Lettre du Pape aux prêtres de Rome: se laisser surprendre par le Ressuscité
«La nouvelle phase que nous commençons nous demande de la sagesse, une vision à long terme et un engagement commun, de façon à tous ce que les efforts et les sacrifices faits jusqu’à présent ne soient pas vains», explique d’emblée le Pape, qui a eu de nombreux échanges par courrier électronique et par téléphone avec des prêtres durant la phase de confinement. Il a pu constater et apprécier la proximité des prêtres avec le peuple malgré les contraintes liées aux règles de distanciation.
François dresse dans ce message un parallèle entre cette situation de crise à laquelle l’Église a été confrontée ces derniers mois et celle vécue par «la première communauté apostolique, qui a aussi vécu des moments de confinement, d’isolement, de peur et d’incertitude», rappelle-t-il. Mais ces premiers chrétiens ont aussi reçu la consolation de Jésus, dont nous avons tous besoin aujourd’hui, face à l’angoisse qui nous a assaillis ces derniers mois.
Ne pas fuir ses responsabilités face à la peur du virus
«Nous avons tous écouté les nombres et les pourcentages qui jour après jour nous assaillaient», et qui ne représentaient pas «des données lointaines : les statistiques avaient des noms, des visages, des histoires partagées». Face à ce «loup» que représentait ce virus inconnu et insaisissable, les prêtres n’ont pas fui et n’ont pas abandonné le troupeau.
Face au deuil, à la maladie, à l’isolement, à l’épuisement des professionnels de santé, «la peur ancestrale de la contagion est revenue frapper avec force», tout comme celle de la pauvreté qui frappe de nombreuses familles. «Nous avons expérimenté notre vulnérabilité et notre impuissance», reconnaît l’évêque de Rome avec gravité.
La violence de cette crise a démontré le caractère vain et vide de sens de «toute fausse complaisance idéaliste ou spiritualiste, comme aussi de toute tentative de fuite puritaine». Mais au contraire, il a fallu se mettre à la suite de Jésus, avec dépouillement, honnêteté et radicalité.
Pleurer avec ceux qui pleurent
«Nous avons vécu communautairement l’heure des larmes du Seigneur», comme Lui-même devant la tombe de son ami Lazare ou dans la nuit obscure de Gethsémani. Et ce fut aussi une répétition de «l’heure des larmes du disciple devant le mystère de la Croix et du mal qui frappe tant d’innocents», comme les larmes d’amertume de Pierre après le reniement, ou celles de Marie-Madeleine devant le sépulcre.
Tout le monde a été secoué, bouleversé, déstabilisé, dans tous les contextes sociaux, même les plus favorisés en apparence. Au-delà de l’aspect purement sanitaire, cette crise a révélé «un manque d’immunité culturelle et spirituelle» face aux imprévus. L’enjeu désormais n’est donc pas seulement de relancer les activités comme avant, mais de savoir «développer une écoute attentive mais pleine d’espérance, sereine mais tenace, constante mais non pas angoissée, qui puisse préparer et aplanir les voies que le Seigneur nous appelle à parcourir».
Éviter la double tentation du scepticisme et de l’optimisme
Il ne faut donc pas se «retirer du monde» mais le «préserver du Malin», et des deux tentations de «ruminer la désolation» dans une vision purement négative et stérile, ou au contraire de «se satisfaire d’un optimisme illimité, incapable d’accepter la réelle dimension des évènements», écrit François en actualisant un avertissement déjà contenu dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, publiée au début de son pontificat.
Ces heures d’épreuve mettent à l’épreuve «notre capacité de discernement». La vie de l’Église ne peut pas reprendre comme si rien ne s’était passé, «en ignorant les blessures profondes et le nombre de personnes tombées entretemps», mais il ne s’agit pas non plus de se complaire dans une «nostalgie paralysante» du monde d’avant, sans penser à une reconstruction qui exige créativité et engagement.
La présence inconditionnelle de Jésus
Mais comme le prouvent ses apparitions sur le chemin d’Emmaus ou au Cénacle, Jésus n’attend pas que ses disciples soient prêts, dans une condition de disponibilité optimale, pour apporter la consolation divine. «Le Seigneur est en mesure de transformer toute logique et de donner un nouveau sens à l’histoire et aux évènements. Chaque temps est adapté pour l’annonce de la paix, aucune circonstance n’est privée de sa grâce», assure le Pape. La grâce peut donc opérer même au cœur du confinement et de ses aspects absurdes et frustrants, et la reconnaissance de la souffrance, sans chercher à la fuir, ouvre la porte à la consolation.
En cette nouvelle phase, «la foi nous permet une imagination réaliste et créative», insiste François. «Si une présence invisible, silencieuse, expansive et virale nous a mis en crise et nous a bouleversés, laissons cette autre Présence discrète, respectueuse et non invasive nous appeler de nouveau et nous apprendre à ne pas avoir peur d’affronter la réalité», à la suite des disciples qui n’étaient pas plus courageux que nous aujourd’hui… Si ces «hommes peureux ont été capables d’initier un courant nouveau, une annonce vivante de Dieu avec nous», alors il ne faut pas avoir peur de rechercher la sainteté en vivant les Béatitudes et les règles de comportement à tenir face à la perspective du Jugement dernier.
Il faut se laisser consoler par le Ressuscité et se laisser surprendre par «notre peuple fidèle et simple» qui reçoit la visite de la Miséricorde du Seigneur au cœur des blessures et des déchirures de la vie.
«En toute circonstance, nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés ; nous sommes pourchassés, mais non pas abandonnés ; terrassés, mais non pas anéantis. Toujours nous portons, dans notre corps, la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre corps», conclut François en citant la deuxième Lettre de Saint Paul aux Corinthiens. Il invite enfin les prêtres de Rome à prier pour lui et à persévérer dans la louange du Seigneur et le service des frères.
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