Avec la fin des médias publics internationaux, une certaine voix de l’Amérique s’éteint
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Après la lettre de 27 organisations de défense de la liberté de la presse, d’expression et du journalisme au Congrès américain, place à la plainte contre l’Agence américaine pour les médias mondiaux (USAGM). L’ONG Reporters sans frontières (RSF) s’associe ainsi aux employés menacés de la radio publique internationale Voice of America (VOA) exigeant dimanche 23 mars l’arrêt immédiat de la dissolution de VOA et la réintégration rapide de ses employés. L'action en justice a été intentée devant le tribunal fédéral de district des États-Unis pour le district sud de New York.
Le 19 mars, RSF se joignait déjà à la coalition d’organisations interpellant le Capitole contre le décret du président Donald Trump visant à démanteler Voice of America et d’autres entités de presse financées par l’Agence américaine pour les médias mondiaux. Parmi elles, des titres emblématiques comme Radio Free Europe (RFE) fondée au lendemain de la Seconde Guerre à l’instar de VOA, toutes deux formant de puissants outils de soft power américain, s'étant largement illustrés tout au long du XXe siècle.
L’actuel président républicain à la Maison Blanche, amateur de coupes budgétaires gargantuesques dans les agences fédérales, annonçait mi-mars la mise en congé générale des personnels de ces médias publics internationaux américains. Signant le décret en question, Donald Trump qualifiait l'agence aux plus de 3 000 employés «d’éléments inutiles de la bureaucratie fédérale». D'autres entités pourraient à terme être menacées comme les radios et télévisions publiques NPR et PBS, selon un souhait émis par Donald Trump mardi 25 mars devant les journalistes accrédités à la Maison Blanche.
Des espaces de libertés là où celles-ci sont restreintes
Voice of America, aussi créé pendant la Seconde Guerre mondiale, Radio Free Europe, à son lendemain, et Radio Free Asia, instituée en 1996, sont destinées à porter la «voix de l'Amérique» à travers le monde et notamment dans des pays autoritaires. «Nous sommes très inquiets pour ces médias qui émettent parfois dans des zones où la liberté de la presse n'est pas garantie, comme en Birmanie, au Vietnam ou au Cambodge», rappelle à Radio Vatican Anne Bocandé, directrice éditoriale de RSF. La dimension intégrée de ce média dans les territoires où il est implanté est également notable, à rebours d’un imaginaire véhiculant l’idée de seuls journalistes américains le composant. «On le voit en Afrique subsaharienne où VOA est aussi diffusée en différentes langues locales. C'est un média intégré aussi sur le territoire, qui a aussi différents partenariats avec les médias locaux, composé de journalistes locaux», renchérit-elle, exprimant toute sa solidarité face à une décision perçue comme «violente» et «brutale», «portant atteinte de fait au pluralisme des médias». «Les régimes autoritaires se réjouissent de la mort de Voice of America», a commenté pour sa part, Clayton Weimers, directeur du bureau de RSF aux États-Unis.
Une position exprimée d'emblée par le directeur de VOA, Michael Abramowitz, cité dans le New York Times: «Notre agence était un instrument important pour lutter contre les fausses informations sur les États-Unis, propagées par des rivaux géopolitiques américains comme la Chine, l'Iran et la Russie. Ces pays dépensent des milliards dans la guerre de l'information, et fermer VOA désarmerait unilatéralement l'Amérique.»
Deux des journalistes de VOA dans le monde sont actuellement détenus: Sithu Aung Myint a été arrêté en 2021 pour incitation à la haine et diffamation de l'armée en Birmanie et Pham Chi Dung purge une peine de quinze ans dans une prison vietnamienne. Bien que ce média fonctionne grâce à des fonds fédéraux, il est éditorialement indépendant du gouvernement des États-Unis, comme le dispose la loi américaine sur la radiodiffusion de 1994, qui interdit toute ingérence des représentants du gouvernement.
Jean-Paul II sur Voice of America
VOA et RFE ont toutes deux accueilli dans leurs émissions le Pape Jean-Paul II. Avant d’être élu sur le trône de Pierre, l’archevêque de Cracovie avait ainsi pris un risque politique en acceptant de parler à la Voix de l’Amérique lors de sa visite aux États-Unis en 1976. Le régime communiste polonais s'opposait aux émissions polonaises de VOA, mais pas autant qu'il s'opposait aux émissions polonaises de Radio Free Europe – RFE (Radio Wolna Europa–RWE), basée à Munich et financée par les États-Unis. Pendant la Guerre froide, le cardinal Wojtyła communiquait secrètement avec Radio Free Europe et fournissait au directeur du service polonais de RFE, Jan Nowak Jeziorański, des informations sur l'Église catholique en Pologne. Radio Free Europe était très écoutée dans les pays d’Europe centrale et orientale pendant cette période de l‘histoire.
L’épopée Voice of America, témoin d’un siècle
Onze ans après la création de Radio Vatican par Guglielmo Marconi, pionnier des ondes courtes, la Voix de l’Amérique commençait à émettre pour lutter contre la propagande en Allemagne nazie. Nous sommes à New York en 1942, et le bureau américain de l’information de guerre emploie parmi d’autres, l’écrivain américain catholique Julien Green qui s’adresse à la France dans la langue de Molière depuis VOA aux côtés d’André Breton. L’irruption américaine dans le paysage radiophonique mondial est très tardive. En pleine Seconde Guerre mondiale, Saint-Siège, Pays-Bas, Union soviétique, Italie ou Grande-Bretagne disposaient déjà de services de radio internationaux financés par l’État.
Après le choc de Pearl Harbor, VOA lance ses premières émissions à destination de l’Asie et de l’Europe et passe sous contrôle du département d’État en 1945. Durant les années 1960, l’entité publique devient premier radiodiffuseur international, alimentée par le contexte de la Guerre froide. La voix de l’Amérique doit parler plus fort que celle de l’Union soviétique. Elle proposait jusqu’à ce jour des services en 48 langues sur de multiples plateformes pour une audience mondiale hebdomadaire estimée à plus de 354 millions de personnes. À l’inverse de la BBC en langue anglaise, de la Deutsche Welle en langue allemande ou de RFI en langue française, VOA est directement contrôlée par l’État américain.
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