Le Pape aux universitaires: la connaissance est une responsabilité
Myriam Sandouno – Cité du Vatican
«Nous nous sentons tous pèlerins». Telles sont les paroles prononcées par la rectrice de l’Université catholique portugaise et reprises ensuite par François au début de son discours. «C’est un beau mot dont la signification mérite d’être méditée» dit-il. Dans sa réflexion, le Pape explique que dans le mot «pèlerin», «nous voyons se refléter la condition humaine, parce que chacun est appelé à se confronter à de grandes questions qui n’ont pas de réponse simpliste ou immédiate, mais qui invitent à accomplir un voyage, à se dépasser, à aller plus loin». Et cela, tout universitaire le comprend si bien, car «la science naît ainsi».
«Chercher et risquer»
«Chercher et risquer» voilà les verbes des «pèlerins», déclare le Saint-Père invitant à ne pas se laisser envahir par la peur «de nous sentir inquiets», insatisfaits. «L’imperfection, souligne-t-il, caractérise notre condition de chercheurs et de pèlerins parce que, comme dit Jésus, nous sommes dans le monde, mais nous ne sommes pas du monde». «Cherchez et risquez» lance-t-il aux universitaires présents, les invitant à être des protagonistes d’une “nouvelle chorégraphie” qui place au centre la personne humaine. «Soyez chorégraphes de la danse de la vie», ajoute le Pape.
Des entrepreneurs de rêve, non des administrateurs de peurs
Poursuivant son discours, le Saint-Père attire l’attention sur ces paroles de la rectrice de l’Université catholique portugaise: «L’université n’existe pas pour se préserver comme institution, mais pour répondre avec courage aux défis du présent et de l’avenir». François conseille de remplacer les peurs par des rêves, car la société a aujourd’hui besoin des «entrepreneurs de rêves», non pas des «administrateurs de peurs».
«Ce serait un gaspillage de penser à une université engagée à former les nouvelles générations uniquement pour perpétuer le système élitiste et inégal actuel du monde, où l’enseignement supérieur reste un privilège pour quelques-uns. Si la connaissance n’est pas accueillie comme une responsabilité, elle devient stérile», affirme-t-il, précisant: «Si celui qui a reçu un enseignement supérieur, qui reste aujourd’hui, au Portugal et dans le monde, un privilège, ne s’efforce pas de restituer ce dont il a bénéficié, il n’a pas compris tout à fait ce qui lui a été offert». François soutient que le diplôme ne doit en effet pas être considéré seulement comme une «permission pour construire le bien-être personnel», mais comme «un mandat pour se consacrer à une société plus juste et inclusive», c’est-à-dire plus avancée.
«Vous, chers étudiants, pèlerins du savoir, que voulez-vous voir réalisé au Portugal et dans le monde? interroge-t-il, quels changements, quelles transformation? Et comment l’université, surtout l’université catholique, peut-elle y contribuer?»
Redéfinir le progrès et l'évolution
Le Pape dans son intervention a aussi mis en évidence «l’urgence de prendre soin de la maison commune» avec une «conversion du cœur» et un «changement de la vision anthropologique» qui, déclare-t-il, est à la base de l’économie et de la politique. L’évêque de Rome estime «qu’on ne peut se contenter de simples mesures palliatives ou de compromis timides et ambigus» car «les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement». D’où la nécessité de redéfinir: "progrès et évolution". Reconnaissant qu’au nom du progrès, «on a fait trop de chemin à reculons», le Souverain pontife voit en ces jeunes, l'espérance, une «génération qui peut relever ce défi».
«Vous avez les outils scientifiques et technologiques les plus avancés mais, s’il vous plaît, ne tombez pas dans le piège de visions partielles», averti François, signifiant ensuite que «nous avons besoin d’une écologie intégrale, d’écouter la souffrance de la planète en même temps que celle des pauvres; de mettre le drame de la désertification en parallèle avec celui des réfugiés; le thème des migrations avec celui de la dénatalité» également «de nous occuper de la dimension matérielle de la vie dans une dimension spirituelle. Pas des polarisations, dit François, mais des visions d’ensemble».
«Il ne suffit pas qu’un chrétien soit convaincu, il doit être convaincant»
Le Pape est ensuite revenu sur les propos de Tomás qui a rendu témoignage lors de la rencontre: «Une authentique écologie intégrale sans Dieu n’est pas possible, il ne peut y avoir d’avenir dans un monde sans Dieu». François invite ainsi à rendre la foi crédible à travers les choix que l’on fait. Car si «la foi n’engendre pas des styles de vie convaincants, elle ne fait pas lever la pâte du monde». Le chrétien ne doit pas être seulement convaincu, mais convaincant, conseille-t-il, ajoutant que ses actions sont appelées à refléter la beauté, joyeuse et à la fois radicale, de l’Évangile. En outre, souligne François, «le christianisme ne peut pas être habité comme une forteresse entourée de murs, qui élève des bastions contre le monde». L’une des tâches les plus importantes pour les chrétiens à chaque époque, est de retrouver le sens de l’incarnation, déclare le Souverain pontife. «Sans l’incarnation, le christianisme devient une idéologie. C’est l’incarnation qui permet d’être émerveillé de la beauté que le Christ révèle à travers chaque frère et sœur, chaque homme et chaque femme».
La contribution des femmes
Dans la nouvelle chaire consacrée à "l’Économie de François", et à laquelle a été ajoutée la figure de Claire, le Pape fait remarquer que «la contribution des femmes est indispensable». Et la Bible démontre comment l’économie de la famille est en grande partie entre les mains de la femme. «C’est elle la véritable “régente” de la maison, avec une sagesse qui n’a pas pour but exclusif le profit, mais le soin, la coexistence, le bien-être physique et spirituel de chacun, et aussi le partage avec les pauvres et les étrangers». Il est passionnant d’aborder selon François, les études économiques dans cette perspective: «avec le but de redonner à l’économie la dignité qui lui revient, afin qu’elle ne soit pas la proie du marché sauvage et de la spéculation».
Le Pape rappelle ainsi l’initiative du Pacte éducatif mondial. Ses sept principes qui en forment l’architecture, comprennent beaucoup de ces thèmes, du soin de la maison commune à la pleine participation des femmes, jusqu’à la nécessité de trouver de nouvelles façons de comprendre l’économie, la politique, la croissance et le progrès, a-t-il dit.
Mûrir dans le discernement
Terminant son intense discours, François a exprimé sa joie «de vous voir comme une communauté éducative vivante, ouverte à la réalité, avec l’Évangile qui ne sert pas d’ornement mais qui anime les parties et l’ensemble». Dans ce parcours qui comprend différents domaines: études, amitié, service social, responsabilité civile et politique, soin de la maison commune, expressions artistiques... Être une université catholique signifie d’abord ceci, dit le Pape: «que chaque élément est en relation avec le tout et que le tout se retrouve dans les parties. Ainsi, en acquérant des compétences scientifiques, on mûrit en tant que personne dans la connaissance de soi et dans le discernement de sa propre voie». François a exhorté les universitaires à aller de l’avant «plus loin, plus haut; allons, courage. C’est ce que je vous souhaite de tout cœur», conclut le Saint-Père.
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