Pape François: «Je rêve d’une Europe amie de la personne et des personnes»
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Un lien d’affection, une vision ambitieuse et confiante, une exhortation énergique aux chrétiens: dans cette lettre rédigée le 22 octobre dernier – mémoire de saint Jean-Paul II -, François montre par différents aspects sa profonde sollicitude envers le “Vieux continent”, où s’inscrivent ses origines familiales. Continent qui lui est «particulièrement cher», écrit-il lui-même, et dont il souligne d’emblée «le rôle central qu’il a eu et que j’estime qu’il doit encore avoir, bien qu’avec des accents différents, dans l’histoire de l’humanité».
Un triple anniversaire
La lettre du Saint-Père est publiée dans un contexte particulier: cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et «les Communautés européennes d’alors et la présence du Saint-Siège comme observateur auprès du Conseil de l’Europe»; quarantième anniversaire de la Commission des épiscopats des Communautés européennes (COMECE); et soixante-dixième anniversaire de la Déclaration Schuman, «un évènement d’une importance capitale qui a inspiré la longue marche d’intégration du continent», rappelle François. À l’occasion de ce triple anniversaire, le cardinal secrétaire d’État du Saint-Siège, Pietro Parolin – à qui s’adresse cette lettre – aurait dû se rendre à Bruxelles du 28 au 30 octobre, mais sa visite a été annulée en raison de la situation sanitaire, et prendra la forme de rencontres par vidéo.
Dans la crise, choisir la fraternité et retrouver ses racines
Le Pape évoque d’ailleurs le contexte actuel, où «la pandémie se présente comme un tournant qui oblige à faire un choix», entre «la tentation de l’autonomie» ou la redécouverte du «chemin de la fraternité». Une tension entre l’unilatéralisme et la solidarité qui s’est particulièrement manifestée ces dernier mois. «Les mesures prises ont besoin de se consolider, pour éviter que les poussées centrifuges reprennent force», avertit François avant d’inviter l’Europe à renouer avec son identité profonde et son histoire.
«À une époque de changements brusques, il y a le risque de perdre son identité, spécialement lorsque font défaut les valeurs partagées sur lesquelles fonder la société», écrit le Souverain Pontife, tout en se référant à saint Jean-Paul II. «À l’Europe je voudrais donc dire: toi, qui as été au cours des siècles un foyer d’idéaux et qui sembles maintenant perdre ton élan, ne t’arrête pas à regarder ton passé comme un album de souvenirs», poursuit le Pape, avant de réitérer l’appel de son prédécesseur polonais: «Europe, retrouve-toi toi-même ! Retrouve donc tes idéaux qui ont des racines profondes. Sois toi-même ! N’aie pas peur de ton histoire millénaire qui est une fenêtre sur l’avenir plus que sur le passé», ajoute François. L’Europe ne doit pas craindre son besoin «de vérité», «de justice», et «d’éternité», issus respectivement de la culture de la Grèce antique, du droit romain, et de la tradition judéo-chrétienne.
Assumer avec confiance «l’originalité européenne»
Puis ce constat: «aujourd’hui, pendant qu’en Europe beaucoup s’interrogent avec découragement sur son avenir, un grand nombre la regarde avec espérance, convaincu qu’elle a encore quelque chose à offrir au monde et à l’humanité». François appelle à la confiance, en s’appuyant sur «des valeurs partagées et enracinées dans l’histoire et dans la culture de cette terre». Il s’interroge ensuite sur «l’originalité européenne», qui ne réside pas en une «hégémonie politique», «une centralité géographique», ni en l’élaboration de «solutions innovantes» aux problèmes actuels. Il s’agit avant tout de «sa conception de l’homme et de la réalité»; de «sa capacité d’initiative» et «sa solidarité active». Et le Saint-Père de préciser sa vision de l’Europe, sous la forme d’un rêve à quatre dimensions.
Une Europe respectueuse de la vie
«Je rêve alors d’une Europe amie de la personne et des personnes», explique d’abord François, en insistant sur le respect de la dignité humaine et la protection de la vie «à chacun de ses moments, dès l’instant où elle apparaît invisible dans le sein maternel jusqu’à sa fin naturelle, parce qu’aucun être humain n’est maître de la vie, la sienne ou celle d’autrui». Sont aussi évoqués le travail, «les opportunités d’emploi spécialement pour les plus jeunes», le soin des plus fragiles – personnes âgées, malades, handicapées. «Etre amis de la personne signifie en protéger les droits, mais aussi en rappeler les devoirs», précise aussi le Souverain Pontife, «personne n’est un univers indépendant et ne peut exiger le respect pour soi, sans respect pour les autres».
Une Europe inclusive
Le Pape rêve également d’une Europe «qui soit une famille et une communauté». «Dans ce sens, l’Europe est une véritable famille de peuples, différents entre eux, et pourtant liés par une histoire et par un destin communs», écrit-il, en mettant en garde contre l’individualisme et les conflits: «une Europe divisée, composée de réalités solitaires et indépendantes, se trouvera facilement incapable d’affronter les défis du futur». François redit donc son attachement à une «Europe communauté, solidaire et fraternelle», ainsi capables de faire face aux défis qu’elle rencontre.
Une Europe capable d’intégrer les migrants
«Je rêve d’une Europe solidaire et généreuse» poursuit le Saint-Père, un «lieu accueillant et hospitalier», où l’on prenne soin l’un de l’autre «sur un chemin de croissance personnelle et sociale». «Etre solidaire signifie se faire proche», ce qui se traduit notamment «à travers la coopération internationale»; «je pense spécialement à l’Afrique, afin que soient résolus les conflits en cours et que démarre un développement humain durable».
Le Pape appelle ensuite à la gratitude plutôt qu’à la méfiance. Concernant les migrants, explique-t-il, «seule une Europe qui est une communauté solidaire peut faire face à ce défi de manière fructueuse, alors que toute solution partielle a déjà démontré son insuffisance». Le «bon accueil des migrants ne peut pas se limiter à de simples opérations d’assistance de celui qui arrive, […] mais il doit permettre leur intégration» culturelle dans la nation d’accueil.
Une Europe ouverte à la transcendance
François s’exprime enfin brièvement sur la dimension religieuse, rêvant «d’une Europe sainement laïque, où Dieu et César soient distincts mais pas opposés». «Une terre ouverte à la transcendance, où celui qui est croyant soit libre de professer publiquement sa foi et de proposer son point de vue dans la société». Aux yeux du Saint-Père, «une culture ou un système politique qui ne respecte pas l’ouverture à la transcendance ne respecte pas convenablement la personne humaine».
La responsabilité des chrétiens
Le Pape s’adresse alors aux chrétiens, qui «ont aujourd’hui une grande responsabilité: comme le levain dans la pâte, ils sont appelés à réveiller la conscience de l’Europe, pour animer des processus qui produisent de nouveaux dynamismes dans la société». Ils sont exhortés à «s’engager avec courage et détermination pour offrir leur contribution dans chaque domaine où ils vivent et travaillent».
À la fin de sa lettre, l’évêque de Rome assure à nouveau que ses mots naissent «de la certitude que l’Europe a encore beaucoup à donner au monde», et forment «une contribution personnelle à la réflexion sollicitée de plusieurs côtés sur son avenir». Il confie enfin «notre chère Europe» à la protection de ses saints patrons, «hommes et femmes qui par amour du Seigneur se sont prodigués sans relâche au service des plus pauvres et en faveur du développement humain, social et culturel de tous les peuples européens».
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