Cyclone Chido: «Mayotte va mettre une décennie à s’en remettre»
Entretien réalisé par Alexandra Sirgant - Cité du Vatican
Un dernier bilan faisait état de 20 morts ce lundi 16 décembre, mais il pourrait s’élever à plusieurs centaines selon les autorités. Les secouristes continuent d’affluer sur l’archipel français dans l’espoir de retrouver des survivants sous les décombres, 48 heures après le passage du cyclone Chido.
Marc Bulteau est le délégué à Mayotte du Secours Catholique. Actuellement coincé à Anjouan, île comorienne située à une centaine de kilomètres de Mayotte, le délégué de Caritas échange constamment depuis 48h avec ses équipes sur place qui témoignent d'une situation «apocalyptique».
Quels sont les retours que vous avez sur le terrain de la situation à Mayotte?
Ce n'est plus catastrophique, c'est apocalyptique, il ne faut pas avoir peur des mots. Certains comparent cela à des villes bombardées. Nous avions à peu près 100 000 personnes qui vivaient dans un habitat précaire, c’est-à-dire des bidonvilles, et tout a été rasé, il n’y a plus rien qui tient debout. Cela veut dire qu’il y a au minimum 100 000 personnes qui sont aujourd’hui sans abris, et une bonne part d'entre eux sont des migrants en situation «irrégulière», et donc ils sont souvent peu enclin à aller rejoindre des lieux de sécurisation qui sont organisés par l'État car ils ont très peur ensuite d'être expulsé.
Pour ce qui est de l'habitat solide, même certains bâtiments qui ont été construits avec des normes antisismiques ont été secoués. Je ne sais pas si vous avez vu par exemple l'état des locaux de Mayotte La Première. C'est la chaîne de télévision locale, dont le bâtiment venait d'être inauguré dans des normes tout à fait modernes et pourtant, il lui-même a été gravement touché.
On a une multitude de bâtiments publics qui ont été touché: les casernes de pompiers, l’hôpital… L'aéroport de Mayotte-Dzaoudzi a subi d’important dégâts, la tour de contrôle n’est actuellement plus opérationnelle, seuls les avions militaires peuvent y atterrir.
Les voies navigables, c'est-à-dire celles qui relient la Grande-Terre à la Petite-Terre, les deux îles principales de Mayotte, sont pour une partie d’entre elles inutilisables, et les deux seules qui semblent fonctionner servent au ravitaillement d’urgence et à l’acheminement des secours.
Le bilan provisoire est pour le moment de 20 morts mais les autorités craignent qu’il y en ait des centaines…
Cela va être extrêmement compliqué à comptabiliser pour au moins deux raisons: la première, c’est que les migrants sans papiers ne vont pas forcément se rapprocher des autorités pour faire part des enterrements auxquels ils ont assisté. La deuxième, c’est que comme nous sommes en terre d’Islam, pour beaucoup de gens, les personnes décédées doivent être enterrés dans les 24 heures, et les 24 heures sont passées. Donc, on compte beaucoup sur le bouche-à-oreille pour arriver à avoir un chiffre le moins éloigné de la réalité mais de toute façon cela va être très compliqué.
Depuis ce lundi, les secours commencent à pouvoir rejoindre l’ensemble de l’île, et on va vraisemblablement découvrir sous les décombres le nombre de personnes qui sont décédées, sans parler des blessés graves. Il y en a beaucoup, l'hôpital est actuellement surchargé de gens aux urgences.
Donc la situation est vraiment apocalyptique, avec des coupures d’eau, des coupures d’électricité et des pillages. Très vite deux problèmes majeurs sont se poser: l'accès à l'eau potable et l'accès à l'alimentation.
Les secours sont désormais engagés dans une course contre la montre, car après un tel événement, chaque heure compte?
Complètement, c'est compliqué. Mais il ne faut jamais oublier que les premiers secouristes ce sont les habitants eux-mêmes. On parle toujours de quelques dizaines de secouristes et de pompiers qui viendraient de la métropole, de la Réunion ou d’ailleurs, mais il ne faut jamais oublier que les premiers secouristes sont les habitants eux-mêmes! Je vois nos propres bénévoles au Secours Catholique, ils ont à peine pris le temps de s'occuper de ce qu’il se passait chez eux, dans leur domicile propre, pour tout de suite venir aux nouvelles !
En plus, se rajoute à cela la problématique de l’insularité, le fait d'être une île. On a, par rapport à un tel cataclysme, des effectifs totalement insuffisants en termes de sécurité public. Le pont aérien est actuellement en mauvais état, seuls des avions militaires peuvent se poser. Et les bateaux ils vont mettre des jours et des jours avant d'arriver. Donc il faut vraiment compter sur l'engagement et la résilience de la population car, de toute façon, si on veut sauver des vies, ce n’est pas dans trois jours, mais c'est maintenant.
Comment se portent les bénévoles du Secours Catholique à Mayotte?
Sur place on a cinq salariés et à peu près 80 bénévoles, et on doit accompagner entre environ 300 à 400 personnes. Donc petit à petit, on commence à avoir des nouvelles, et, dieu merci, pour l'instant pas de blessé grave ou de décès parmi nos bénévoles. Mais par contre, nombre d'entre eux vivaient dans les bidonvilles et n'ont plus de toit. Notre priorité c'est de les recenser, de reprendre contact avec chacun, de mesurer leurs besoins, et c’est pareil pour les personnes que nous accueillons.
Vous craignez une crise alimentaire massive?
Les stocks ici sont extrêmement faibles. Les avions vont acheminer des médicaments et tout ce qui est essentiel, mais pour tout ce qui est nourriture, nous avons de besoins énormes qui peuvent seulement être acheminés par navires, mais les navires mettent un temps fou à arriver car nous sommes à l’autre bout du monde.
Nous allons mettre, je pense, une décennie à se remettre de cette affaire, car c'est quand même le plus grand cyclone depuis au minimum 1934. Mayotte va mettre au moins dix ans à se remettre complètement de ce qu’il se passe parce que derrière l'habitat, il y a aussi tout ce qui est de l'ordre de la sécurité alimentaire. La production agricole a été mise a plat. Il n’y a plus rien! Toute la production vivrière, tous les arbres fruitiers sont effondrés. C’est une véritable catastrophe. Cela ne pouvait pas être pire, le cyclone est passé juste au-dessus de Mayotte…
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici