Les chrétiens attendent un rôle dans la construction de «la nouvelle Syrie»
Delphine Allaire – Cité du Vatican
«Nous avons besoin de travailler à la guérison de notre mémoire, chrétiens, sunnites et alaouites, tous ensemble pour reconstruire la nouvelle Syrie.» Ces paroles fortifiantes viennent de l’archevêque syriaque-catholique de Homs, Hama et Nebek, Mgr Jacques Mourad, otage de Daech durant quatre mois en 2015. Il s’est exprimé en conférence de presse à Damas, organisée vendredi 13 décembre par l’ONG catholique L’Œuvre d’Orient, présente dans ce coin de Terre Sainte depuis le XIXe siècle.
Le long travail de reconstruction souhaité «dans la solidarité»
L’ancien moine de Mar-Moussa s’interroge sur le climat, par ailleurs justifié, et «qui doit nous interroger», de défiance à l’égard du nouveau régime. «Nous avions vécu pendant mille ans ensemble. Posons-nous la question, ne nous arrêtons pas aux vêtements et barbes longues», a-t-il glissé aux côtés de l’humanitaire Vincent Gelot, responsable Syrie-Liban-Jordanie de L’Œuvre d’Orient, et de sœur Jihane, Fille de Besançon, directrice de la plus grande école chrétienne de Damas, située en banlieue sud-est.
Sans en revenir de suite à la mémoire heureuse d’une Syrie plurielle, le Pape exhortait mercredi les diverses religions du pays «à l’amitié et au respect réciproque». Comme à Alep, les nouveaux chefs du pays ont reçu à Homs tous les responsables chrétiens, tenant à les rassurer, raconte le père Mourad, choisi par le synode de l'Église d'Antioche des Syriaques pour prendre la tête de l'archidiocèse de Homs en janvier 2023. «Ils ont été clairs, nous faisons partie intégrante de la population syrienne. Un long travail va commencer pour reconstruire le pays dans la solidarité», affirme l’archevêque de Homs des Syriaques catholiques, l’une des neuf communautés chrétiennes enracinées depuis des siècles dans le pays.
Ces communautés n’ont pas été exemptes de souffrances durant les treize années de guerre civile, infligeant leurs lots de violences, sanctions, punitions et pénuries. «Nous avons beaucoup entendu que les chrétiens sont un soutien du régime Assad, mais eux aussi ont cru en 2011 au vent des libertés, rappelle Vincent Gelot, qui vient en Syrie depuis huit ans; entre la répression du régime et la radicalisation des rebelles, ils se sont rangés par logique de survie au parti Baas».
La conversion des mentalités
Aujourd’hui, le pronostic vital des chrétiens syriens est engagé. Un tiers seulement de la communauté présente en 2011 demeure dans le pays. Pourtant, son rôle reste crucial à travers un tissu associatif et éducatif important. Preuve en est des écoles, comme celle dirigée par sœur Jihane. Appartenant au Patriarcat grec-catholique, Al-Riyaha est le plus grand établissement chrétien de Damas, détruit pendant la guerre et qui scolarise 1 300 élèves aujourd’hui. Vendredi dernier alors que les rebelles s’apprêtaient à entrer dans la capitale, seule une centaine d’élèves est venue en classe. «Tout le monde avait peur. Un sentiment aux antipodes de notre projet éducatif qui est de semer l’espérance. C’est Dieu qui nous donne la force», explique la religieuse syrienne, racontant le nouveau contexte politique.
«Le 8 décembre, naissance de la Vierge Marie, est née la nouvelle Syrie. Nous avons eu des directives très précises de la part du nouveau gouvernement, comme enlever les photos de l’ancien régime et le drapeau syrien». Ce retrait de l’emblème national a déchiré le cœur de Jihane. «Il n’appartient à personne», défend-elle. La sœur de la communauté reste convaincue du rôle pivot de l’école chrétienne dans «la conversion des mentalités» à la fraternité et à l’amour, vertus difficiles à plaider en des temps d’interrègne complexes et mouvants, où seul le marasme économique est stable. Ainsi de la cherté de la vie venue remplacer les anciens rationnements. Lorsque douze pains se vendaient 800 livres syriennes, ils s’échangent aujourd’hui contre 4 000 livres. 95% de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté et 15 millions de personnes dépendent de l'aide humanitaire pour survivre. Un sentiment de vulnérabilité et de fragilité que le manque d’écho dans les institutions internationales ne vient pas arranger.
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