Pape François: la rencontre entre Occident et Orient peut guérir les maladies du monde
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Le Souverain pontife a initié son adresse, après les interventions du roi bahreïni et du grand imam d’Al-Azhar, par une métaphore maritime ancrée dans l’étymologie de ce 39e pays visité hors d’Italie. «Ce pays tire son nom de ses eaux. Le mot Bahreïn évoque “deux mers”. Nous pensons aux eaux de la mer qui mettent en contact les terres et en communication les personnes, reliant des peuples éloignés. ‘’Ce que la terre divise, la mer unit’’, dit un vieil adage».
Entre-deux mers, choisir la coexistence ou l'indifférence
Du ciel, cela semble nous rappeler que nous sommes une seule famille: non pas des îles, mais un seul grand archipel, a relevé le Saint-Père, poursuivant sa réflexion toponymique sur cet archipel d’une trentaine d’îles.
«Le nom “Bahreïn” peut nous aider à réfléchir encore, les “deux mers” dont il parle se réfèrent aux eaux douces de ses sources sous-marines et aux eaux saumâtres du Golfe». Le Pape décrit deux mers aux goûts opposés: «D’une part la mer calme et douce de la coexistence commune, d’autre part la mer amère de l’indifférence, endeuillée par les affrontements et agitée par des vents de guerre, avec ses vagues destructrices toujours plus tumultueuses qui risquent d’emporter tout le monde. Et, malheureusement, l’Orient et l’Occident ressemblent de plus en plus à deux mers opposées».
«Sur la mer orageuse des conflits», le remède de la fraternité
Par la voie du dialogue indiqué par ce forum organisé par le Conseil des sages musulmans et le Conseil suprême des affaires islamiques, entre autres, le Pape note que l’assemblée ici présente de 160 personnalités exprime le souhait «de naviguer sur la même mer», choisissant la voie de la rencontre plutôt que celle de l’affrontement. François a aussi réaffirmé le paradoxe de l’époque, intangible au fil de ses interventions de par le monde:
«Alors que la plus grande partie de la population mondiale se trouve unie par les mêmes difficultés -alimentaires, écologiques, pandémiques, injustices-, des puissants se concentrent dans une lutte résolue pour des intérêts partisans, en exhumant des langages obsolètes, en redessinant des zones d’influence et des blocs opposés».
Le Saint-Père associe tel dessein «à un scénario dramatiquement enfantin»: «Dans le jardin de l’humanité, au lieu de soigner l’ensemble, on joue avec le feu avec des missiles et des bombes, avec des armes qui provoquent des pleurs et des morts, recouvrant la maison commune de cendres et de haine», dénonce la voix du Pape ciblant «l’imposition de modèles et visions despotiques, impérialistes, nationalistes et populistes».
«Sur la mer orageuse des conflits», le Successeur de Pierre enjoint à s’appuyer sur le Document sur la Fraternité humaine, dans lequel «une rencontre féconde» entre Occident et Orient est souhaitée, «précieuse pour guérir les maladies respectives».
Les plaies patentes et latentes de l'humanité
S’adressant à un parterre de «croyants en Dieu», le Pape invite à repousser «la pensée isolante», à savoir cette façon de voir la réalité qui ignore la mer unique de l’humanité pour se concentrer uniquement sur ses propres courants. «Nous désirons que les querelles entre l’Orient et l’Occident se résolvent pour le bien de tous, mais sans détourner l’attention d’un autre fossé qui grandit constamment et dramatiquement, le fossé entre le Nord et le Sud», a-t-il aussi mis en garde. Que l’émergence des conflits ne fasse pas perdre de vue «les tragédies latentes de l’humanité», telles que les inégalités, «la plaie honteuse de la faim» et «le malheur des changements climatiques».
Prière, transcendance, ouverture au Très-Haut
À cette fin, François a indiqué trois défis précis: la prière, l’éducation et l’action. La prière, car là est la racine. «Le plus grand danger ne réside pas dans les choses, dans les réalités matérielles, dans les organisations, mais dans l’inclination de l’être humain à s’enfermer dans l’immanence de son moi, de son groupe, de ses intérêts mesquins», déclare-t-il, citant l’encyclique Fratelli tutti (n.166).
«Une ouverture du cœur au Très-Haut» fondamentale pour se «purifier de l'égoïsme, de la fermeture, de l'autoréférence, du mensonge et de l'injustice», considère François. En effet, «celui qui prie reçoit la paix dans son cœur et ne peut qu’en devenir le témoin et le messager». Il s’agit de donner l’exemple à ses semblables afin qu’ils ne deviennent pas «otages d'un paganisme qui réduit l'être humain à ce qui se vend, s’achète ou amuse», mais «à redécouvrir la dignité infinie que chacun porte comme une empreinte». Condition sine qua non énoncée par le Pape: la liberté religieuse. Et, «il ne suffit pas d’accorder des permissions et de reconnaître la liberté de culte, il faut atteindre la vraie liberté de religion», insiste-t-il.
Femmes, enfants, citoyenneté, un triple défi éducatif
Le second défi est éducatif, car là où les possibilités d’instruction font défaut, «les extrémismes augmentent et les fondamentalismes s’enracinent», répète l’évêque de Rome, plaidant pour «une instruction digne de l’homme en tant qu’être dynamique et relationnel», «pas rigide ni monolithique, mais ouverte aux défis et sensible aux changements culturels; non pas autoréférentielle ni isolante, mais attentive à l’histoire et à la culture d’autrui; non pas statique mais curieuse». Dans ce domaine, François remarque trois urgences: la reconnaissance de la femme dans le domaine public, dans l’instruction, dans le travail, dans l’exercice de ses droits sociaux et politiques; la défense des droits fondamentaux des enfants, et enfin l’éducation à la citoyenneté, basée sur l’égalité des droits et des devoirs.
Sans relativisme ni syncrétisme, éloge de l'action
Ultime défi de ce triptyque, celui qui concerne l’action, soit «les forces de l’homme». En la matière, les paroles ne suffisent pas aux actes. Pour François ainsi, il ne suffit pas par exemple de dire qu’une religion est pacifique, il faut condamner et désigner les violents qui en abusent du nom. Il ne suffit pas non plus de prendre ses distances avec l’intolérance et l’extrémisme, il faut agir dans le sens contraire. «Pour cela, il est nécessaire d’interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d’argent, d’armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux qui menacent la sécurité et la paix mondiale. Il faut condamner ce terrorisme sous toutes ses formes et ses manifestations», réitère-t-il citant cette fois le Document sur la Fraternité humaine.
Le Souverain pontife rappelle enfin que tout homme religieux, tout homme de paix, doit aussi s’opposer «à la course au réarmement, aux affaires de la guerre, au marché de la mort»; ne pas soutenir «des alliances contre quelqu’un», mais des voies de rencontre avec tous.
Sans céder aux relativismes ou syncrétismes, il s’agit selon le Saint-Père de suivre audacieusement la voie de la fraternité, du dialogue et de la paix.
Précédant le discours du Pape François, le monarque bahreïni, Hamad bin Isa Al Khalifa, a lancé un appel à mettre un terme à la guerre entre le Russie et l’Ukraine par des négociations sérieuses pour le bien de toute l’humanité.
Appelant aussi à la fin du conflit russo-ukrainien, le grand-imam d'Al-Azhar a aussi exhorté à «chasser ensemble tout discours de haine, de provocation et d’excommunication et mettons de côté les conflits anciens et modernes sous toutes leurs formes et avec toutes leurs ramifications négatives».
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