Vœux à la Curie romaine, «un grand atelier d’humilité»
Jean-Charles Putzolu – Cité du Vatican
C’est le 12e rendez-vous de François avec les membres de la Curie romaine pour cet échange de vœux traditionnel en période de Noël. François, qui avait habitué ses hôtes à des avertissements parfois très forts -faut-il se remémorer les vœux de 2014 lorsqu’il dressa la liste des maladies de la Curie dont «l’Alzheimer spirituel», «la vanité» ou le «bavardage»-, a cette fois choisi un ton plus lissé pour rappeler aux responsables des administrations du Saint-Siège combien l’incarnation du Verbe de Dieu, que nous allons liturgiquement vivre cette semaine, invite à l’humilité absolue et à mesurer ses propos vis-à-vis de son prochain, de ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques: «Une communauté ecclésiale vit dans une harmonie joyeuse et fraternelle dans la mesure où ses membres marchent sur la voie de l’humilité, en renonçant à penser du mal et à dire du mal des autres».
S’accuser soi-même
Citant Dorothée de Gaza, père spirituel du désert palestinien du VIe siècle et auteur notamment des “Œuvres spirituelles” -homme qui refusa toujours les responsabilités sans pour autant parvenir à s’en échapper-, François replace l’humilité au centre de la Curie. L’exemple d’humilité du saint Égyptien, qui dans ses écrits suggère de transformer tout éventuel mal que l’on pourrait penser de son prochain en bonnes pensées, devrait être une ligne de conduite quotidienne de tous ceux qui travaillent à la Curie, entité au service de l’Église universelle. Le Souverain pontife d’inviter donc à «s’accuser soi-même», qui constitue «l’attitude de base dans laquelle peut s’enraciner le choix de dire “non” à l’individualisme et “oui” à l’esprit communautaire et ecclésial». S’accuser, c’est supporter; c’est une attitude humble et le fondement du service à la communauté.
«Qu’a fait Dieu», interroge l’évêque de Rome. Le Très-Haut s’est abaissé, il a pris la forme d’un «germe d’homme dans le sein d’une femme», et est parti de l’invisible pour prendre progressivement «sur lui la masse énorme, insupportable, du péché du monde». Le Pape décrit ce mouvement comme un fait théologal, un don de Dieu et œuvre de l’Esprit Saint, auquel il convient de se conformer, pour l’accueillir et l’assumer. C’est aussi l’attitude de Marie, qui s’est pleinement laissée emporter dans cet abaissement de Dieu. «L’humilité en ce sens, dit François, pourrait être qualifiée de vertu théologale».
Bénis pour bénir
Reprenant saint Paul aux Éphésiens, «Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ», François développe son propos sur le fondement de «dire du bien»: «nous sommes bénis et, en tant que tels, nous pouvons bénir». S’en suivent deux images: la première, celle du caractère parfois ennuyeux et rébarbatif du travail de bureau, qui peut devenir «souvent aride et dessèche à la longue, si l’on ne se recharge pas avec des expériences pastorales, avec des moments de rencontre, de relations amicales, dans la gratuité». Puis, celle d’un «grand fleuve qui se divise en mille et un ruisseaux, torrents, rivières -un peu comme le bassin de l’Amazone- pour irriguer le monde entier avec la bénédiction de Dieu, qui découle du Mystère pascal du Christ». Ainsi, l’activité aride ne parviendra à abreuver et donc à se transformer que si chacun se laisse remplir par la présence du Verbe incarné pour devenir «artisan de bénédiction».
Les travailleurs de l’ombre
Le Pape s’arrête aussi sur le travail des «minutanti», nom donné aux experts de la Secrétairerie d’État spécialisés dans différents domaines et consultés pour la rédaction de documents, de lettres et de messages paraphés ensuite par le Saint-Père. Ils sont l’expression de cet artisanat de la Curie, dit le Pape, en évoquant un prêtre qui avait longtemps travaillé à la Secrétairerie d’État, et qui derrière la porte de son bureau avait écrit: “Mon travail est humble, humilié, humiliant”. «Un regard un peu trop négatif, certes, mais qui contient une part de vrai et de bon», commente le Successeur de Pierre, «à comprendre toutefois dans un sens positif: l’humilité comme voie du dire du bien. Le chemin de Dieu qui, en Jésus, s’abaisse et vient habiter notre condition humaine, et ainsi nous bénit».
La «cruauté» de la guerre à Gaza
Avant même de citer Dorothée de Gaza, François a fait précéder son allocution par une condamnation des bombardements de vendredi dans la localité de Jaballa. «Une cruauté», dénonce le Pape. «Je tiens à le dire parce que ça me touche au cœur», ajoute-t-il, commentant le raid israélien qui fait dix morts, dont sept enfants, tous membres d’une même famille.
Enfin, le Souverain pontife s’élève aussi contre le refus d’entrer à Gaza, présenté vendredi au cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, alors que les autorités israéliennes lui avaient promis cet accès. Le Pape reste constamment informé de la situation dans la région et, comme l’a rappelé encore le cardinal Re ce samedi matin en saluant le Saint-Père au nom des responsables de la Curie, «a élevé la voix pour implorer la paix et appeler à la raison, à des négociations honnêtes, à des efforts pour trouver les solutions possibles, parce que la guerre n'est que la mort de personnes, la destruction de maisons, d'hôpitaux et d'écoles».
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