L’Afrique veut une meilleure représentation au Conseil de sécurité de l’ONU
Entretien réalisé par Augustine Asta - Cité du Vatican
Pour la première fois, les États-Unis soutiennent la création de deux sièges permanents pour les pays africains au Conseil de sécurité des Nations unies. Cela a été annoncé jeudi 12 septembre par l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, en amont de l’Assemblée générale des Nations unies à New-York. Parallèlement, quelques jours avant cette réunion annuelle, lors d'un Sommet de l’avenir organisé les 22 et 23 septembre, les États africains ont réaffirmé leur désir d’une meilleure représentativité au sein du Conseil de sécurité.
Cependant, Washington s'oppose à leur octroyer le droit de veto dont disposent les Etats-Unis mais aussi les quatre autres membres permanents que sont la Chine, la Russie, la France et le Royaume-Uni. Le Conseil de sécurité des Nations unies compte également dix autres membres non permanents élus par l'Assemblée générale pour un mandat de deux ans.
Seulement trois pays africains ont jusqu’ici eu un siège non permanent au Conseil de sécurité. Il s’agit de la Sierra Leone, de l'Algérie, et du Mozambique. Pourtant, le continent africain accueille 1,3 milliard d’habitants sur son territoire, soit 17% de la population mondiale. «Avec 54 États, l'Afrique représente 28% des 193 membres de l'ONU, et plus de 40% des soldats de la paix sont africains aujourd'hui», affirme Francis Kpatindé, maître de conférences à Sciences Po Paris. Entretien.
Peut-on dire aujourd’hui que l’ONU souhaite que des pays africains deviennent des membres permanents du Conseil de sécurité?
Jusque-là, les États-Unis s'étaient opposés à tout élargissement du Conseil de sécurité. La dernière réticence a désormais été franchie. Il faudra maintenant que le groupe Afrique aux Nations unies mais également l'Union africaine à Addis-Abeba, se réunissent, se concertent et travaillent pour donner une réponse adéquate à l'offre américaine. Les deux grandes puissances au sud du Sahara, l'Afrique du Sud et le Nigeria, sont candidates à un poste de membre permanent du Conseil de sécurité. En Afrique du Nord, vous avez l'Égypte, qui est également une puissance africaine, l'Algérie, le Maroc et l'Éthiopie qui abrite le siège de l'Union africaine. Il y a aussi le Sénégal qui aspire à avoir un poste de membre permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.
Il aura fallu quasiment 30 ans pour arriver à cette déclaration des États-Unis. Comment est-ce que tout cela va se mettre en œuvre?
L'offre américaine ouvre la voie à la discussion. Après, il faudra aller au-delà pour savoir pourquoi les africains accepteraient d'accéder au Conseil sans disposer du droit de veto comme la Russie, la Chine, la France, la Grande-Bretagne et les États Unis. La question va au-delà même de l'Afrique, puisqu'il y a l'Amérique latine qui n'a pas de membre permanent au sein du Conseil de sécurité, alors que vous avez des grands pays comme le Brésil et l'Argentine, qui pourraient valablement aussi y accéder. En Asie, un pays comme l'Inde n'a pas accès au Conseil de sécurité, en tout cas pas de façon permanente.
Quand l'ONU a été créée en 1945, il n'y avait que quatre pays africains autour de la table: l'Égypte, l'Éthiopie, le Libéria et l'Afrique du Sud. Ce sont les quatre pays qui étaient membres des Nations unies dès le départ. Par la suite, il y a eu les indépendances des pays africains vers la fin des années 50 et en plus grand nombre à partir de 1960.
Comment expliquer le fait que ce soutien des États-Unis n'arrive qu'en 2024?
Pour faire une réforme aux Nations unies, il faut des années. Il faut beaucoup de discussions parce que pour réformer par exemple le Conseil de sécurité, il faut réviser la Charte actuelle des Nations unies. Mais au préalable, il faudra d'abord l'accord unanime des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, mais également les deux tiers des membres de l'Assemblée générale. Moi je ne pense pas que l'Assemblée générale posera des problèmes pour réviser la Charte, mais il faudra faire attention au positionnement des cinq membres permanents actuels du Conseil de sécurité.
Avec l’élection présidentielle aux États-Unis, on ne sait pas comment cela va se passer. Est-ce que ce sera Kamala Harris, la présidente démocrate? Ou est-ce qu'il y aura un changement avec le retour au pouvoir de Donald Trump? Cette décision ne passera pas sous une présidence de Donald Trump.
Quelle est la prochaine étape à présent?
Les réformes aux Nations unies prennent beaucoup de temps parce qu'on y va lentement. Il faut réfléchir, surtout sur une question aussi épineuse. Et ce sera la première grande réforme depuis 1945. Il y a eu des petites réformes, mais celle-là, elle est d'importance et elle va bouleverser l'échiquier géopolitique mondial. Et donc pour ça, à mon avis, il faut compter plusieurs années. Comment voulez-vous que 28 % des membres acceptent depuis 1945 d'obéir aux injonctions et aux décisions prises par un petit noyau d’États? Ce n’est pas possible!
Les Nations unies, comme son nom l'indique, c'est tout le monde. Et il faudrait que l'Afrique prenne part aux grandes décisions concernant la sécurité internationale, concernant le maintien de la paix pour pouvoir faire avancer les dossiers. Quel est l'intérêt pour l'Afrique de fournir des troupes en aussi grand nombre si finalement c'est sont des décisions qui lui sont imposées? L'ONU, aujourd'hui encore, fonctionne comme au temps du colonialisme. On ne peut pas continuer ainsi au niveau des relations bilatérales. On ne peut pas non plus perpétuer ce système au niveau des relations multilatérales.
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