Nikol Pachinian, le mal-aimé incontournable de la politique arménienne
Entretien réalisé par Xavier Sartre – Cité du Vatican
Vivement contesté dans la rue depuis sa décision de rétrocéder à l’Azerbaïdjan quatre localités sous contrôle arménien depuis les années 1990 et la guerre qui opposa Erevan à Bakou, Nikol Pachinian entend bien rester à la tête du gouvernement arménien. Des appels de mécontents à sa destitution par le Parlement sont apparus dans les cortèges mais une telle issue politique semble peu plausible, le Premier ministre disposant de la majorité.
Ce n’est pas la première fois que Nikol Pachinian est sous le feu des critiques, explique Taline Papazian, politologue, enseignante à l'IEP d'Aix-en-Provence et directrice de l'ONG Armenia Peace Initiative. Les premières contestations sont apparues dès 2020, après la guerre qui opposa l’Azerbaïdjan à la république autoproclamée du Haut-Karabagh. Plusieurs tentatives ont été lancées pour que ce mouvement de rue débouche sur une issue politique, poursuit la politologue. Mais cela a échoué, «le mouvement ayant déjà montré des signes d’essoufflement dans les dernières semaines», précise-t-elle.
Une réelle colère populaire
Cependant, «le mécontentement est très réel et très palpable, analyse Taline Papazian, mais il y a une chose autour de laquelle la très grande majorité silencieuse arménienne fait consensus et qui permet à Nikol Pachinian de se maintenir, c’est la très grande lassitude, la peur d’une reprise de la guerre, et donc ce désir de paix qui aujourd’hui est vital pour les Arméniens et que la population ressent au plus profond de ses tripes, fait que Nikol Pachinian reste la meilleure ou la moins pire de toutes les alternatives». Le Premier ministre bénéficie de l’absence d’opposition crédible, en mesure de le remplacer. «La seule chose qui est proposée est la démission de Pachinian», sans préciser qui pour le remplacer et pour faire quoi, constate la chercheuse.
À l’origine de ce désamour entre le chef du gouvernement au pouvoir depuis 2018 et les Arméniens, il y a la série de défaites militaires des forces du Haut-Karabagh contre celles de l’Azerbaïdjan, qui a conduit à l’exode de la population arménienne de cette région vers l’Arménie. Depuis, Nikol Pachinian tente de parvenir à un accord de paix définitif avec Bakou, conscient des limites militaires de son pays, de son isolement sur la scène internationale, et de la relative indifférence de la Russie, son partenaire privilégié en matière de sécurité.
Le prix de la lucidité
En avril dernier, il a appelé ses concitoyens à cesser de croire aux illusions d’une «Arménie historique» et à se concentrer sur l’«Arménie réelle». Nikol Pachinian paierait ainsi les conséquences d’une certaine lucidité sur la situation de son pays et ses capacités, ce que n’importe quel Premier ministre paierait, estime Taline Papazian. «C’est le prix de vingt-cinq ans de mauvais calculs stratégiques, d’enfermement de l’Arménie dans une relation de vassalité avec la Russie», conclut-elle.