Visite du Pape au Japon: le regard d'un missionnaire français dans l'archipel
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Immoralité de l'utilisation et de la possession d'armes nucléaires, protection de la vie humaine, avenir de la maison commune... Nombreux ont été les thèmes abordés par le Souverain Pontife argentin lors de ce 32ème voyage apostolique en terre nippone.
Un voyage de quatre jours pour soutenir sur place la petite communauté catholique, héritière d’une histoire de persécutions, communauté qui s’est réjouie et s’est sentie honorée de la visite du Successeur de Pierre. La seconde en 40 ans après celle de Jean-Paul II en 1981. Il y a eu aussi de vibrants appels internationaux en faveur d’une dénucléarisation du monde, à Hiroshima, à Nagasaki, ou encore lors des rencontres du Pape avec les victimes des trois catastrophes nucléaires de 2011.
Espérance, évangélisation… L’Église japonaise est revigorée par ce voyage, c’est ce que constate le père Antoine de Monjour, des MEP, missionnaire au Japon depuis près de 20 ans, prêtre du diocèse de Saitama, en banlieue nord de Tokyo.
Père Antoine de Monjour: Évidemment, la venue du Pape au Japon, après 38 ans, ne laisse pas les gens indifférents. D’une manière générale, lors de la visite de Jean-Paul II en 1981, les Japonais s’étaient montrés ouverts et curieux. Ils ont la même attitude aujourd’hui. Je crois même qu’ils sont honorés de la visite du Pape François. Ils savent qu’il a une parole ferme sur la question du nucléaire: les journaux en ont parlé, ils ont annoncé que le Pape dirait quelque chose sur le nucléaire, sur la vie humaine. Or, nous avons un problème ici au Japon, c’est que la peine de mort est toujours en vigueur. Au cours de la messe, il a parlé de la nature à préserver et je pense que dans les autres villes, notamment à Nagasaki et à Hiroshima, il a eu une parole très ferme. Mais il l’avait annoncé, les textes de ses homélies avaient été transmis à l’avance donc tout le monde savait ce qu’il allait dire. Je pense d’ailleurs que ce discours n’est pas pour déplaire aux Japonais.
- Comment ont été reçues concrètement et effectivement ces paroles fortes du Pape sur la dissuasion nucléaire et sur l’immoralité de la possession de ces armes ?
Son discours a été plutôt favorablement accueilli. Il ne faut pas oublier que le Japon a été victime des deux seules bombes envoyées sur une population civile dans l’histoire du nucléaire. On espère que les paroles du Pape auront un impact, qu’elles feront réfléchir d’autant plus qu’ici, Japon, on s’inquiète de voir la Corée du Nord envoyer des missiles intercontinentaux. Les États-Unis s’inquiètent aussi, mais le Japon, lui, est aux premières loges. Le nucléaire qui s’est développé en Corée du Nord est donc forcément un sujet de préoccupation pour l’Église du Japon. Entendre le chef de l’Église catholique dire très clairement que c’est la mauvaise solution a donc un impact fort. Je crois, pour ma part, que ce discours correspond aussi à la lecture de l’Évangile.
- Le Pape François s’est aussi largement adressé aux jeunes catholiques japonais. Quels espoirs représentent-ils pour l’Église locale ?
Je crois que l’Église du Japon fonde ses espoirs sur ceux qu’on appelle les «dobble» c’est-à-dire des jeunes issus de familles mixtes. Certains ont un parent japonais et l’autre qui vient, par exemple, des Philippines ou du Pérou, donc des pays catholiques. Dans leur enfance, ils ont souvent été un peu discriminés, ils ont eu des difficultés, car leur différence n’était pas toujours facile à comprendre pour les jeunes Japonais qui étaient avec eux. Au sein de l’Église, elle ne pose aucun problème. Dans certaines églises, en tous cas, celles de la banlieue de Tokyo et dans les grandes villes, ces jeunes représentent un élément neuf particulièrement intéressant pour l’Église du Japon.
- Dans quelle mesure ce voyage peut-il impulser de nouvelles dynamiques pour l’Église japonaise, pour sa mission dans le pays, sa mission en Asie ?
L’Église est tellement petite au Japon que je ne pense pas qu’elle ait un grand impact sur l’Asie, d’autant plus que ses relations avec les pays voisins ont toujours été un peu compliquées - même si l’Église fait des efforts pour les améliorer, notamment avec l’Église de Corée. Les missionnaires japonais sont davantage présents en Afrique. En ce qui concerne la mission dans le pays, ça va lui donner du punch, j’espère que ce sera durable. Au début, les gens hésitaient un peu à aller voir le Pape et finalement, ils se sont vraiment mobilisés. Dans ma petite paroisse de 250 chrétiens, 150 sont allés à la messe au Tokyo Dôme. Le déplacement impliquait un certain nombre de frais, mais ça ne les a pas arrêtés. Ensuite, au sein des communautés qu’on accompagne, il faut essayer de faire en sorte que cette visite ne constitue pas simplement un beau moment dont on se souvient, mais bien un ressort qui nous donne une impulsion pour demain. Je pense notamment à la voix qu’on fera entendre dans la société sur la question de la paix, celle du nucléaire - qu’il soit civil ou militaire - celle de la peine de mort. Sur ces sujets et sur d’autres, la parole de l’Église sera peut-être un peu plus écoutée à présent.
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