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Vue générale des tombes des tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 par l'armée française, au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar. Vue générale des tombes des tirailleurs sénégalais tués le 1er décembre 1944 par l'armée française, au cimetière militaire de Thiaroye à Dakar.  (AFP or licensors)

80 ans du massacre de Thiaroye, l’archevêque de Dakar déplore «des blessures profondes»

Dimanche 1er décembre, le Sénégal commémore le 80e anniversaire du massacre de tirailleurs sénégalais et ouest-africains par les forces coloniales françaises à Thiaroye. C’était le 1er décembre 1944. Pour l’archevêque de Dakar, Mgr Benjamin Ndiaye, il y a lieu de «réécrire l'histoire pour dire les faits tels que déroulés, et de les reconnaître. Non pas dans un esprit de règlement de compte, mais pour que l'on sache d'où l'on vient, et faire en sorte que ces drames soient dépassés».

Entretien réalisé par Myriam Sandouno – Cité du Vatican

C’est un «massacre» marquant l’histoire du Sénégal et d’un continent, qui a été reconnu par le président français, dans une lettre adressée jeudi 28 novembre à Bassirou Diomaye Faye, actuel chef d’état du Sénégal. Emmanuel Macron estime que «la France se doit de reconnaître» qu'il y a eu un «massacre» dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, le 1er décembre 1944. L’ancien président français François Hollande avait lui évoqué en 2014, «une répression sanglante» menée par l’armée française contre des centaines de tirailleurs ouest-africains, qui réclamaient le paiement de leurs indemnités.

La Seconde Guerre mondiale touchant à sa fin, des centaines de tirailleurs regagnaient le continent africain. Le 1er décembre 1944, plus de 1 600 tirailleurs sont rassemblés dans le camp militaire de Thiaroye. Alors qu'ils réclamaient le paiement de leurs primes, l’armée française tire à l’arme automatique sur la masse des tirailleurs africains.

Dimanche 1er décembre 2024, le Sénégal commémore le 80e anniversaire de ce drame. Ces commémorations, affirme l’archevêque de Dakar, permettent de «revisiter notre histoire pour l'assumer», mais, a-t-il conseillé, «pas dans un esprit de vengeance». Dans une interview accordée aux médias du Vatican, Mgr Benjamin Ndiaye évoque «un cri de cœur pour une reconnaissance des droits humains».

Le drame de Thiaroye marque une page de l'histoire du Sénégal, de l'Afrique. Que revendique à travers cette commémoration, en particulier, cette jeunesse d'aujourd'hui affectée par le passé?

Les blessures sont profondes parce qu'il nous faut rejoindre plusieurs faits historiques. Bien avant le drame de Thiaroye, il y a eu la tragédie de l'esclavage à travers la traite transatlantique. On n’oublie parfois qu’avant même la traite transatlantique, il y a eu la traite transaharienne. La revendication de la jeunesse aujourd'hui, c'est d'être reconnue dans sa véritable identité humaine et d'être respectée comme telle. Il n'y a pas d'esprit de vengeance, c'est un cri de cœur pour une reconnaissance des droits de tout Homme.


Comment percevez-vous la reconnaissance récente de ce massacre par la France?

Avec respect, je dois dire que la France me semble aujourd'hui acculée à reconnaître les choses qu'on a essayé de nier par le passé, ou de découvrir d'une manière ou d'une autre. La recherche identitaire de la jeunesse africaine, c'est qu'on doit réécrire l'histoire pour dire les faits et les reconnaître tels que déroulés. Non pas dans un esprit de règlement de compte, mais pour que l'on sache d'où l'on vient, quels drames ont été vécus et comment faire en sorte que ces drames soient dépassés. Quand Jésus dit que c'est la vérité qui fait de nous des hommes libres, il pense que ce devoir de vérité est une exigence pour pouvoir établir le cadre d'une coopération plus franche et plus fraternelle.

Le président Diomaye Faye demande une réparation de justice au-delà de la reconnaissance. Qu'en dites-vous?

La réparation ne peut être que symbolique. On ne peut pas réparer une vie qu'on a supprimée. Si par la reconnaissance de la culpabilité on peut s'engager à faire des actions qui bénéficient aujourd'hui aux populations qui sont là, c’est tant mieux. Le drame a été vécu, il y a des gens qui sont morts. Que cela nous serve de leçon pour vivre mieux et vivre plus authentiquement en humanité.

Quel est le message que l'Église veut véhiculer à cette occasion?

L'Église est vraiment pour cette valeur humaine à respecter. Elle est aussi pour la préservation des conditions d'un vivre ensemble dans le respect de nos différences. Nous avons de ce point de vue-là, des défis majeurs, au Sénégal actuel. Nous sommes, où je me situe, une petite communauté chrétienne dans une grande majorité musulmane. Attention à ne pas vouloir stigmatiser telle ou telle minorité. 

Nous sommes Sénégalais, et il faut que chacun soit respecté dans son identité propre. Que cette leçon d'histoire ne soit pas seulement l’occasion de faire la leçon aux autres, mais de se pencher sur les défis auxquels on doit répondre aujourd'hui, pour reconnaître à chacun dans la réalité, sa dignité.

C'est trop facile de récupérer l'histoire à des fins partisanes, cette histoire doit interpeller chacun à faire un examen de conscience, et se poser la question: «est-ce que je respecte mon semblable?». Ce n'est pas seulement une histoire entre colonisateurs et colonisés, mais c'est aussi une histoire interne entre Sénégalais qui doivent se regarder face à face, pour se respecter comme il le faut.

Entretien avec Mgr Benjamin Ndiaye, archevêque de Dakar

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29 novembre 2024, 17:38