François: l'Afrique, un continent à valoriser et non à piller
Extrait de l'entretien accordé le 15 décembre 2022 à la revue «Mundo Negro», des missionnaires comboniens.
Saint-Père, vous êtes devenu jésuite, entre autres, pour aller comme missionnaire au Japon...
Oui, c'est vrai.
Que reste-t-il de ce père Bergoglio ?
Je pense que j'ai toujours été intéressé par les périphéries. Je regarde les périphéries de l'intérieur, pas seulement parce qu'elles m'intéressent intellectuellement. Et c'est ce qui reste, aller au-delà des frontières.
Vous avez dit que «l'Afrique ne cesse de surprendre». Quelle part de cette surprise peut être attribuée aux missionnaires que vous avez rencontrés?
Ce qui me surprend le plus chez les missionnaires, c'est leur capacité à se rendre sur le terrain, à respecter les cultures et à aider au développement. Ils ne déracinent pas les peuples, au contraire. Quand je vois des missionnaires, et il y en a toujours qui peuvent échouer, je vois que la mission catholique ne fait pas de prosélytisme, mais proclame l'Évangile selon la culture de chaque lieu. C'est ça le catholicisme, le respect des cultures. Il n'y a pas de culture catholique en tant que telle; oui, il y a une pensée catholique, mais toute culture est enracinée dans ce qui est catholique, et c'est coimme ça déjà dans l'action même de l'Esprit Saint au matin de la Pentecôte. C'est très clair. Le catholicisme n'est pas l'uniformité, c'est l'harmonie, l'harmonie des différences. Et cette harmonie est créée par le Saint-Esprit. Un missionnaire va, respecte ce qu'il trouve dans chaque lieu et aide à créer une harmonie, mais il ne fait pas de prosélytisme idéologique ou religieux, encore moins colonialiste. Certaines déviations qui se sont produites sur d'autres continents, par exemple le grave problème des écoles résidentielles au Canada, où je me suis rendu et où j'ai abordé la question, étaient dues au fait que l'indépendance n'était pas très claire à l'époque, mais le missionnaire doit être là pour respecter la culture de son peuple, vivre avec cette culture et faire son travail.
Le Concile Vatican II, il y a 60 ans, a donné un élan missionnaire extraordinaire. La mission a-t-elle beaucoup changé depuis lors?
Dieu merci, oui. Les historiens disent qu'il faut 100 ans pour qu'un Concile soit pleinement mis en œuvre, il n'en est donc qu'à mi-chemin. Beaucoup de choses ont changé dans l'Église, beaucoup de choses pour le mieux... Il y a deux signes intéressants: la première effervescence imprudente du Concile a déjà disparu, je pense à l'effervescence liturgique, qui est presque inexistante. Et on assiste à l'émergence d'une résistance anticonciliaire qui n'avait jamais été vue auparavant, ce qui est typique de tout processus de maturation. Mais tant de choses ont changé... Sur le plan missionnaire, le respect des cultures, l'inculturation de l'Évangile, est l'une des valeurs qui ont fleuri comme une conséquence indirecte du Concile. La foi est inculturée et l'Évangile s'approprie la culture de son peuple, il y a une évangélisation de la culture.
La mission est-elle nécessairement une mission de dialogue?
Bien sûr qu'elle l'est. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de sensibilisation au dialogue, et ceux qui ne savent pas dialoguer ne mûrissent pas, ne grandissent pas et ne pourront rien laisser à la société. Le dialogue est fondamental.
Sommes-nous toujours très préoccupés par le nombre de catholiques?
Les statistiques sont utiles, mais nous ne devons pas y placer notre espérance. Je me demande: en qui est-ce que je place mon espérance? Et je demande à tous: en qui placez-vous votre espérance, dans votre organisation, dans votre capacité sociologique à rassembler les gens, ou dans la puissance de l'Évangile?
Du 31 janvier au 5 février, vous serez en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud...
En juillet, (le voyage) a été suspendu à cause de mon problème de genou. Au Soudan du Sud, je m'y rendrai avec l'archevêque de Canterbury et le modérateur de l'Église d'Écosse, et nous travaillons très bien ensemble. Et la République démocratique du Congo, c'est comme un rempart, un bastion d'inspiration. Il suffit de regarder ici, à Rome, la communauté congolaise, guidée par une religieuse, Sœur Rita, une femme, enseignante unicversitaire, qui commande comme si elle était un évêque. J'ai célébré la messe ici dans le rite congolais, c'est une communauté qui m'est très proche. J'ai hâte de faire ce voyage dès que possible. Le Soudan du Sud est une communauté qui souffre. (Même) le Congo souffre en ce moment de la guérilla, c'est pourquoi je ne vais pas à Goma, on ne peut pas y aller, à cause des développements de la guérilla. Ce n'est pas que je n'y vais pas parce que j'ai peur, il ne m'arrivera rien, mais avec une telle atmosphère, et en voyant ce qu'ils font, ils pourraient lancer une bombe dans le stade et tuer beaucoup de gens. Nous devons prendre soin des gens.
Votre mention des périphéries humaines et existentielles nous a amenés mentalement au continent africain. Ces deux périphéries sont-elles inséparables?
L'Afrique est originale, (mais) il y a quelque chose que nous devons dénoncer: il y a un inconscient collectif qui dit que l'Afrique doit être exploitée. L'histoire nous le dit, la semi-indépendance: on leur donne l'indépendance économique du sol, mais on garde le sous-sol pour l'exploiter, on constate l'exploitation par d'autres pays qui s'approprient leurs ressources.
Quelles sont les richesses du continent que nous ne voyons pas?
Nous ne voyons que la richesse matérielle, c'est pourquoi, historiquement, elle n'a été que recherchée et exploitée. Aujourd'hui, nous voyons que beaucoup de puissances mondiales vont piller, c'est vrai, et elles ne voient pas l'intelligence, la grandeur, l'art du peuple.
Tout en insistant sur la guerre en Ukraine, vous répétez qu'il ne faut pas oublier d'autres conflits qui restent cachés, dont certains en Afrique...
C'est évident. J'ai dit que l'on se rendait compte maintenant qu'il s'agit d'une guerre mondiale parce que c'est juste à côté. L'un des plus gros problèmes est la production d'armes. Quelqu'un m'a dit un jour que si nous arrêtions de produire des armes pendant un an, la faim dans le monde disparaîtrait. Une industrie pour tuer ...
Lorsque nous parlons de l'exploitation du continent africain, nous parlons de ressources naturelles et de personnes. Que perdons-nous lorsque nous érigeons des clôtures et des obstacles pour stopper ou empêcher leur arrivée?
Et quand on installe des fils barbelés pour les empêcher de s'échapper... C'est un crime. C'est un crime. Et ces pays qui ont un indice démographique au plus bas, qui ont besoin de personnes, qui ont des villes vides et ne savent pas comment gérer l'intégration des migrants. Les migrants doivent être accueillis, accompagnés, promus et intégrés. S'ils ne sont pas intégrés, c'est un mal... Mais il y a une grande injustice européenne, n'est-ce pas? La Grèce, Chypre, l'Italie, l'Espagne et même Malte sont les pays les plus touchés par l'immigration, et ce qui s'est passé en Italie, où, bien que la politique migratoire du gouvernement actuel soit, disons-le, pour le moins restrictive, le pays a toujours ouvert ses portes pour sauver les personnes que l'Europe n'accueille pas. Ces pays doivent faire face à tout et sont confrontés au dilemme de savoir s'il faut les renvoyer pour qu'ils soient tués ou qu'il meurent, ou agir différemment... Il s'agit d'un problème grave que l'Union européenne n'accompagne pas.
(Traduction non officielle de l'interview originale en espagnol)
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