Pape François : «J’ai souhaité l’accord avec la Chine. La voie, c’est le dialogue»
Cyprien Viet - Cité du Vatican
Soigner l’identité des pays baltes
Répondant à une journaliste lituanienne, le Pape a commencé par revenir sur l’identité des pays baltes, en évoquant leur appartenance à l’Occident, manifestée par leur adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, pour lesquelles ces jeunes nations ont déployé beaucoup d’efforts après leurs indépendance. Face au sentiment de peur, de crainte des invasions qui continue à imprégner les mentalités, François a insisté sur l’importance de bien soigner «la force de l’identité, de la culture». «Je crois que notre obligation est de vous aider, d’être proche avec le cœur», a expliqué le Pape.
Il a expliqué avoir été marqué par la présence de la communauté lituanienne en Argentine, remarquant que quand les expatriés portent avec eux l’art, la culture, l’histoire de leur pays, «ils sont fiers dans le double effort de s’intégrer dans le nouveau pays mais aussi de conserver leur identité». «Je crois que la lutte pour maintenir l’identité rend très fort, a insisté François. Vous avez une identité forte, une identité qui s’est faite dans la souffrance. Que peut-on faire pour la défendre ? Recourir aux racines, l’identité doit être transmise aux nouvelles générations, elle s’insère dans l’appartenance à un peuple. Avec le dialogue entre les vieux et les jeunes. Votre identité est un trésor, vous devez la conserver !», a insisté François.
Concernant la situation géopolitique, François s’est dit scandalisé par les dépenses d’armement, qui constituent «l’une des plus grandes corruptions du monde». Il a déclaré que les États doivent s’organiser autour d’une stratégie raisonnable de défense, car «défendre sa patrie est un honneur», mais jamais sur des stratégies agressives. Répondant à une question sur les migrants, le Pape a remarqué que ces trois petites nations ne sont pas marquées par les «feux populistes» qui affectent une grande partie du reste de l’Europe. «Ce sont des peuples ouverts qui ont envie d’intégrer les migrants, pas massivement car ce n’est pas possible, mais avec la prudence des gouvernements», en fonction des opportunités d’espace et de travail, et à condition que ce ne soit pas «une menace contre la propre identité».
La cruauté, un phénomène historique mais aussi actuel
Le Pape s’est montré encore très choqué par sa visite au musée de Vilnius dédié aux victimes des répressions nazie et soviétique, situé dans une ancienne prison dans laquelle étaient entassés ceux qui étaient arrêtés pour des raisons politiques ou religieuses. «Je vous dis la vérité, au terme de cette journée, je suis resté détruit. Cela m’a fait réfléchir sur la cruauté», a-t-il confié, faisant remarquer que la torture existe encore aujourd’hui, par exemple dans des prisons surpeuplées où les détenus n’ont même pas accès à l’air libre pour respirer. «Nous avons vu à la télévision la cruauté des terroristes de Daech, ce pilote jordanien brulé vif, ces coptes égorgés sur la plage de Libye… Aujourd’hui la cruauté n’est pas finie. Ceci est un grave scandale», s’est-il attristé.
«Une autre chose que j’ai vue est la haine de la religion. La haine. J’ai vu un évêque jésuite qui a été déporté en Sibérie pendant dix ans, qui est vieux maintenant. Tant d’hommes et de femmes, pour défendre leur foi et leur identité ont été torturés, déportés en Sibérie et ne sont pas revenus», a-t-il rappelé. Mais cette expérience de foi née du martyre commun des orthodoxes, des protestants et des catholiques a provoqué, selon le Pape, «un phénomène singulier : une expérience œcuménique généralisée, comme on n’en voit pas ailleurs». L’évêque de Rome a particulièrement ressenti ces «racines de l’œcuménisme» lors de la célébration de lundi matin à Riga.
En plus de l’aspect religieux, le Pape a aussi insisté sur l’importance du rôle des grands-parents dans la transmission de la langue : à l’époque communiste, quand par exemple la langue lituanienne était interdite à l’école mais aussi dans les églises, ce sont les grands-parents qui ont transmis ce patrimoine linguistique à leur descendance.
Le scandale des abus
«Les jeunes se scandalisent de l’hypocrisie, des guerres, de l’incohérence, de la corruption, et dans cette corruption s’intègre la question des abus sexuels», a expliqué François en réponse à une question sur les abus. «Je comprends que les jeunes se scandalisent d’une corruption si grande. Le prêtre doit mener les enfants à Dieu et non pas les détruire», a-t-il expliqué. Le Pape a toutefois fait remarquer, en évoquant la publication des rapports récents ayant mis en lumière l’ampleur du phénomène, que la plupart des faits remontent à plusieurs décennies, et que l’Église catholique a donc progressé dans la prise de conscience de ce phénomène. «Autrefois ces choses étaient couvertes, à la maison aussi», a-t-il rappelé, évoquant le tabou de l’inceste dans de nombreuses familles. «C’était la façon de penser du siècle dernier. Un fait historique doit être interprété selon l’herméneutique de l’époque, et non pas avec l’herméneutique d’aujourd’hui», a précisé François, prenant pour exemple la pratique autrefois communément admise de la peine de mort, mais aujourd’hui condamnée car «la conscience morale grandit».
L’accord avec la Chine, fruit d’un travail patient et minutieux
Répondant aux interrogations sur l’accord récent signé avec la République populaire de Chine sur les nominations d’évêques, François a précisé que ce dialogue entre la commission vaticane et la commission chinoise pour organiser la nomination des évêques dure depuis plusieurs années. Il a notamment salué la «patience» de l’ancien nonce Claudio Maria Celli, très investi dans ce travail délicat, et le sérieux du cardinal Pietro Parolin, le Secrétaire d’État du Saint-Siège, qui a étudié tout le dossier, tous les articles de l’accord, avec lenteur et précision. «Cela donne de la sécurité», a-t-il précisé. «Quand on fait une négociation, un traité de paix, les deux parties perdent quelque chose, a-t-il toutefois précisé. Deux pas en avant, un pas en arrière. Des mois se sont écoulés sans se parler. Lentement, c’est le temps de Dieu.»
Concernant la levée d’excommunication des évêques qui étaient dans une situation irrégulière, le Pape a précisé avoir personnellement étudié chaque dossier. «L’accord, je l’ai signé moi-même. Le responsable, c’est moi. Les autres ont travaillé durant 15 ans, donc ce n’est pas une improvisation, mais un long chemin.»
François a également livré une information donnant un relief inattendu aux suites de l’affaire Vigano-McCarrick. «Quand il y a eu ce fameux communiqué d’un ancien nonce apostolique, les épiscopats du monde m’ont écrit pour exprimer leur proximité et leur prière», a expliqué François, qui a livré cette précision: «Les fidèles chinois m’ont écrit, avec une signature conjointe de l’évêque de l’Église catholique disons “traditionnelle” et de l’évêque de l’Église "patriotique". Ensemble, tous les deux, avec les fidèles. Cela a été pour moi un signal de Dieu.»
En replongeant dans l'histoire, le Pape a aussi rappelé les situations parfois complexes des nominations d’évêques selon les contextes politiques des siècles passés. Par exemple, durant 350 ans, les rois d’Espagne et du Portugal ont nommé les évêques en Amérique latine, mais, a raconté François, «Marie-Thèrèse s’est fatiguée» de nommer les évêques, et elle a fini par laisser la juridiction au Vatican.
Dans le cas de la Chine, il ne s’agira pas d’une nomination par Pékin, mais d’un «dialogue sur les noms des candidats». «C’est Rome qui nomme, c’est le Pape qui nomme, ceci est clair!» a précisé François. «Et prions pour ceux qui ne comprennent pas, ou qui portent sur leurs épaules de si nombreuses années de clandestinité», a conclu le Saint-Père, rendant hommage à «la grande foi» des catholiques de Chine.
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