Pour se repenser dans la coopération internationale, l’Afrique doit investir dans l’éducation
Stanislas Kambashi, SJ – Cité du Vatican
Suite aux éclusions et frictions grandissantes entre les sociétés, l’Eglise ne cesse non seulement d’élever la voix, mais aussi de trouver des stratégies pour promouvoir un monde moins déchiré, plus uni et plus fraternel. Pour cette fin, l’éducation s’impose comme un des piliers sur lesquels il faut s’appuyer. En effet, «l’éducation a la capacité de construire les bases de la fraternité entre les hommes, les peuples et les cultures, permettant la rencontre des différences, avec pour objectif premier de construire un monde meilleur et de le faire grandir». C’est dans ce cadre qu’un symposium international a été organisé à l’Université Catholique du Sacré Cœur, à Milan, du 10 au 11 octobre. Cette rencontre scientifique a réuni plusieurs personnalités de cinq continents, dont des représentants du Vatican. Invité, Jean Paul Niyigena, Secrétaire de la Fondation Internationale Religions et Sociétés et professeur à l’université Louvain La Neuve, en Belgique, a notamment réfléchi sur la «coopération internationale : principes et critères». Pour ce professeur, l’Afrique ne peut mieux penser sa place dans le rendez-vous international du donner et du recevoir qu’en investissant dans l’éducation. Dans un entretien accordé à Radio Vatican – Vatican News, dont nous vous proposons l’intégralité, il a donné plus d’explications.
Professeur, comment peut-on penser la coopération internationale dans un monde marqué par plusieurs crises, dont les conflits armés?
Effectivement, cela a été l'objet de plusieurs interventions. Ce n'est pas que l'Afrique. Aujourd'hui, nous vivons une période de plusieurs crises. Il y en a au sens institutionnel du terme. On voit bien que beaucoup d'organismes internationaux qui ont été mis sur pied à l'époque, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, n'ont pratiquement aucun rôle spécial à jouer dans le sens de la paix dans le monde. On voit également que les conflits, le nombre des conflits ne cesse d’augmenter ici et là, que ce soit en Europe, en Afrique ou ailleurs. Et donc, il est grand temps de repenser la coopération entre les nations. Et mon intervention, du moins pour parler de ma contribution, allait dans ce sens, portant essentiellement sur la place de l'éducation dans cet exercice. Comment est-ce qu'aujourd'hui, à partir du pacte éducatif, par exemple, africain, qui a été un produit d'une coopération internationale, dans le sens où plusieurs universités, les églises d’Afrique, avec l'appui des églises du Nord et les scientifiques du Nord, peut engendrer l'expérience d'une coopération internationale. Parce qu'aujourd'hui, effectivement, c'est le Saint Père qui nous l'a dit au moment où on lui présentait ce pacte éducatif, qu'il faut effectivement penser en chœur, s'inspirant de ce proverbe africain qui dit que «pour éduquer un enfant il faut tout un village». Ceci montre aussi qu'au départ nos traditions africaines était déjà dans la coopération. Aujourd'hui il faut redécouvrir ces valeurs culturelles et traditionnelles africaines pour effectivement faire face à l'individualisme, au matérialisme, au capitalisme, à l'impérialisme, qui finalement sont les sources des conflits actuels. Donc nous sommes face à une culture de la violence, de l'égoïsme, qui conduit effectivement aux différents signes de fracture de la fraternité que nous voyons dans le monde à travers les guerres, les conflits et d'autres problèmes qui minent la fraternité de l'humanité.
Parlant de l'éducation en Afrique, quels critères, de quels principes peut-on partir pour pouvoir repenser cette éducation afin que l'Afrique ait sa place dans cette coopération internationale?
La question des principes et des critères est revenue à plusieurs reprises dans nos échanges. Aujourd'hui, les inégalités entre le Nord et le Sud se voient notamment à travers l'éducation. Il y a des collègues italiens qui ont fait des recherches et qui ont montré que l'Afrique est absente sur le marché, si on peut le dire ainsi, de la recherche. L'Afrique ne fait que consommer les savoirs, mais ne sait pas encore exploiter son monde à lui pour proposer au monde des savoirs nouveaux. Aujourd'hui nous sommes à la recherche des alternatives en termes de savoir, en termes d'épistémologie, en termes de méthodologie, parce qu'effectivement les systèmes qui jusqu'aujourd'hui ont dominé le monde sont en crise, ne parviennent pas à construire cette fraternité. Donc je pense qu'il est grand temps que l'école, l'éducation africaine soit repensée dans le sens de la mutualisation, dans le sens des échanges entre les universités africaines. Et là, nous y sommes, nous essayons de le faire, même si, effectivement, on sait bien que les moyens dont nous disposons ne nous le permettent pas toujours. Donc, c'est vraiment au niveau de la mobilisation, de la mutualisation des savoirs, mais aussi au niveau de la création de nouvelles dynamiques épistémologiques, de nouvelles dynamiques de savoir. Il faut aujourd'hui miser sur la collaboration entre les universités, mais une collaboration effective. De l'autre côté, je pense qu'il faut souligner, j'allais dire, la faiblesse des Etats africains à s'occuper même de l'éducation. Aujourd'hui, on continue à faire face aux problèmes d’enfants sans accès à l'éducation. Et là où on fait des efforts, les classes sont surpeuplées. Ne parlons pas du financement de la recherche. Donc, les défis sont énormes. Mais je pense que la dynamique portée par le pacte éducatif africain est en quelque sorte prophétique. Ce qu’il faut maintenant, c’est chercher des fonds pour que ce rêve de l'église d'Afrique soit une réalité, dans le sens de conjugaison des efforts, du travail d’ensemble. Ainsi peut-on espérer propulser l'Afrique, dans le sens de lui donner un souffle nouveau et un repositionnement nouveau, pour résister aussi aux dynamiques extérieures qui ne font que l'exploiter, qui ne font qu'en abuser.
L'Afrique a été abusée et est même désabusée jusqu'à aujourd'hui. On sent aussi du côté du Nord les collègues, il faut effectivement souligner ici par exemple, la présence et la participation de son excellence Mgr Zanni Vincenzo, actuel archiviste et bibliothécaire de la Sainte Église Romaine qui, comme vous le savez, a longtemps travailler dans le domaine de l'éducation et qui s'engage concrètement dans les partenariats qui construisent une éducation nouvelle, à travers son projet par exemple dans le diocèse de Kikwit en République démocratique du Congo. Il y a un partenariat possible, mais ce partenariat doit respecter un certain nombre de principes. Les principes qu'on a 'évoqué et qu'on essaye de mettre en place, c'est le respect mutuel, la reconnaissance, ainsi que la coopération internationale. Ce n'est pas une sorte de charité, encore moins une sorte de pitié. La coopération internationale doit être le lieu des rendez-vous, du donner et du recevoir. Chacun doit venir en se disant «mais qu'est-ce que je vais gagner»? Pour cela, il faut avoir des buts communs. Il faut aussi qu'on éduque les étudiants, les élèves, à travailler pour le bien commun, non pas pour leur tribu, non pas pour leur pays, non pas pour eux-mêmes seulement, mais pour le bien commun de l'humanité. Aujourd'hui, plus que jamais, le monde est un village.
Vous venez de souligner un élément important, la faiblesse des États africains quant à l'investissement dans l'éducation. Quel est votre appel, professeur? Ne faut-il pas justement insister que les États africains investissent davantage dans l'éducation afin de préparer l'avenir et que l'Afrique ne soit plus seulement le continent qui reçoit et consomme passivement, mais qu’il puisse apporter du sien dans le rendez-vous du donner et du recevoir?
Je pense qu'il ne faut pas non plus hésiter à le dire, l'Afrique a un passé de dominé, un passé de servitude, un passé colonial et même néocolonial: on vit dans le néocolonialisme. Donc il faut une prise de conscience de tout ce qu'aujourd'hui, tout ce qui s'impose à nous aujourd'hui comme défi. Aujourd'hui être un leader pour l'Afrique, c'est d'abord rêver pour l'Afrique. Un leader qui ne rêve pas pour son peuple ne va pas évidemment s'impliquer dans l'éducation. Parce qu'effectivement, l'éducation, c'est le lieu de l'anticipation. Lieu de l'anticipation, lieu de projets d'avenir. Donc, si on n'a pas de gouvernants qui soient capables d'anticiper le futur, d'investir massivement, massivement dans l'éducation, l'Afrique après 200 ans sera telle qu'elle est, sera toujours en conflit inutile, et avec ces conflits fratricides, on sera toujours dans la pauvreté, dans la misère. En effet, les premières personnes à défendre les intérêts de l'Afrique, ce sont les africains eux-mêmes. C'est vrai, il y a les hommes de bonne volonté ici et là, mais les premiers responsables sont d'abord les Africains. Et quand je parle des Africains, la responsabilité ultime incombe aux responsables politiques, politique au sens de ceux qui tiennent la gestion de la cité. Donc nous avons besoin d'investir massivement, massivement, je parle vraiment d'investissement massif, dans l'éducation. Sans l'éducation il n'y a pas de santé. Sans l'éducation il n'y a pas d'infrastructure. Sans l'éducation il n'y a pas de démocratie. Sans l'éducation il n'y a rien. Il faut repenser l'éducation.
Nous avons longtemps travaillé avec un système éducatif hérité de la colonisation, et c’est ce qu'on appelle l'école moderne et l'éducation scolaire.
Quel bilan pouvait en dresser, qu'est-ce que cette éducation a apporté à l’Afrique?
C'est vrai, il y a certaines avancées, mais regardez le nombre de chômeurs en Afrique. C'est-à-dire que l'école doit cesser d'être une machine qui fabrique les chômeurs, pour devenir à la fois un lieu qui prépare les éléments, les enfants de l'Afrique, capables de porter le bien commun et capables aussi de réaliser leur propre épanouissement. Nous avons eu une idée de l'école qui, en fait, se résumait à être seulement un moyen pour réaliser ses rêves personnels, pour acquérir une certaine richesse matérielle, personnelle. Maintenant, il faut vraiment changer la dynamique. Et il faut introduire dans l'éducation africaine l'amour de l'Afrique, l'amour du travail, le patriotisme. Mais quand je parle de patriotisme, ce n'est pas le patriotisme au sein des frontières héritées de la colonisation. Il faut qu'on retravaille aussi la notion du patriotisme, parce qu'aujourd'hui qu'est-ce que c'est que d'être de tel pays et de tel pays alors que tout le monde, tous les africains partagent la misère? Tous les Africains partagent finalement la même image aux yeux du monde: Ce qui compte ce n’est pas que tu sois togolais, ce n’est pas que tu sois le rwandais ou tanzanien. Aux yeux du monde tu es africain, tu viens d'un continent pauvre. Donc il faut qu'aujourd'hui on assume, on assume chacun ses responsabilités et en même temps qu'on puisse se mettre, j'allais dire, en mouvement. Nous comptons sur l'Église parce qu'effectivement ici je parle à l'intérieur et à partir de la dynamique ecclésiale, nous comptons vraiment sur l'Église. Elle aussi doit faire, en quelque sorte, un travail sur soi, repositionner l'éducation comme un endroit non seulement d'évangélisation, mais aussi de la concrétisation du mystère de l'incarnation. Le Christ a passé sa vie sur terre, non pas en racontant les histoires qui n'ont rien à voir avec la vie des gens. Il a été pour les pauvres, pour les plus démunis. Mais le plus démuni du monde entier aujourd'hui, c'est l'Afrique. Donc, l'Église doit aussi développer ce sens du développement anticipatif à travers l'éducation.
Merci beaucoup Professeur Jean-Paul Niguéna. Un mot pour conclure?
Un mot de la fin, c'est remercier encore une fois nos pasteurs, qui sont engagés dans l'éducation depuis un certain temps, depuis quelques années, et qui sortent, j'allais dire, des cadres traditionnels pour effectivement embrasser de nouvelles dynamiques de coopération au service de l'éducation et au service de la valorisation de la place de l'Afrique dans le monde et dans l'Église.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici