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Le Pape en prière devant le crucifix de l'église San Marcello al Corso, le 15 mars dernier. Le Pape en prière devant le crucifix de l'église San Marcello al Corso, le 15 mars dernier. 

Les Papes et la piété populaire: la foi des simples, un atout pour l’Eglise

Vatican News se fait l’écho ici d’un article paru dans Donne, Chiesa, Mondo, le supplément féminin mensuel de l’Osservatore Romano, quotidien du Saint-Siège. Ce texte porte sur la piété populaire dans le magistère des Papes de Paul VI à François.

Alessandro Gisotti - Cité du Vatican

Le Pape François marche seul, le pas lent empreint de souffrance, dans les rues du centre de Rome. Il se rend à l’église de San Marcello al Corso, où se trouve un crucifix datant du XIVe siècle que les Romains considèrent comme miraculeux depuis plusieurs générations. Personnes ne l’attend ou ne le salue sur le bas-côté de la rue. Nous sommes en pleine période de confinement. Seuls quelques agents de la gendarmerie l’accompagnent. Une «procession» solitaire qui, de ce fait, acquiert une force symbolique extraordinaire.

Quelques jours plus tard, à la nuit tombée et sous un ciel plombé, le Pape prie seul sur une place Saint-Pierre déserte: la petite silhouette blanche se détache de manière presque surréelle. À ses côtés, le Pape n’a que le crucifix vénéré quelques jours plus tôt et l’icône mariale Salus Populi Romani habituellement conservée en la basilique Sainte-Marie-Majeure d’où elle accompagne les vicissitudes de la ville éternelle depuis le XIIIe siècle.

Ces deux images, qui ont émergé en cette période dramatique de pandémie, resteront probablement à l’esprit de millions de personnes.

Pour François, la dévotion populaire est un acte d’évangélisation

Il faut noter que ces deux moments, si intenses spirituellement, sont liés à cette dévotion populaire chère au Pape François. Le premier geste public de l’évêque de Rome après son élection fut de rendre hommage à la Vierge dans la basilique Sainte-Marie-Majeure, où il est retourné des dizaines de fois pour placer ses voyages apostoliques sous sa protection. Cette dévotion vient de loin. Depuis ses années de ministère à Buenos Aires en Argentine, Jorge Maria Bergoglio a toujours valorisé la dévotion des simples. Pour le futur Pape, marcher avec le Peuple de Dieu vers les sanctuaires – et en particulier celui de la Vierge de Lujan- a toujours été un mode privilégié pour que les pasteurs sentent l’odeur des brebis, comme cela se doit pour tous les bons pasteurs. Cette manière de se mettre en chemin avec le peuple pour participer à des manifestations de piété populaire est, selon l’expérience de Jorge Maria Bergoglio, autant un acte d’évangélisation qu’une impulsion missionnaire.

La Conférence d’Aparecida qui a réuni en mai 2007 l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes et dont est issu un document sur la vie de disciple et l’activité missionnaire - essentiel pour comprendre l'action pastorale de François -, s'est tenue dans un sanctuaire marial. Le travail des évêques s'est alors déroulé dans un espace situé sous le sanctuaire brésilien. Les pasteurs ont donc prié et ont débattu, tout en étant accompagnés par les chants et prières des fidèles. Cette assemblée qu’a vécue le cardinal Bergoglio à la première personne fut, dit-il, «un moment de grâce». Il résonne d’ailleurs dans les pages d'Evangelii Gaudium consacrées à la piété populaire.

Ses différentes expressions, écrit le Pontife, «ont beaucoup à nous apprendre et, pour ceux qui savent les lire, sont un lieu théologique auquel nous devons prêter attention». La foi a besoin de symboles et d'affections, elle doit s'entrelacer avec la vie vécue, elle ne peut se limiter à un exercice intellectuel. La piété populaire, a dit François avec une image frappante, «est le système immunitaire de l'Église».

Paul VI et la redécouverte de la piété populaire

Sur le thème de la piété populaire, comme sur d’autres questions fondamentales, Evangelii Gaudium rappelle l’exhortation apostolique de saint Paul VI, Evangelii nutiandi. C’est d’ailleurs lui, le Pape Montini, qui à la fin du Concile Vatican II a donné un nouvel élan à la dévotion populaire, en particulier, il l’a ‘défendue’ face à la froideur et au climat de suspicion qui existaient dans certains milieux catholiques à son égard.

Dans Evangelii nutiandi qui a été publiée après le Synode de 1974 dédiée à l’évangélisation, Paul VI a entièrement consacré un paragraphe, le numéro 48, à la religiosité du peuple, notant que, sur ce point, on touche à «un aspect de l'évangélisation qui ne peut laisser insensible». Cette exhortation met en garde contre certaines distorsions qui ont fait pencher la dévotion populaire vers la logique de la superstition, mais note que les expressions de la religiosité doivent être redécouvertes comme des moyens privilégiés d'évangélisation. La piété populaire, écrit Paul VI, manifeste «une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître».

Karol Wojtyla: la dévotion mariale au centre de son pontificat

Cette redécouverte de la piété populaire a été développée et placée, même visuellement, au centre de son pontificat, par saint Jean-Paul II. Fils de la Pologne qui, grâce aussi à la dévotion populaire et en particulier à la Vierge, a résisté d'abord aux dictatures nazies puis communistes, Karol Wojtyła "apporte à Rome" cette dimension populaire du christianisme qui, dans ses gestes comme dans son Magistère, est essentielle. Elle exprime la catholicité, l'universalité de l'Église et en même temps l'inculturation de l'Évangile dans une communauté nationale spécifique. La dévotion populaire devient également un fil rouge lors de ses quelque cent voyages apostoliques à travers le monde, et au cours desquels il ne manque jamais un moment de prière dans un sanctuaire ou un geste d'attention aux racines spirituelles du pays visité. Karol Wojtyła est également responsable de la publication, en 2002, du Directoire sur la Piété populaire et Liturgie par la Congrégation pour le Culte Divin.

Avec le Pape polonais qui a inscrit sur sa devise épiscopale qu’il s’en remettait à la Vierge (Totus tuus, Tout à toi Marie), le mépris des élites qui considéraient la religiosité populaire comme une manifestation superficielle et impure de la fois est dépassé. Pour Jean-Paul II, «une foi profondément enracinée dans une culture précise, immergée à la fois dans les fibres du cœur et dans les idées, et surtout largement partagée par tout un peuple» est authentiquement populaire. Comme l'a fait remarquer le cardinal polonais Stanislaw Ryłko, archiprêtre de la basilique Sainte-Marie-Majeure, le pontificat du pape Wojtyła a «contribué à libérer la religiosité populaire de l'étiquette de ‘résidu en voie d'extinction’», s’y référant en parlant de «ressource spirituelle extraordinaire également pour l'Église d'aujourd'hui».

Benoît XVI: la dévotion du peuple comme patrimoine de l’Église

Benoît XVI se trouve sur la même longueur d'onde que son prédécesseur, lui qui pendant ses longues années de préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, avait vu d'un bon œil les expressions de la piété populaire. On le voit aussi dans le Catéchisme de l'Église catholique dont Joseph Ratzinger a été le principal auteur à la demande de Jean-Paul II. Il est certain qu’à l’instar de son prédécesseur polonais et son successeur argentin, l'expérience de son enfance en Bavière où il a participé, avec sa famille et en particulier avec feu son frère Georg à des pèlerinages et à d'autres événements de la religiosité populaire, a influencé cette attitude favorable. Il n'est donc pas surprenant qu'une fois devenu Pape, Benoît XVI ait souligné à plusieurs reprises que «la piété populaire est un grand patrimoine de l'Église» et qu'il l'ait démontré concrètement en se rendant en pèlerinage dans de nombreux sanctuaires mariaux en Italie et dans les pays visités au cours de ses vingt-quatre voyages internationaux.

Ce thème est revenu régulièrement lors des échanges entre Benoît XVI et les prêtres du diocèse de Rome dont il était l’évêque. Lors de ces temps d'enseignement, le Pape émérite leur a demandé de ne pas dire du mal des pratiques de dévotion ou de ne pas les considérer comme nuisibles, mais plutôt de les reprendre et de les expliquer de manière adéquate au Peuple de Dieu. Il n’est donc pas surprenant qu’en 2011, lors d’une rencontre avec la Commission pontificale pour l'Amérique latine, Benoît XVI ait utilisé des paroles qui seront reprises plus tard par le Pape François. Pour les deux Souverains Pontifes, en effet, la piété populaire ne peut être considérée comme un aspect secondaire de la vie chrétienne, car dans la simple prière du peuple, elle crée «un espace de rencontre avec Jésus-Christ et une manière d'exprimer la foi de l'Église».

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30 novembre 2020, 12:05