Thomas d’Aquin, un défenseur de la dignité et de l'unité de la personne humaine
Jacques Ngol, SJ – Cité du Vatican
À l’entame de son message, le Pape François manifeste d'abord sa reconnaissance à l'Académie pontificale des Sciences sociales pour avoir choisi de célébrer le 750e anniversaire de la mort de saint Thomas d'Aquin en parrainant un atelier sur le thème: «L'ontologie sociale et le droit naturel de Thomas d'Aquin en perspective. Perspectives pour et à partir des sciences sociales».
Conciliation entre philosophie et théologie
«Saint Thomas n'a pas cultivé les sciences sociales telles que nous les entendons aujourd'hui, son étude rigoureuse des implications philosophiques et théologiques de la donnée biblique peut être considérée comme ayant contribué à ouvrir la voie au développement de ces sciences modernes», rappelle le Saint-Père. Pour lui, l'œuvre de Thomas démontre à la fois «son engagement à comprendre la Parole révélée de Dieu dans toutes ses dimensions et, en même temps, sa remarquable ouverture à toute vérité accessible à la raison humaine». Il a assuré que «le docteur angélique était profondément convaincu que Dieu est la vérité et la lumière qui illumine toute compréhension». Dans ce sens, «il ne peut y avoir de contradiction fondamentale entre la vérité révélée et celle découverte par la raison». Au cœur de sa compréhension de la relation entre «foi et raison» se trouvait sa conviction du pouvoir du «don divin de la grâce pour guérir la nature humaine affaiblie par le péché et pour élever l'esprit par la participation à la connaissance et à l'amour de Dieu», et par conséquent pour nous permettre de «comprendre et d'ordonner nos vies en tant qu'individus et en tant que société».
Poursuivant, le Souverain pontife explique que les sciences sociales contemporaines abordent les questions humaines et la poursuite du développement humain à travers une variété d'approches et de méthodes qui devraient être «fondées sur la réalité irréductible et la dignité de la personne humaine». Saint Thomas a «pu puiser dans un riche patrimoine philosophique qu'il a interprété à la lumière de l'Évangile, dans le but d'affirmer que la personne, en tant que "ce qu'il y a de plus noble dans tout l'univers" est le pilier de l'ordre social». Le docteur angélique défend une doctrine selon laquelle, «créés à l'image et à la ressemblance du Dieu unique, les individus sont destinés, à travers les relations personnelles et interpersonnelles, à vivre, grandir et se développer en communauté», le but étant de se «procurer, par leur travail manuel et physique, éclairés par la lumière de leur intelligence et la force de leur volonté, les biens matériels et spirituels nécessaires à leur bien-être et à leur bonheur».
Thomas d’Aquin et la conception de l’homme
S'appuyant sur des principes déjà établis par Aristote, rappelle François, Thomas d’Aquin affirme que «les biens spirituels précèdent les biens matériels et que le bien commun de la société précède celui des individus, l'homme étant par nature un "animal politique"». Le lien qu’il entretient avec les œuvres éthiques et politiques des grands penseurs classiques est évident dans ses commentaires, et se reflète particulièrement dans les questions qu'il consacre à la justice, notamment dans son célèbre «Traité du droit». Ce qui fait que l’influence de la pensée du philosophe théologien sur la formation de la pensée morale et juridique moderne est incontestable. La récupération de la perspective philosophique et théologique qui a nourri son œuvre peut être très prometteuse pour «notre réflexion disciplinée sur les questions sociales urgentes de notre époque» a relevé le Pape.
L’homme, un être capable de distinguer le vrai du faux
Saint Thomas d’Aquin défend la dignité et l'unité intrinsèques de la personne humaine, qui appartient à la fois au monde physique en vertu du corps et au monde spirituel en vertu de l'âme rationnelle, «une créature capable de distinguer le vrai du faux sur la base du principe de non-contradiction, mais aussi de discerner le bien du mal». Cette capacité innée de discerner et d'ordonner ou de disposer les actes en vue de leur fin ultime par l'amour, traditionnellement appelée "loi naturelle", «n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence infusée en nous par Dieu», une lumière donnée par «Dieu à la création».
Le Pape invite à retrouver la considération de ce «penchant naturel à connaître la vérité sur Dieu et à vivre en société» afin d'orienter «la pensée et les politiques sociales de manière à promouvoir, plutôt qu'à entraver, le développement humain authentique des individus et des peuples». La croyance de Thomas en une loi naturelle inscrite dans le cœur de l'homme, explique François, peut «offrir des perspectives nouvelles et précieuses à notre monde globalisé, dominé par le positivisme juridique et la casuistique», même s'il continue à «chercher des fondements solides pour un ordre social juste et humain».
Pour le Pape, si Thomas d’Aquin fonde «sa compréhension de la dignité humaine et des exigences d'une "ontologie sociale" sur la nature humaine», il ajoute nécessairement que «notre nature humaine, blessée par le péché, est guérie et élevée par la grâce, fruit de la rédemption opérée par le Christ». Une conviction qui a été réaffirmée à notre époque par l'enseignement du Concile Vatican II, à savoir: «Le Christ, qui est le nouvel Adam, en révélant le mystère du Père et de son amour, révèle aussi pleinement l'homme à lui-même et lui manifeste sa plus haute vocation».
L'intuition de Thomas sur cette effusion de la grâce rédemptrice et sur la variété des moyens par lesquels cette grâce est communiquée pour «la construction du corps a de riches implications pour comprendre la dynamique d'un ordre social solide fondé sur la réconciliation, la solidarité, la justice et l'attention mutuelle».
Trouver le sens du service dans la sainte Cène
«Au cours de ces années de pontificat, j'ai essayé de privilégier le geste du lavement des pieds, en suivant l'exemple de Jésus qui, lors de la dernière Cène, a enlevé son manteau et lavé les pieds de ses disciples un par un», explique le Saint Père. Pour lui, le lavement des pieds est «un symbole éloquent des Béatitudes proclamées par le Seigneur dans le Sermon sur la montagne et de leur expression concrète dans les œuvres de miséricorde». Dans ce sens, comme l'enseigne l'Aquinate, par cette action extraordinaire, le Christ «a montré toutes les œuvres de miséricorde».
Le Souverain pontife invite les membres de l’Académie pontificale des sciences à profiter du riche patrimoine de la pensée religieuse, éthique et sociale que nous a légué saint Thomas d'Aquin, pour «trouver l'inspiration et l'éclairage pour vos propres contributions aux diverses sciences sociales, tout en respectant leurs méthodes et leurs objectifs propres». Il assure prier pour que chacun, «dans son travail et dans sa vie, trouve un accomplissement dans notre engagement commun à contribuer à un avenir de fraternité, de justice et de paix pour tous les membres de notre famille humaine».
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