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Dans un monde en crise, le Pape expose sa diplomatie de l’espérance

Le Souverain pontife a présenté ses vœux pour la nouvelle année aux membres du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, jeudi 9 janvier, en Salle des Bénédictions. Le Pape argentin a exposé aux ambassadeurs, représentant 184 États avec lesquels le Saint-Siège entretient des relations, les lignes directrices d’une diplomatie de l’espérance, formée par les quatre piliers de la vérité, du pardon, de la liberté et de la justice.

Delphine Allaire – Cité du Vatican

Dans la solennité du décor de la Salle des Bénédictions donnant sur la loge centrale d’où le Successeur de Pierre s’adresse deux fois par an à la Ville et au monde, François a, selon l’antique coutume du début d’année, détaillé sa vision d’un monde de paix et d’espérance. Le dense discours d’une quinzaine de pages du Souverain pontife de 88 ans a été lu presque intégralement par Mgr Filippo Ciampanelli, sous-secrétaire du dicastère pour les Églises orientales, debout, à côté du Pape assis, et grippé, qui s’est limité à n’en lire que les deux premiers paragraphes. Les misères et malheurs du monde ont commencé à être égrainés par la reprise «d’actes odieux de terreur» récents, comme à Magdebourg en Allemagne, à la Nouvelle-Orléans aux États-Unis, ou dans un autre registre, les attentats contre le Premier ministre slovaque ou le président-élu Donald Trump, cités par François comme «exemples tragiques». Le climat général de polarisation et de peur dans les sociétés a donc été d’emblée dénoncé aussi pour sa propension à ériger «de nouvelles barrières» et à tracer «de nouvelles frontières».

Prôner la rencontre plutôt que la démarcation identitaire

«Les frontières modernes prétendent être des lignes de démarcation identitaires où la diversité est un motif de méfiance, de défiance et de peur», a regretté François dans ce texte, souhaitant que pour l’année jubilaire en cours «la logique de la rencontre» prévale sur «la logique de l’affrontement». Dans cette perspective, le Pape argentin a justifié la nécessité diplomatique à favoriser le dialogue «avec tous», «y compris avec les interlocuteurs considérés comme les plus “gênants” ou que l’on ne considère pas comme légitimes pour négocier». Cette méthode est selon lui «le seul moyen de briser les chaînes de la haine et de la vengeance qui emprisonnent», et «de désamorcer les dispositifs de l’égoïsme, de l’orgueil et de la fierté humaine à l’origine de toutes les volontés belliqueuses qui détruisent».

“Les frontières modernes prétendent être des lignes de démarcation identitaires où la diversité est un motif de méfiance, de défiance et de peur.”

Manipulation des masses et santé mentale à l’ère de l’IA

Après ces constats liminaires, l’évêque de Rome a exhorté cette année les ambassadeurs à devenir hérauts d’une «diplomatie de l’espérance», irriguée, d’abord, par la vérité. Un défi au siècle de l’intelligence artificielle, pouvant être utilisée abusivement «comme moyen de manipulation des consciences à des fins économiques, politiques et idéologiques». François estime que les limites et les pièges de ces nouveaux moyens de communication ne doivent pas être tus. Ils contribuent, d’après lui, souvent «au rétrécissement des perspectives mentales, à la simplification de la réalité, au risque d’abus, à l’anxiété et, paradoxalement, à l’isolement, en particulier par l’utilisation des réseaux sociaux et des jeux en ligne».

Plus concrètement, l’essor de l’IA amplifie les inquiétudes du Pape concernant les droits de propriété intellectuelle, la sécurité de l’emploi pour des millions de personnes, le respect de la vie privée et la protection de l’environnement contre les déchets électroniques (e-waste). François, dénonçant souvent la colonisation idéologique, regrette que la technologie alignée sur des intérêts commerciaux n’engendre encore plus une culture consumériste.

Détournements langagiers et instrumentalisation des documents

Cette diplomatie de la vérité doit indéniablement se manifester par le langage, particulièrement important dans les contextes multilatéraux où l’effet de chaque mot, des déclarations, des résolutions et, en général, des textes négociés, dépendent de cette condition. Le Successeur de Pierre dénonce ainsi la tentative d’instrumentaliser les documents multilatéraux –«en changeant la signification des termes ou en réinterprétant unilatéralement le contenu des traités relatifs aux droits de l’homme»- afin «de promouvoir des idéologies qui divisent». Il s’agit ici selon François «d’une véritable colonisation idéologique qui, selon des programmes soigneusement planifiés, tente d’éradiquer les traditions, l’histoire et les attaches religieuses des peuples»; «d’une mentalité qui, présumant avoir surmonté ce qu’elle considère comme “les pages sombres de l’histoire”, donne libre cours à la culture de l’effacement». Le Pape évoque, entre autres, en la matière le détournement langagier à parler «de droit à l’avortement», lorsque celui-ci contredit la vie, et d’évoquer, de même, qu’aucune personne âgée ou malade ne peut être privée d’espérance ni rejetée.

Appelant à retrouver «l’esprit d’Helsinki» favorisé à il y a 50 ans par le Saint-Siège, le Souverain pontife a déploré les faiblesses des institutions multilatérales actuelles, plaidant pour leur réforme. François a regretté dans cette veine le risque actuel de «monadologie» des idées, soit «de fragmentation en clubs partageant les mêmes idées».

Les cœurs brisés par les conflits ouverts 

Après la vérité, le Successeur de Pierre a évoqué la diplomatie du pardon, souhaitant pour cette année de grâces la paix, «avant tout», en Ukraine. François y voit des signes encourageants, mais constate qu’il reste «encore beaucoup à faire» pour construire les conditions d’une paix juste et durable et «pour panser les plaies infligées par l’agression».

Concernant le Proche-Orient, le Pape renouvelle son appel à un cessez-le-feu et à la libération des otages israéliens à Gaza, demandant à ce que la population palestinienne reçoive toutes les aides nécessaires. «Mon souhait est que les Israéliens et les Palestiniens puissent reconstruire les ponts du dialogue et de la confiance mutuelle, en commençant par les plus petits, afin que les générations futures puissent vivre côte à côte dans deux États, en paix et en sécurité, et que Jérusalem soit la “ville de la rencontre” où chrétiens, juifs et musulmans cohabitent en harmonie et dans le respect», a déclaré le Saint-Père, ciblant encore la prolifération d’armes «toujours plus sophistiquées et destructrices» au lieu d’éradiquer la faim par un Fonds mondial ou encore l’inobservance du droit international humanitaire sur les nombreux théâtres de guerre ouverts. Parmi eux, le Pape pense aux conflits persistant en Afrique: le Soudan, le Sahel, la Corne de l’Afrique, le Mozambique, l’Est de la République démocratique du Congo, où «la population est affectée par de grandes carences sanitaires et humanitaires, parfois aggravées par le fléau du terrorisme, entraînant des pertes en vies humaines et le déplacement de millions de personnes». Le tableau s’obscurcit avec les effets dévastateurs des inondations et de la sécheresse dans les diverses régions du deuxième continent le plus peuplé du monde.

“Mon souhait est que Jérusalem soit la “ville de la rencontre” où chrétiens, juifs et musulmans cohabitent en harmonie et dans le respect.”

La diplomatie du pardon implique de construire des sociétés pacifiques. Le Pape évoque la Birmanie en Asie, Haïti, le Venezuela et «la grave crise politique» qu’il traverse, aux Amériques. Mais aussi en Amérique latine, à la Bolivie qui traverse une préoccupante situation politique, sociale et économique; et à la Colombie, déchirée «depuis trop longtemps» par de multiples conflits.

La liberté religieuse, condition sine qua non de la paix

Mentionnant le Nicaragua, le Pape a rappelé que le Saint-Siège, «toujours disponible pour un dialogue respectueux et constructif», suit avec inquiétude les mesures prises à l’encontre des personnes et des institutions de l’Église, espérant que la liberté religieuse soit adéquatement garantie.

«Il n’y a pas de paix véritable si la liberté religieuse n’est pas également garantie, ce qui implique le respect de la conscience des individus et la possibilité de manifester publiquement sa foi et l’appartenance à une communauté», a-t-il ajouté, préoccupé par «des expressions grandissantes de l’antisémitisme» qu’il condamne fermement et dont il reconnait qu’elle touchent un nombre croissant de communautés juives dans le monde.

Le Souverain pontife a fait référence aux nombreuses persécutions contre diverses communautés chrétiennes souvent perpétrées par des groupes terroristes, notamment en Afrique et en Asie, ou dans des formes plus «délicates» de limitation de la liberté religieuse, rencontrées en Europe.

Les chrétiens du Proche-Orient

François a abordé en particulier la Syrie qui, après des années de guerre et de dévastation, semble en voie de stabilisation. «Je souhaite que l’intégrité territoriale, l’unité du peuple syrien et les réformes constitutionnelles nécessaires ne seront compromises par personne et que la Communauté internationale aidera la Syrie à être une terre de coexistence pacifique», a-t-il noté. Quant au voisin libanais s’essayant à l’élection d’un président ce jeudi, le Pape lui souhaite la stabilité institutionnelle nécessaire pour faire face à la grave situation économique et sociale, reconstruire le sud du pays touché par la guerre, et mettre pleinement en œuvre la Constitution et les Accords de Taëf. Cela «avec l'aide décisive de la composante chrétienne.» «Que tous les Libanais œuvrent afin que le visage du Pays des Cèdre ne soit jamais défiguré par la division, et qu’il resplendisse toujours du “vivre ensemble” restant un Pays-message de coexistence et de paix», a espéré l’évêque de Rome.

La dignité des personnes migrantes

Le Souverain pontife s’est ensuite penché sur «la diplomatie de la liberté», lui permettant d’évoquer tour à tour les pratiques d’esclavage subsistantes, notamment dans le travail, la toxicomanie ou la traite humaine, qui nécessitent l’engagement de la communauté internationale. François s’est tourné vers les migrants parcourant périlleusement l’Amérique centrale, le Sahara, la Manche ou la Méditerranée, regrettant que les migrations soient toujours entourées d’un sombre nuage de méfiance, au lieu d’être perçues comme une source de croissance. «Les personnes en déplacement ne peuvent être assimilées à des objets à ranger; elles ont une dignité et des ressources à offrir aux autres», a répété le Saint-Père.  

Peine de mort et annulation de la dette, visages de justice

Enfin, la diplomatie de l’espérance est une diplomatie de la justice sans laquelle il ne peut pas y avoir de paix. L’année jubilaire est un moment propice pour pratiquer la justice, remettre les dettes et commuer les peines des prisonniers. «Aucune dette ne permet à quiconque, pas même à l’État, d’exiger la vie d’autrui», a martelé le Pape, rappelant que nous sommes tous prisonniers car débiteurs: envers Dieu, le prochain et la Terre.

François de citer comme manifestation extrême de la nature les inondations dévastatrices en Europe centrale et en Espagne, ainsi que les cyclones qui ont frappé Madagascar au printemps et, juste avant Noël, le département français de Mayotte et le Mozambique. «Nous ne pouvons pas rester indifférents à cela! Nous n’en avons pas le droit! Au contraire, nous avons le devoir de déployer un maximum d’efforts pour sauvegarder notre maison commune, celle de ceux qui l’habitent et qui l’habiteront», a-t-il lancé, priant les nations les plus aisées d’annuler les dettes des pays qui ne pourront jamais les rembourser. S’ajoute également une nouvelle forme d’iniquité en la “dette écologique” entre le Nord et le Sud pour laquelle, a conclu François, pour qui il apparaît important de trouver des moyens efficaces pour convertir la dette extérieure des pays pauvres en politiques et programmes efficaces, créatifs et responsables de développement humain intégral. «Que l’espérance fleurisse dans nos cœurs et que notre époque trouve la paix qu’elle désire tant», a ultimement souhaité le Pape argentin aux représentants de 184 États.

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09 janvier 2025, 10:45