Le Pape prône l'alliance de l'héritage biblique et antique avec l'écoute des autres cultures
Cyprien Viet – Cité du Vatican
Dans cette dense intervention sur les défis anthropologiques que posent ces temps bouleversés, le Pape a salué l’organisation de cette plénière en ligne, tout en regrettant l’impossibilité des contacts physiques entre les participants. «C’est aussi un signe des temps que nous sommes en train de vivre: dans l’univers numérique, tout devient incroyablement proche, mais sans la chaleur de la présence», a-t-il reconnu.
Il a remarqué que la pandémie «a mis en crise de nombreuses certitudes sur lesquelles se base notre modèle social et économique, en révélant les fragilités: les relations personnelles, les modalités du travail, la vie sociale, et même la pratique religieuse et la participation aux sacrements. Mais aussi, et surtout, elle a reproposé avec force les interrogations fondamentales de l’existence: la question sur Dieu et sur l’être humain.»
Le thème de l’assemblée plénière, «l’humanisme nécessaire », prend donc un relief particulier. «En effet, dans ce moment charnière de l’Histoire, nous n’avons pas seulement besoin de nouveaux programmes économiques ou de nouvelles recettes contre le virus, mais surtout d’une nouvelle perspective humaniste, basée sur la Révélation biblique, enrichie par l’héritage d’une tradition classique, comme aussi par les réflexions sur la personne humaine présentes dans différentes cultures», précise le Pape François.
"L'âge de la liquidité"
En évoquant la volonté de Paul VI, au terme du Concile Vatican II, d’ouvrir un dialogue entre l’Église et les non-croyants, François explique que les transformations du monde depuis 1965 nécessitent de nouvelles orientations et une mise à jour de l’anthropologie chrétienne. Les développements technologiques et scientifiques de ces dernières années ont en effet bouleversé les clivages idéologiques qui structuraient de nombreuses sociétés jusqu’à la fin du XXe siècle.
«Au moment du Concile, un humanisme séculier, immanentiste, matérialiste et un humanisme chrétien, ouvert à la transcendance, se faisaient face. Les deux pouvaient cependant partager une base commune, une convergence fondamentale sur certaines questions radicales liées à la nature humaine. Cela a aujourd'hui disparu en raison de la fluidité de la vision culturelle contemporaine. C'est l'âge de la liquidité ou du “gazeux”», explique François. Il souligne néanmoins que la Constitution conciliaire Gaudium et Spes «reste pertinente». «Elle nous rappelle, en effet, que l'Église a encore beaucoup à donner au monde, et elle nous oblige à reconnaître et à évaluer, avec confiance et courage, les réalisations intellectuelles, spirituelles et matérielles qui ont vu le jour depuis lors dans les différents domaines de la connaissance humaine.»
Une "révolution" anthropologique
La culture contemporaine porte en elle une véritable «révolution», avec «un changement structurel dans la façon dont nous comprenons la génération, la naissance et la mort. La spécificité de l'être humain dans l'ensemble de la création, son unicité vis-à-vis des autres animaux, et même sa relation avec les machines sont remises en question.»
L’Église ne peut pas fuir ces questions: «Nous ne pouvons pas toujours nous limiter au déni et à la critique. Il nous est plutôt demandé de repenser la présence de l'être humain dans le monde à la lumière de la tradition humaniste: comme un serviteur de la vie et non comme son maître, comme un bâtisseur du bien commun avec les valeurs de solidarité et de compassion», martèle le Pape François.
«À côté de la question sur Dieu -qui reste fondamentale pour l'existence humaine elle-même, comme Benoît XVI l'a souvent rappelé- se pose aujourd'hui une question décisive sur l'être humain lui-même et son identité. Que signifie aujourd'hui être homme et femme en tant que personnes complémentaires appelées à la relation? Que signifient les mots "paternité" et "maternité"? Et encore, quelle est la condition spécifique de l'être humain, qui le rend unique et non reproductible par rapport aux machines et même aux autres espèces animales? Quelle est sa vocation transcendante? D'où vient son appel à construire des relations sociales avec les autres?», s’interroge le Pape François.
Convergence entre la pensée biblique et la philosophie grecque et latine
Toujours en pleine continuité avec son prédécesseur Benoît XVI, le Pape François souligne que «l'Écriture Sainte nous offre les coordonnées essentielles pour esquisser une anthropologie de l'être humain dans sa relation avec Dieu, dans la complexité des rapports entre l'homme et la femme, et dans le lien avec le temps et l'espace dans lesquels il vit. L'humanisme biblique, en dialogue fructueux avec les valeurs de la pensée classique grecque et latine, a donné naissance à une vision élevée de l'être humain, de son origine et de sa destinée ultime, et de sa façon de vivre sur cette terre. Cette fusion de la sagesse antique et biblique reste un paradigme fertile», insiste-t-il.
Mais dans un contexte de circulation accélérée des personnes, des idées, des images, de représentations du monde qui se croisent et parfois se heurtent, l’évêque de Rome ajoute que «l'humanisme biblique et classique doit aujourd'hui s'ouvrir sagement pour recevoir, dans une nouvelle synthèse créative, également les apports de la tradition humaniste contemporaine et celle des autres cultures de toute la planète», qu’elles viennent d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine ou encore des peuples indigènes.
Dépasser l'individualisme de l'Occident
Certaines expériences vécues par ces peuples peuvent en effet permettre de dépasser l’individualisme des civilisations occidentales, et apporter une nouvelle dynamique dans les relations humaines et familiales, tout comme des savoirs précieux dans le domaine médical ou artistique. «Dans ces différentes cultures, il existe des formes d'un humanisme qui, intégré à l'humanisme européen hérité de la civilisation gréco-romaine et transformé par la vision chrétienne, est aujourd'hui le meilleur moyen d'aborder les questions préoccupantes sur l'avenir de l'humanité», poursuit le Pape argentin.
Le Pape conclut son intervention par le vers de l’Enéide de Virgile, en latin dans le texte: «Sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt», une expression qui peut être ainsi traduite en français: «Toutes les choses ont leurs larmes qui émeuvent le cœur des mortels».
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