Des enfants à l'arrière d'un bus dans la ville de Jobar Des enfants à l'arrière d'un bus dans la ville de Jobar  (AFP or licensors) Histoires d'Espérance

En Syrie, l’espoir d’un avenir «pluriel»

Le père jésuite Vincent de Beaucoudrey, directeur du JRS, Service des Jésuites pour les réfugiés pour la Syrie, installé dans le pays depuis plusieurs années, à Homs, puis à Damas aujourd’hui, est un témoin direct des bouleversements qu’est en train de vivre la population.

Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican

C’est à Damas que nous nous rendons, quelques jours à peine après la chute du régime et la fuite du président Bachar El-Assad. Les scènes de liesse cèdent peu à peu la place au retour à une vie normale, au fur et à mesure que les nouvelles autorités s’installent et rassurent sur leurs intentions et l’avenir du pays. Malgré une histoire étroitement liée à l’islamisme radical, Abou Mohammad al-Jolani, le chef des rebelles du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), et nouvel homme fort du pays, affirme vouloir construire une Syrie «plurielle», dans laquelle toutes les communautés auront leur place.

Après avoir passé plusieurs années à Homs, où Vatican News l’avait rencontré à l’occasion d’un reportage en 2021, le père jésuite Vincent de Beaucoudrey est aujourd’hui dans la capitale où il dirige la branche syrienne du JRS, le Service des Jésuites pour les réfugiés. Il témoigne des premières heures de cette nouvelle Syrie qui voit le jour, pleine d’espérance et emplie d’incertitude.

Père Vincent de Beaucoudrey, nous nous sommes rencontrés il y a trois ans maintenant à Homs et le contexte n'était pas du tout le même. À la lumière des événements qui se sont passés dernièrement dans l'ensemble de la Syrie, et alors que maintenant vous vous trouvez à Damas, quelle différence faites-vous entre le contexte dans lequel vous étiez il y a trois ans à Homs et aujourd'hui à Damas?  

Il y a plein de grosses différences. Et puis au fond, il y a plein de points communs, évidemment. Politiquement, ça n'a rien à voir. Les angoisses ne sont pas les mêmes. Mais il reste ce fait que le pays est par terre, que l'économie est par terre, que beaucoup de gens sont partis. Aujourd'hui on est dans une très grande incertitude. Voilà ce qui caractérise la Syrie aujourd'hui: l'incertitude, le fait que chaque jour, on est obligé de changer de programme, qu'on ne sait pas de quoi sera fait demain. Tout a changé en dix jours. Et donc, cette incertitude peut générer des espoirs; elle peut provoquer une certaine joie parce qu'il y a des choses qui changent et on avait envie que ça change; elle provoque aussi des peurs.  

Autour de vous, les Syriens que vous rencontrez au quotidien s'expriment-ils plus librement depuis quelques jours? 

Oui, il y a des sujets sur lesquels les gens s'expriment plus librement. Maintenant, on peut parler de Sednaya (centre carcéral où ont été emprisonnés les prisonniers politiques du régime, ndlr) tranquillement. On peut parler de la conscription militaire. On peut rire, jaune évidemment, mais en rire quand même, des excès policiers du régime qui est tombé. Et puis il y a d'autres choses qui restent compliquées. Ça reste compliqué de parler de comment être aussi différents et former un peuple ensemble. Ça reste compliqué d'aborder les différences religieuses… Un peu comme avant.  

Justement, ces différences religieuses… Il y a de nombreuses communautés en Syrie, les chrétiens évidemment, et de nombreux chrétiens sont partis. Certains vont peut-être essayer de revenir, comme le font de nombreux Syriens depuis quelques jours. Mais est-ce qu'on a aujourd'hui l'assurance, ou un début d'assurance, que les chrétiens pourront, par exemple, dans quelques jours, célébrer Noël dans la sérénité?  

Oui, si on parle de temps court, je pense qu'on peut dire oui. Ce que les autorités nouvelles qui sont en train de se mettre en place disent, c'est qu’elles veulent former une Syrie avec les chrétiens et que tous ont leur place. À Alep, où ça fait déjà dix jours qu'ils se sont installés, ils ont permis les décorations de Noël dans les églises, sur les façades, etc.  Donc sur des temps court, oui. L'angoisse se situe sur les temps longs, sur la direction que le pays prendra. Cette angoisse existe parce que le pays n'est pas encore stabilisé. Mais sur le fait qu'on puisse célébrer Noël, on a des signes qui disent que oui.

Il y a aujourd'hui, selon vous, plus de raisons d'espérer que de raisons de s'inquiéter?

Je n'en suis pas sûr quand même. Mais on est chrétiens et donc le jeu, c'est de faire le pari de l'espérance. Si on mettait tout froidement devant nous sur un papier, ce n'est pas encore gagné quand même. Mais ce n'est pas ça l'enjeu de l'espérance.  

Père Vincent, il y a trois ans, lorsque nous nous sommes rencontrés à Homs, vous me racontiez que lorsque des jeunes venaient vous voir, vous n'aviez rien à leur proposer pour rester. Aujourd'hui, vous feriez la même chose?

Je ne leur ai jamais conseillé de partir, mais je ne leur ai jamais dit de ne pas partir. Qui suis-je pour décider pour eux? Et je fais la même chose aujourd'hui. J'ai l'espoir que les changements qu'on a vu ces dernières semaines puissent donner envie de ne pas partir. Mais c'est encore un peu tôt pour eux.  

Avez-vous rencontré des gens qui revenaient, des réfugiés qui ont effectué le retour et qui sont revenus à Damas?  

Les équipes dont je m'occupe, oui, mais ce sont des gens qui ne viennent pas de loin. Ils arrivent du Liban ou de Turquie, où ils étaient très mal installés dans des camps. Ils étaient dans des situations où, en fait, ils ne pouvaient pas revenir pour des raisons politiques, mais ils n'avaient pas construit une vie ailleurs.  

Aujourd'hui, peut-on espérer, si les sanctions internationales sont levées, que le pays puisse commencer à se reconstruire? Ou est-ce que cette reconstruction doit se faire avec ce poids de la punition de la communauté internationale?

La communauté nationale m'attriste un peu parce qu'elle annonce que le retour des réfugiés n’est plus un problème avant de lever les sanctions et avant d'installer des ambassades en Syrie. Si elle considère que le pays est sûr, elle doit ramener ses ambassades, créer des liens, apprendre à connaître, lever les sanctions, et après seulement, dire que les réfugiés peuvent ou doivent rentrer. C'est une première chose. La deuxième, c'est que la levée des sanctions est effectivement une étape dont on a besoin. On a aussi besoin que les gens investissent, pas seulement par des aides humanitaires, mais aussi avec des investissements commerciaux, des investissements pour relancer l'industrie et le commerce syrien. Vu d'ici, c'est choquant de voir que des pays rehaussent les murs avant d'ouvrir les ambassades et avant d'enlever les sanctions.

Je voudrais revenir sur le prix élevé qu'ont payé les chrétiens. Beaucoup sont tombés sous la domination islamiste. Le sacrifice des chrétiens a-t-il été vain ou pas?

Non. Il est celui de ceux qui disent: «on est là et on est le sel de la terre», donc il n'a pas été vain. Et ce n'est pas une histoire de calcul pour savoir si c'était mieux de rester ou de partir. C'est une vie donnée. Et ça, voyez-vous, ça ne partira pas.

Quel est votre sentiment personnel, vous aujourd'hui qui êtes rentré à Damas depuis quelques mois?

Mon sentiment personnel, c'est de tenter d'accueillir la peur et l'inquiétude pour demain et de la vivre avec les gens, d'être parfois terrorisé, y compris par les bombardements israéliens qui, récemment encore, étaient très forts. En même temps je pense qu’il faut faire le pari que c'est possible, en prenant au sérieux les nouveaux dirigeants, malgré l'histoire et malgré l'approche islamique, le fait qu'ils disent qu’ils veulent vivre dans une Syrie plurielle, qu’on peut le faire ensemble. Prenons cela au sérieux. Essayons.

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16 décembre 2024, 08:00