Sécheresse et inondations: l’Afrique de l’Ouest dans une insécurité alimentaire sans précédent
Stanislas Kambashi, SJ - Cité du Vatican
Le désespoir sévit dans le Sahel après des séries d’inondations ayant frappé au moins cinq pays frontaliers: le Mali, le Niger, le Nigeria, le Tchad et le Cameroun. Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Le Fond des Nations Unies pour l’Alimentation (FAO) alerte sur une insécurité alimentaire dans cette région. Des milliers d’hectares de terres sont sous l’eau. On ne peut donc espérer une prochaine récolte. Plusieurs têtes de bétails ont également été perdu. Déjà, une longue sècheresse avait précédé, dessinant une situation alimentaire critique. On ne peut pas non plus oublier la situation sécuritaire précaire dans cette zone, causant de grands mouvements des peuples, laissant derrière eux leurs cultures. Cette triple contrainte présage une forte carence de nourriture pour cette population déjà soumise à d’autres grands défis. Nous avons reçu en entretien Mohamed Sankoumba Fadiga, spécialiste sous-régional en résilience du bureau de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest. Il nous fait état de cette situation, expliquant ses principales causes. Il nous rend aussi compte des pistes de solution conçues par la FAO Afrique de l’Ouest pour, non seulement trouver des solutions à l’urgence qui s’impose, mais aussi prévenir que le même drame ne se répète dans l’avenir. Nous vous proposons l'intégralité de l'entretien.
Nous assistons depuis quelques mois à une vague d’inondation dans plusieurs pays africains particulièrement en Afrique de l’Ouest. Quelles sont les causes de ce phénomène?
Ce sont des innovations inédites, qui en réalité sont une manifestation des effets du changement climatique qui en est la principale cause. En effet, la sous-région d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique centrale aussi d'ailleurs, notamment les pays de la bande sahélienne, subissent régulièrement les effets du changement climatique, avec une alternance des extrêmes sécheresses - inondations. Ainsi entend-t-on parler des phénomènes El Nino et La Nina, qui sont véritablement à l'origine de ces inondations. C’est en effet une combinaison d’affluences pluviales qui se sont produites dans la Sous-région entre septembre et octobre, et le problème du mauvais habitat qui ont conduit à cette catastrophe. Les écoulements de cours d'eau, notamment au Tchad, au Sénégal ou en Guinée, sont les conséquences directes d'importantes quantités d'eau tombées sur ces territoires, ce qui se traduit en inondations. A cette cause majeure s’ajoute, bien sûr, la problématique d'occupation inappropriée de l'espace. Il s’agit précisément de l'installation d'habitations dans les zones parfois très vulnérables, dépourvues d'infrastructures et d'aménagements qui soient adéquats. Voilà ce que nous entendons par facteurs combinés, source de ces inondations.
Comment se présente exactement la situation dans les pays de l'Afrique de l'Ouest et particulièrement au Sahel?
Nous comptons aujourd'hui environ quinze pays de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale touchés par les inondations. Les dégâts sont importants: des infrastructures détruites, des routes bloquées, des points, des ponts, des barrages cassés, coupant les chaînes de communication et d'approvisionnement. Parfois même, ce sont des villages entiers déplacés. Aujourd'hui, on dénombre au moins 7,1 millions de personnes victimes, parmi lesquelles le nombre le plus important au Tchad, avec 1,9 million de personnes affectées. Viennent ensuite le Niger, 1,3 million, et le Nigéria 1,2 million. Il y a d’autres cas non moins considérables en Guinée avec 176 000 personnes impactées et au Sénégal récemment, 103 000 personnes impactées. Par ailleurs, ces inondations se sont produites en pleine campagne agricole dans la sous-région. Plus ou moins 3,8 millions d'hectares de terres sont inondées.
Quels sont les impacts de ces inondations sur la sécurité alimentaire et les moyens d'existence des communautés victimes?
Je viens de mentionner qu’environ 3 millions d'hectares de terres qui sont des terres agricoles, des champs, sont inondées, cela s’ajoutant aux 128 000 têtes de bétail perdues dans les inondations. Tout cela dans une sous-région déjà en situation de sécurité alimentaire très instable, avec 52 millions de personnes menacées par la faim. Les deux principaux facteurs multiplicateurs de ce phénomène sont les changements climatiques et plus encore ces inondations. Au Nigeria, par exemple, des milliers de terres arables ont été dévastées, équivalant à 850 000 tonnes métriques d'aliments perdus, des aliments qui pouvaient nourrir 8,5 millions de personnes, pendant six mois. On peut donc imaginer l'impact que ces inondations ont sur les moyens d'existence des communautés, sachant que l’agriculture est l'activité principale dans la sous-région, agriculture avec A majuscule. A ceci s’ajoutent les nombreuses destructions, destruction des stocks agricoles, ponts et les routes, perturbant les flux commerciaux et l'approvisionnement de certaines zones reculées.
Quelle a été la réponse de la FAO à cette situation?
La FAO, a été présente dès les premiers jours, d'ailleurs avant même les inondations, notamment par l’organisation des systèmes de suivi et d’appui technique au pays. En effet, la FAO a mis en place depuis l'année dernière un dispositif de suivi des impacts des inondations sur l'agriculture. Ceci constitue le premier pilier et le plus fondamental pour nous, parce qu’il concoure à la prévention. Il s’agit ici des analyses. Pour cela il faut avoir des éléments, des informations qui aident à la prise de la décision. Par ailleurs, dans les pays durement touchés, la FAO a mobilisé des fonds internes. Nous avons une agence qui mobilise des fonds à l’interne, nommée «France verra», qui fournit un soutien d'urgence agricole immédiat aux ménages affectés, les aidant à préserver leurs moyens d'existence. Dans l'assistance, spécifiquement, l’assistance se fait, soit en espèces, soit sous forme de participation dans les actions locales, ce qui favorise un retour de l’investissement énorme. Ceci est un pilier important aujourd'hui. On a coutume de dire mieux vaut prévenir que guérir. L'action d'anticipation va dans ce cadre-là. Elle renforce les moyens, les capacités des systèmes existants en termes de early warning early action, c'est à dire les systèmes d'alerte précoce. Il y a quatre principaux piliers que nous mettons en exécution lorsqu'il s'agit d'apporter une réponse. Le premier pilier, c'est celui lié à la compréhension du risque et l'analyse des données. Le deuxième pilier, c'est celui de la réponse rapide: la préparation anticipative au désastre et la réponse rapide. Le troisième pilier, concerne tout ce qui est consolidation et renforcement de la résilience. Le quatrième pilier est celui de la coordination. Celle-ci est primordiale, parce qu’elle permet de pouvoir avoir tous les acteurs autour de la table, autour du nexus humanitaire: le «Paix et développement au service des communautés».
À combien pourrait s’évaluer en chiffre l'aide apportée ou déjà apportée aux différentes populations de l'Afrique de l'Ouest dans cette lutte contre l'insécurité alimentaire du fait de ces inondations?
La FAO a lancé un appel d'urgence pour qu’une réponse concrète soit trouvée à ce problème d’inondations en Afrique de l'Ouest et Afrique du Centre. Cet appel vise essentiellement le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, la République démocratique du Congo, le Mali, le Nigéria, la République centrafricaine. Par ailleurs, nous fournissons un appui aux autres pays qui ont été affectés, notamment la Guinée et le Sénégal. Le besoin financier a été évalué autour de 70 millions de dollars. Ces 70 millions de dollars permettront de fournir aux populations les plus touchées par les inondations une assistance agricole. Avec cela, il leur aura été permis de sauver leurs vies et leurs moyens de subsistance, mais aussi la protection et la restauration des moyens de production qui ont été endommagés. Puis qu'il faut aussi une sortie de crise, il faudra encore réfléchir sur le renforcement de la résilience des communautés qui sont exposées aux inondations en améliorant les mécanismes de gestion des risques de catastrophes. Il s’agit notamment de prendre en compte le changement climatique et développer des capacités d'adaptation à ce cycle. Ceci est le seul moyen d’éviter la répétition de ce cycle infernal.
En plus des inondations, quelles sont les autres facteurs qui affectent la sécurité alimentaire en Afrique de l'Ouest?
Comme je le disais tantôt, on enregistre aujourd'hui, selon les données du cadre harmonisé, plus ou moins 52 millions de personnes exposées à une faim grave dans cette région. Cet outil du cadre harmonisé que la FAO appuie systématiquement, a révélé que l'insécurité politique, c’est-à-dire l'instabilité socio-politique, est le principal facteur, cette crise alimentaire dans la sous-région. On ne peut certes oublier les chocs économiques externes, qui sont une conséquence, bien évidemment, des effets conjugués et résiduels de tout ce qu'on a connu comme Covid, guerre russo-ukrainienne etc. Tous ces éléments, de manière connectée et prolongée, ont un impact sur la sécurité alimentaire, l'instabilité sociopolitique étant le principal. Ce sont des problèmes structurels dans la plupart des secteurs économiques qui sont par ailleurs sous-jacents au secteur agricole, et qu'on doit d'atteindre pour résoudre le problème de la faim.
Parlant du continent africain de manière générale, quelle lecture faites-vous de la situation sécuritaire alimentaire, quand les statistiques rapportent que les statistiques, l’Afrique possède 65% des terres arables non cultivées, et aussi une population très jeune, qui peut donc servir de main d’œuvre?
A ceci on peut ajouter la disponibilité de l’eau, quelque chose dont on ne parle pas assez. En effet, aujourd'hui on parle de stress hydrique dans certaines parties du monde. Sur le continent africain par contre, et la bande sahélienne en particulier, on a l'un des réservoirs les plus importants en eau souterraine. C'est un potentiel énorme qui n'est pas exploité par les communautés, faute de moyens, bien sûr. A ce niveau, un plaidoyer doit être fait sur la gestion durable des ressources en eau pouvant assister les communautés. Aujourd'hui on a, certes, une situation quelque peu précaire, avec des potentialités énormes. Malheureusement, comme je l'avais dit auparavant, on a ces poches de conflits. Le conflit au Soudan, par exemple, a un impact direct sur le Tchad en termes du nombre de personnes déplacées et des réfugiés. Il y a autant des conflits dans la sous-région: l'instabilité dans les zones de Liptako-gourma et du bassin du lac Tchad qui ont aussi un impact sur le pays, étant donné que les populations sont appelées à se déplacer et abandonner leurs actifs productifs, les mettant dans une situation de précarité. Mais qu'à cela ne tienne, moi je pense qu'il faut avoir un speech positif sur les potentialités, les grandes potentialités que l'Afrique de l'Ouest a dans le cadre du secteur agricole. Ces potentialités qui pourraient être mises à profit par les nouvelles générations. Et la FAO, est prête à pouvoir fournir une assistance dans cette perspective. Et pour cela, il faut mettre en avant une approche de système alimentaire résilient, qui permettrait vraiment d'insérer tous les acteurs dans les différents maillons des chaînes de valeur, permettant à chacun de mettre en avant ses avantages comparatifs et ses capacités dans le secteur qui lui est le plus propice. Ceci permet d’établir une sécurité alimentaire beaucoup plus durable.
Un mot de la fin?
Le changement climatique est une réalité que nous vivons au jour le jour et qui impacte directement les moyens d'existence des communautés. Au vu de des tendances enregistrées, nous pourrions être confrontés de manière plus régulière «aux extrêmes»: inondations - sécheresses, avec des répercussions directes sur la sécurité alimentaire, qui est déjà fragile. La FAO exhorte les partenaires des Etats membres de la sous-région à renforcer le système d'alerte précoce et d'analyse des données pour pouvoir toujours avoir une réponse anticipée, à travers des actions préventives efficaces et en temps utile. Nous avons vu l’événement malheureux qui s'est passé à Valence, en Espagne. Ce sont des épisodes qui se passent un peu partout dans le monde. On ne pourra jamais assez répéter qu’il faut un renforcement des systèmes d'analyse des données et d'alerte précoce, et développer des mesures d'adaptation au climat et au soutien économique. Aussi, on doit parvenir à une extension des conflits dans la sous-région. Les conflits sont la cause principale de la crise alimentaire. Nous devons prioriser la pacification de la région, tout en renforçant le soutien économique aux communautés et aux pays. Ainsi, nous lançons un appel à nos partenaires pour que nous arrivions à mettre en place des mécanismes de financement qui soient multisectoriels pluriannuels, souples en raison du caractère prolongé et dynamique, compte tenu des conflits. En dernier lieu, je voudrais faire un plaidoyer en faveur d'un partenariat solide entre toutes les parties prenantes du programme de développement, soit-il humanitaire, économique ou sécuritaire. Tout ceci, bien sûr, sous l'égide et le leadership des pays.
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