Aux Philippines, un prêtre primé pour ses efforts dans le dialogue interreligieux
Francesco Ricupero – Cité du Vatican
L’engagement du père Sebastiano D'Ambra pour promouvoir la paix et le dialogue entre chrétiens et musulmans sur l'île de Mindanao ont encouragé l'Église catholique des Philippines à lui décerner un prix tout particulier, la "Croix d'or de l'évêque Jorge Barlin".
Le père Sebastiano D'Ambra, de l'Institut pontifical des missions étrangères (PIME), est le fondateur du mouvement interreligieux Silsilah aux Philippines. Le prix "Croix d'or de l'évêque Jorge Barlin", est dédié à la mémoire du premier prêtre philippin à avoir été consacré évêque dans l'Église catholique en 1906.
La cérémonie de remise du prix a eu lieu le 7 juillet dernier, lors de l'assemblée plénière de la Conférence des évêques catholiques. Le père D'Ambra âgé de 82 ans et d'origine sicilienne, a également récemment reçu le prix "Don Santoro" du diocèse de Rome. Missionnaire aux Philippines depuis plus de 40 ans, il témoigne de son travail d'évangélisation dans l'archipel asiatique, abordant également les résultats que le Mouvement Silsilah a réussi à obtenir.
Quelle a été votre première réaction à l'annonce de ce prix?
Je suis heureux, surtout parce que l'Église des Philippines a reconnu non seulement ce que j'ai fait, mais aussi les différents aspects qui se sont développés à partir de mon travail au fil des ans. Au début de ma mission, j'ai contribué à la paix en tant que médiateur entre les groupes rebelles et les militaires. Ce fut une période difficile qui s'est achevée grâce aux négociations de paix, même si, personnellement, j'ai eu des problèmes avec les militaires au point que j'ai été obligé de quitter les Philippines en 1981.
Pendant cette période, j'ai étudié, approfondissant ma connaissance du dialogue avec l'Islam. À mon retour aux Philippines en 1983, j'ai proposé de créer le mouvement Silsilah (mot arabe signifiant "chaîne" ou "lien") aux musulmans et aux chrétiens et nous avons commencé à travailler ensemble en 1984. La Conférence des évêques catholiques des Philippines a ensuite reconnu le "Mouvement Dialogue Emmaüs" que j'ai fondé en 1987: un mouvement qui comprend des laïcs consacrés, des personnes mariées, des prêtres, des religieuses, des séminaristes, des jeunes et, depuis peu, un évêque.
Vous attendiez-vous à cette reconnaissance?
Non, mais je sais que la Conférence des évêques catholiques des Philippines s'intéresse à ce que nous faisons. C'est pourquoi ils ont voulu me décerner ce prix.
Comment avez-vous promu la paix et le dialogue entre chrétiens et musulmans à Mindanao?
Beaucoup d'efforts ont été nécessaires et de nombreux défis ont dû être relevés dès le début. En tant que missionnaire PIME, j'ai essayé de mettre en œuvre les directives du Concile Vatican II concernant le dialogue, qui était alors considéré comme faisant partie des «Nouvelles voies de la mission».
Lorsque j'ai commencé à Mindanao, la loi martiale était en vigueur, il y avait beaucoup de violence et de haine entre les chrétiens et les musulmans. De temps en temps, pour expliquer mon travail, je dis à mes amis que j'ai choisi certains des aspects les plus difficiles de la mission parce que le Seigneur m'a donné le courage et la force de suivre cette voie. Quant aux défis, ils sont encore nombreux, même si beaucoup de choses ont changé depuis que j'ai lancé le mouvement Silsilah et que j'ai été nommé secrétaire exécutif de la Commission épiscopale pour le dialogue interreligieux, poste que j'ai occupé jusqu'à il y a deux ans. J'y contribue toujours.
Êtes-vous satisfait des résultats obtenus?
Au fil des années, les résultats ont été nombreux, mêlés de souffrances et d'incompréhensions. Au début, il y avait des préjugés et de la suspicion, mais aujourd'hui, tout le monde s'intéresse davantage à la mission de l'Église, même si dans certains secteurs de la société, il y a encore des résistances et de la suspicion.
Quelle est la situation à Mindanao?
La situation est complexe. Toutefois, le gouvernement tente d'intervenir de diverses manières, notamment par un accord de paix et une forme [d'administration] autonome dans certaines régions de l'île à majorité musulmane. En outre, plus qu'auparavant, les groupes musulmans sont maintenant divisés et répartis dans différentes régions. Il est certain que le chemin synodal de l'Église nous aide; néanmoins, il s'agit d'un long voyage.
Quels ont été les principaux obstacles à votre mission?
En 1977, j'ai commencé par servir quelques communautés chrétiennes dans les montagnes, puis j'ai travaillé avec un groupe tribal appelé Subanon, mais à cause du conflit dans cette région, après deux ans, j'ai choisi de travailler avec les musulmans, en vivant avec eux et en agissant comme médiateur pour la paix.
Malheureusement, en 1981, mon groupe a été attaqué, un de ses membres a été tué et j'ai dû rentrer en Italie. J'ai traversé de nombreuses phases de la mission et j'ai dû prendre des décisions. Dans ce contexte, j'ai également travaillé pour la Conférence des évêques catholiques, d'abord avec Mgr Fernando Robles Capalla, qui m'a demandé de l'aider au sein de la Commission épiscopale pour le dialogue interreligieux, et plus tard, lorsqu'il a été nommé archevêque de Davao, je l'ai aidé en tant que secrétaire de la Commission du Forum Évêque-Ulama, qui est ensuite devenue la Conférence Évêque-Ulama. Ce fut une expérience intéressante sur le chemin du dialogue interreligieux, qui a en partie influencé les nations voisines telles que l'Indonésie et la Malaisie.
Pensez-vous que l'harmonie pourrait être renforcée à Mindanao à l'avenir? Quels sont les risques?
Je pense que le dialogue sera renforcé à l'avenir parce que l'Église philippine et l'Église universelle en général avancent dans cette direction, en particulier avec le chemin synodal. En même temps, je constate que de nouvelles difficultés se profilent à l'horizon de la paix mondiale. Le chemin de la paix passe par des épisodes de violence et je pense qu'il en sera de même ici.
Qu'avez-vous prévenu comme initiatives?
En tant que Mouvement Silsilah, nous en avons prévu plusieurs; l'une d'entre elles est en cours depuis 1987. Il s'agit du cours d'été pour les musulmans et les chrétiens, qui sera bientôt le 38e cours d'été. Au cours de ces années, nous avons eu des milliers de participants, dont beaucoup occupent aujourd'hui des postes à responsabilité dans l'Église et dans la société. Le mouvement Silsilah est également connu au niveau national pour l'organisation d'autres programmes de solidarité, de formation, d'attention aux Philippins à l'étranger, aux conditions carcérales, à la sauvegarde de l'environnement, que nous supervisons dans le cadre de notre mission et de notre vocation à promouvoir une culture du dialogue comme chemin vers la paix.
Notre dialogue a un fondement spirituel que nous avons transféré au Mouvement Emmaüs, qui s'adresse aux catholiques qui choisissent cette vocation et cette mission. À la faculté de théologie Emmaüs, les jeunes catholiques étudient pour obtenir une formation solide et devenir des leaders dans l'Église en vivant l'esprit du dialogue.
Êtes-vous en bons termes avec les dirigeants de la communauté islamique?
Nos relations avec les musulmans sont bonnes. Ils savent que Silsilah est un mouvement qui s'adresse à tous, même s'il a été lancé par un missionnaire catholique. Nous ne pouvons pas ignorer la présence de groupes terroristes ici comme dans d'autres parties du monde. C'est pourquoi nous sommes appelés à vivre dans le présent et à contribuer au bien et à la paix dans un esprit de fraternité universelle. Il reste encore un long chemin à parcourir.
Le mouvement Silsilah pourrait-il servir d'exemple à d'autres nations où les tensions sont fortes?
Il serait bon que le Mouvement serve d'exemple à d'autres nations. Au Japon, on demande que Silsilah soit reconnu par l'UNESCO. Le chemin de dialogue et de paix que nous avons entrepris est motivé par le désir de partager l'amour que Dieu a mis dans le cœur de chacun d'entre nous. J'affirme, pour l'avoir vécu parmi les rebelles, que dans le cœur de chaque personne il y a toujours un coin de paix. C'est dans cet esprit que je poursuis ma mission.
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