«Assez de destructions, c’est l’heure de la construction!»: le cri du Pape à Juba
Olivier Bonnel - Cité du Vatican
Depuis le jardin du palais présidentiel de Juba, le Pape François a prononcé vendredi après-midi son premier discours au Soudan du Sud, devant les autorités politiques du pays ainsi que les membres de la société civile et représentants du corps diplomatique. Aux côtés de l’archevêque de Canterbury Mgr Justin Welby et du modérateur de l'Église d'Écosse Iain Greenshields, le Souverain pontife a rendu hommage à la jeune nation tout en exhortant avec force ses dirigeants à s'engager vers une paix véritable.
«Je viens comme pèlerin de réconciliation, avec le rêve de vous accompagner sur votre chemin de paix, un chemin tortueux mais qui ne peut plus être reporté», a d’emblée expliqué le Pape, précisant que ce «pèlerinage œcuménique de paix» a pu être possible «après avoir écouté le cri de tout un peuple qui, avec grande dignité, pleure à cause de la violence qu’il subit, du perpétuel manque de sécurité, de la pauvreté qui le frappe et des catastrophes naturelles qui sévissent».
François a déploré que le Soudan du Sud ne soit toujours pas débarrassé de la guerre et regretté que «les processus de réconciliation semblent paralysés et que les promesses de paix restent inaccomplies» en raison de la violence chronique qui secoue le pays.
Regarder le Nil
Comme il le fait régulièrement pour décrire un pays qui l'accueille, le Pape a choisi une métaphore naturelle, en prenant l'image du Nil qui traverse le Soudan du Sud, pour mieux y évoquer les défis du pays. «Ce que l’historien de l’antiquité Hérodote disait de l’Égypte, qu’elle est un “don du Nil”, vaut aussi pour le Soudan du Sud», a-t-il ainsi expliqué. «Comme on le dit ici, cette terre est vraiment une “terre de grande abondance”. Je voudrais donc me laisser porter par l’image du grand fleuve qui traverse ce pays récent mais à l’histoire ancienne. Au cours des siècles, les explorateurs se sont introduits sur le territoire où nous sommes pour remonter le Nil Blanc à la recherche des sources du fleuve le plus long du monde. C’est par la recherche des sources du vivre ensemble que je voudrais commencer mon parcours avec vous. Parce que cette terre, qui regorge de tant de biens dans le sous-sol, mais surtout dans les cœurs et les esprits de ses habitants, a besoin d’être à nouveau désaltérée par des sources fraîches et vitales».
Filant la métaphore, François a ainsi lancé un appel aux dirigeants sud-soudanais, invités à «régénérer la vie sociale, comme des sources limpides de prospérité et de paix, car c’est de cela dont ont besoin les enfants du Soudan du Sud: de pères, non de maîtres; d’étapes stables de développement, non de chutes continuelles». Solennellement, le Pape a expliqué aux responsables politiques du pays que leurs enfants se rappelleront d'eux «dans la mesure où vous aurez fait du bien à cette population qui vous a été confiée pour la servir».
Dans un Soudan du Sud qui peine à tourner la page de la guerre civile, la violence «fait reculer le cours de l'histoire» a par ailleurs déploré l’évêque de Rome. Son discours s'est alors transformé en supplique urgente aux responsables du pays «pour que cette terre ne se réduise pas à un cimetière, mais redevienne un jardin florissant».
«Il est temps de tourner la page»
«Il est temps de dire assez, sans “si” et sans “mais”: assez de sang versé, assez de conflits, assez de violences et d’accusations réciproques sur ceux qui les commettent, assez d’abandonner le peuple assoiffé de paix. Assez de destructions, c’est l’heure de la construction! Que le temps de la guerre soit rejeté et que se lève un temps de paix!» a lancé François, avant de dresser le portrait d'un politique vertueux: le but du pouvoir est de servir la communauté. Le Saint-Père a ainsi mis en garde contre toute tentation de s'en servir pour ses propres intérêts. Le développement démocratique est fondamental pour la vie d’une République, a-t-il poursuivi, rappelant que «la démocratie suppose également le respect des droits humains, protégés par la loi et son application, et en particulier la liberté d’exprimer ses idées».
«Le Nil, après avoir quitté ses sources, traverse des zones accidentées créant des cascades et des rapides, et une fois entré dans la plaine sud-soudanaise, à proximité de Juba, il devient navigable, pour ensuite pénétrer dans des zones plus marécageuses, a repris François en poursuivant sa métaphore. Par analogie, j’espère que le chemin de paix de la République ne progressera pas avec des hauts et des bas, mais, qu’à partir de cette capitale, il deviendra praticable, sans rester enlisé dans l’inertie». Pour le Pape, «il est temps de passer des paroles aux faits, de tourner la page», le processus de paix et de réconciliation nationale mérite un nouveau sursaut. Le Souverain Pontife a souhaité ainsi que ce pèlerinage oecuménique entrepris puisse poser «un changement de rythme» et «qu’il soit l’occasion, pour le Soudan du Sud, de recommencer à naviguer sur des eaux tranquilles, en reprenant le dialogue, sans duplicités ni opportunismes».
Le rôle des femmes et des jeunes
Dans sa supplique, le Pape a souhaité que les jeunes puissent jouer un rôle décisif, que des espaces libres pour débattre soient assurés, et pointé aussi le rôle crucial à ses yeux des femmes dans la construction d'une nation sud-soudanaise vivant dans la paix: «que les femmes, les mères qui savent comment l’on donne et conserve la vie, soient également davantage impliquées dans les processus politiques et décisionnels. Qu’il y ait du respect à leur égard, car celui qui commet une violence contre une femme la commet contre Dieu, qui d’une femme a pris chair».
Le Christ, le Verbe incarné, nous a enseigné que plus on se fait petit, en donnant de l’espace aux autres et en accueillant le prochain comme un frère, plus on devient grand aux yeux du Seigneur a encore souligné François, expliquant que «la jeune histoire de ce pays déchiré par des affrontements ethniques, a besoin de retrouver la mystique de la rencontre, la grâce du fait d’être ensemble». Le Pape a encore rendu hommage aux missionnaires qui ont évangélisèrent le Soudan, arrivés par le Nil. Et c'est toujours en utilisant l'image du fleuve qu'il a déploré les inondations et catastrophes naturelles, et une création blessée, pointant «la nécessité de lutter contre la déforestation causée par l’avidité du gain».
L'urgence de prendre soin des citoyens
«Pour éviter les inondations d’un fleuve, il est nécessaire de garder son lit propre» a encore dit le Souverain Pontife: «Par métaphore, le nettoyage dont le cours de la vie sociale a besoin est la lutte contre la corruption». Et de dénoncer avec fermeté l'incurie de certains: «Circuits financiers injustes, intrigues cachées pour s’enrichir, affaires clientélistes, manque de transparence : voilà le fond pollué de la société humaine, qui fait manquer les ressources nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin».
Pour que les eaux de vie ne se transforment pas en dangers de mort, il est essentiel de doter un fleuve de digues adéquates, a expliqué François, à commencer par la lutte contre la prolifération des armes, mais aussi, a-t-il pointé, de mener des politiques de santé adaptées, et de faire un effort sur l'alphabétisation et l'éducation. Le Pape a enfin invité le Soudan du Sud à cultiver de bonnes relations avec les autres pays, à commencer par ses voisins.
«Je sais que certaines de mes expressions peuvent avoir été franches et directes, a conclu le Souverain Pontife, mais je vous prie de croire que cela naît seulement de l’affection et de la préoccupation avec lesquelles je suis vos vicissitudes, avec les frères avec lesquels je suis venu ici, pèlerin de paix».
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici