Le régime syrien, victime collatérale de la guerre entre l'Iran et Israël
Entretien réalisé par Olivier Bonnel - Cité du Vatican
Le 14 octobre, Tsahal a affirmé avoir intercepté deux drones qui s'approchaient du territoire israélien depuis la Syrie. Depuis plusieurs mois l'armée israélienne effectue des frappes sur le pays, visant des objectifs stratégiques et militaires, souvent présentés comme des dépôts d'armes en provenance de l'Iran et destinées à être utilisées contre l'État hébreu. Un conflit à bas bruit qui faisait peu la une des médias mais qui, alors que le conflit s'élargit dans la région, revient sur le devant de la scène.
Le régime syrien doit sa survie au parrain iranien et à ses supplétifs régionaux, Hezbollah libanais en tête. Aujourd'hui, à l'heure où Israël est entrée au Liban jurant de neutraliser la milice chiite, la question de la survie du régime de Bachar al-Assad est posée, alors que la Syrie est le pays majeur de transit de l'armement iranien vers le Liban. Analyse de Fabrice Balanche, chercheur spécialiste de la Syrie. Il est notamment l'auteur du livre Les leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024).
Comment a évolué la politique d'Israël vis-à-vis de Damas alors que l'État hébreu semble engagé dans une guerre sans merci contre l'Iran et ses alliés dans la région?
La doctrine à l'égard du régime syrien semble avoir changé au cours de ces dernières années. Pendant la guerre civile syrienne, les Israéliens se posaient la question de savoir s'il fallait "conserver le diable", à savoir le régime Assad ou se risquer vers l'inconnu c'est à dire privilégier l'opposition, les islamistes, etc. Finalement, ils ont préféré se tenir en marge du conflit en se disant que le diable que l'on connaissait était satisfaisant. Seulement, à partir de 2020-2021, ils se sont rendus compte que la Syrie était devenue un protectorat iranien et que Téhéran avait ainsi une autoroute pour livrer des armes au Hezbollah libanais et 150 000 missiles. Les roquettes dont dispose le Hezbollah libanais ne sont pas arrivées par avion ou par bateau mais par voie terrestre depuis l'Iran à travers la Syrie. Et là, les Israéliens ont évidemment commencé à s'inquiéter. Les faucons se sont dit que finalement, une chute du régime d'Assad, son remplacement par une opposition sunnite alignée sur l'Arabie saoudite et la Turquie, qui couperait cet axe géopolitique entre Téhéran et Beyrouth -que certains appellent le croissant chiite- permettrait de sécuriser Israël. Après le 7 octobre 2023, les Israéliens ont mis en garde Bachar al-Assad, lui disant que s'il bougeait il pourrait en payer les conséquences. C'est pour cela que le président syrien a annulé sa participation à la COP de Dubaï en novembre, qui devait permettre de le réhabiliter sur la scène internationale. Il a sans doute eu peur que son avion ne rencontre malencontreusement un missile israélien.
Pouvez-vous nous rappeler l'importance du Hezbollah dans l'appareil politico-sécuritaire syrien?
Dès 2012, le Hezbollah est intervenu en Syrie pour soutenir le régime syrien à la demande de l'Iran, mais également de sa propre initiative, car le Hezbollah savait que si le régime syrien tombait, c'était lui la prochaine cible. Il aurait été complètement isolé au Liban et il aurait pu être lui aussi attaqué. Le Hezbollah a ainsi maintenu en Syrie en permanence 10 000 hommes qui tournaient tous les six mois, remplacés lorsqu'il y avait des pertes, des blessés, et il a pris part aux principales offensives, comme lors des batailles de Deir Ezzor ou d'Alep en 2016. À Deir Ezzor, c'est l'intervention décisive du Hezbollah qui a empêché l'enclave gouvernementale de tomber entre les mains de Daesh. Mais le Hezbollah a surtout créé le Difa'a al-Watani, la "défense nationale", c'est à dire les paramilitaires qui ont épaulé l'armée syrienne et qui se sont révélés beaucoup plus efficaces que celle-ci parce qu'ils connaissaient le terrain et pouvaient mener des actions de guérilla contre les rebelles, que l'armée syrienne n'était pas capable de faire. Le Hezbollah a par ailleurs assuré la sécurité de Damas et des grandes voies de communication en supervisant finalement l'armée syrienne. La situation sécuritaire côté régime, s'est ainsi beaucoup améliorée. Encore aujourd'hui, la milice chiite participe au maintien de l'ordre, à la préservation du régime syrien, aux côtés de dizaines de milliers d'autres miliciens chiites venus d'Irak, du Pakistan, ou d'Afghanistan. C'est elle encore qui contrôle la frontière libanaise. Enfin le Hezbollah participe à la production de drogue, le Captagon, dont la Syrie est devenue l'un des premiers pays producteurs au monde.
Depuis un an et depuis l'intensification des opérations israéliennes dans la région contre le Liban notamment, quelle est l'équation qui se pose au régime syrien?
Pour Bachar al-Assad, c'est celle de sa survie politique. Pour survivre, il a besoin de l'Iran qui lui fournit environ 50 000 miliciens chiites qui compensent la perte de sa garde prétorienne, car la communauté alaouite a été saignée à blanc pendant la guerre et donc il n'a plus assez de force militaire pour contrôler le régime uniquement avec des Syriens. Bachar a donc besoin de cette force milicienne fournie par l'Iran. Il a aussi besoin de l'aide économique de l'Iran qui tient la Syrie à bout de bras, lui fournit le pétrole ou de la nourriture. Le président syrien ne peut pas dire non à l'Iran. Téhéran utilise son territoire, les bases militaires syriennes pour ravitailler le Hezbollah, voire pour frapper Israël et coordonner son combat contre Israël. D'où les frappes israéliennes qui ont eu lieu sur le consulat iranien à Damas lorsqu'ils ont eu vent de réunions des Gardiens de la révolution avec le Hezbollah. Si Israël venait à bombarder la Syrie pour empêcher ces transferts d'armes, bombarder les centrales électriques, les raffineries ou les aéroports, le régime syrien se retrouverait complètement à plat, sans aucune défense. Bachar al-Assad peut être victime à la fois d'une révolte interne, mais aussi de ce conflit entre Israël et le Hezbollah, et les risques d'une nouvelle guerre civile sont présents en Syrie même si, évidemment, la population syrienne ne veut pas de la guerre. Elle a tellement souffert pendant ces presque quinze dernières années qu'aujourd'hui elle aspire avant tout à la paix.
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