd'hui un peu davantage comme une contrainte, voire même comme un boulet que l'on s'enchaînerait au pied. Ce pacte vert a complètement changé de statut, alors que l'enjeu est aujourd'hui plus fort que jamais.

Évidemment, l'urgence est plus forte que jamais et donc un des enjeux de ces élections, ça va évidemment être de renforcer le Green Deal. On voit bien néanmoins à quel point il est devenu aujourd'hui figure d'épouvantail pour nombre de partis populistes dans différents pays.

Beaucoup de citoyens et de politiques évoquent l'écologie bien souvent comme une contrainte. On parle «d'écologie punitive». Comment parler autrement de ces questions pour que chaque citoyen se sente concerné?

Je crois qu'il faut absolument en parler comme d'un projet et bien davantage mettre l'accent sur les bénéfices que nous pouvons tirer de la décarbonation et de la transition. Je pense qu'on en parle beaucoup trop en termes d'efforts à réaliser, de coûts supplémentaires à supporter ou de renoncements à accepter, et pas suffisamment en termes d'intérêts et de bénéfices. Or, nous sommes souvent guidés par nos intérêts.

Il faut donc parler différemment de l'écologie. C'est un nouveau logiciel à trouver de la part des politiques?

Je pense qu'il faut en parler absolument différemment. On a trop commis l'erreur d’insister sur les risques qui sont associés à l'inaction, et pas suffisamment sur les bénéfices qui sont associés à l'action. Je pense que pour beaucoup de militants, beaucoup de chercheurs aussi, on a l'impression qu'il s'agit de sensibiliser à l'urgence climatique. Je crois qu'aujourd'hui cette sensibilisation est acquise et qu'il faut maintenant donner des solutions, dire aux gens comment ils peuvent agir. Sinon, effectivement, ils ont l'impression que les nouvelles sont toujours mauvaises.

Si l’on revient sur le Green Deal 2020, ce fameux pacte vert pour rendre l'Europe neutre en carbone en 2050, quelles avancées peut- on dresser et que manque-t-il selon vous?

Il y a quand même des avancées qui sont tout à fait notables. Il y a d'abord des objectifs qui sont ambitieux -55 % d'émissions d'ici 2030. Il y a toute une série de législations, je pense, notamment sur les énergies renouvelables, sur le devoir de responsabilité sociale des entreprises etc... Ces législations sont très importantes et je dirais que la colère des agriculteurs de ces derniers mois, qui a un peu marqué un coup d'arrêt sur le volet agricole du Pacte vert, ne doit certainement pas faire oublier les avancées importantes qu'il y a eu lors de cette législature. Maintenant, il s'agit de concrétiser cela, c'est là qu'on va rentrer dans le dur, que les choses vont naturellement devenir plus difficiles.

Manifestation pour la justice climatique à Bruxelles le 25 mai
Manifestation pour la justice climatique à Bruxelles le 25 mai

Il y a aussi un aspect qui lie la transition écologique aux avancées sociales. On a le sentiment parfois que les deux ne sont pas suffisamment liés. On pense par exemple à la crise migratoire, qui est en partie liée à ces enjeux écologiques. Cette vision transversale manque-t-elle dans les débats autour de la question écologique?

Oui, c'est absolument crucial et je pense que, trop souvent, on a envisagé les politiques en silos, séparées les unes des autres, comme si les politiques climatiques étaient des politiques environnementales, alors que ce sont aussi des politiques économiques, sociales, des politiques culturelles aussi, à certains égards. Je crois qu'il est absolument fondamental aujourd'hui de bien davantage articuler la question sociale avec la question écologique, sinon cela va donner l'impression que les mesures de transition sont des mesures décidées par des riches nantis citadins qui veulent régenter la vie des pauvres.

L'Europe manque-t-elle d'ambition écologique aujourd'hui?

Je dirais que cette ambition est un peu contrecarrée précisément par ces logiques nationales. Quand on regarde le Green Deal, le Pacte vert, honnêtement, c'est un plan ambitieux, avec des objectifs ambitieux et une portée ambitieuse. Je pense que l'Europe doit d'abord retrouver une ambition propre qui ne soit plus contrainte par des logiques nationales, et elle doit aussi projeter une ambition en dehors de ses frontières. L'ambition écologique de l'Europe ne doit pas seulement être une ambition écologique pour elle, mais pour le monde entier. Il ne s'agit évidemment pas de donner des leçons aux autres et certainement pas de leur dire ce qu’il faut faire, mais il y a des capacités d'investissement qu'il faut mobiliser, Il y a une diplomatie à mobiliser. Et comme le changement climatique est un problème global, il faut évidemment que nous travaillions à réduire les émissions globales de gaz à effet de serre et pas uniquement celles à l'intérieur de son territoire.

“C'est grâce à son marché intérieur, à son marché de consommateurs, que l'Europe va pouvoir déployer des leviers de décarbonation”

Quelle va être, selon vous, la thématique principale de ces prochaines années en termes d’écologie, celui de la question des énergies?

Je pense que les questions énergétiques sont vraiment un sujet important parce que nous avons réalisé lors de l'invasion russe de l'Ukraine, à quel point notre absence de politique énergétique commune révélait notre dépendance aux énergies fossiles. On a vraiment les enjeux écologiques qui rejoignent ici les enjeux géopolitiques et notamment de défense, ça peut être le sujet porteur pour les prochaines années.

Vous avez le sentiment que les Européens ne se pensent pas suffisamment comme une grande puissance par rapport aux autres géants que sont la Chine, les Etats-Unis, la Russie?

On connaît évidemment la faiblesse de l'Union diplomatique européenne, qui tient au fait qu'elle n'a pas vraiment de politique étrangère ou de défense commune, mais nous avons en revanche un marché commun qui est évidemment un énorme levier de décarbonation. C’est pour ça que la taxe carbone aux frontières de l'Union européenne, qui devra s'appliquer à partir de 2026 et qui est contenue dans le Pacte vert, est très importante. C'est grâce à son marché intérieur, à son marché de consommateurs, que l'Europe va pouvoir déployer des leviers de décarbonation.

La question écologique est très populaire chez les jeunes. Avez-vous le sentiment que ce vote-à va être déterminant, sachant que dans le même temps, on connaît l'abstention qui peut être assez forte chez les jeunes?

Non, je ne pense pas que ce vote sera déterminant. Hélas, les jeunes votent malgré tout assez peu et c'est d'ailleurs un véritable problème. La génération qui vote le plus, c'est une génération qui sera moins concernée proportionnellement que les jeunes, par les enjeux du changement climatique, ceux de la perte de la biodiversité. Et donc effectivement, la question du vote des jeunes et globalement des générations qui sont les plus concernés, c'est un enjeu. De la même manière que territorialement, nous avons le même problème. En guise de provocation, j'ai envie de dire que ceux qui seront les plus concernés par le résultat des élections européennes, ce sont les Bangladais, les Soudanais ou les Afghans. Parce que la poursuite du Pacte vert va directement déterminer l'avenir climatique du Soudan, du Pakistan ou de l'Afghanistan. Sauf que ce ne sont pas les citoyens de ces pays qui mettront un bulletin dans l'urne le 9 juin prochain.

Que faut-il dire à un jeune Européen aujourd'hui pour qu'il aille voter?

Il faut que les jeunes réalisent à quel point l'essentiel des dispositions environnementales, l'essentiel de l'ambition climatique aujourd'hui est portée par l'Union européenne davantage que par les parlements nationaux. 

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03 juin 2024, 12:32