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Les villes peuvent désormais sanctionner les personnes dormant dans l'espace public, même si elles ne mettent pas à leur disposition suffisamment de lieu d'accueil. Les villes peuvent désormais sanctionner les personnes dormant dans l'espace public, même si elles ne mettent pas à leur disposition suffisamment de lieu d'accueil.   (2024 Getty Images)

La Cour suprême américaine valide la criminalisation des SDF

Six des neuf juges ont estimé le 28 juin dernier que les amendes et peines de prison imposées par la ville de Grants Pass, dans l’Oregon, aux sans-abris dormant dans l’espace public ne violaient pas la Constitution. Au service des plus pauvres, notamment des personnes à la rue ou menacées d'éviction, la Société de Saint-Vincent-de-Paul ne cache pas son inquiétude. Entretien avec son président aux États-Unis, John Berry.

Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican

Quel sort sera désormais réservé aux centaines de milliers de sans domicile fixe que comptent les Etats-Unis ? 653 000 étaient recensés dans le pays en janvier dernier par l’Université d’Harvard ; un chiffre en constante augmentation.

Ce vendredi, avant la pause estivale, les juges de la Cour Supreme américaine ont donné raison à la ville de Grants Pass, dans le sud de l’Oregon. Située à une heure de voiture de la frontière californienne, la municipalité de 40 000 habitants avait décidé de sévir contre les centaines de sans-abri occupant ses parcs et parkings. Elle avait pris plusieurs ordonnances en 2013 leur imposant des amendes de 250 dollars en cas de campement dans l’espace public, pouvant s’élever à 537,60 dollars en cas d’impayé. Après cela, des poursuites pénales pour intrusion pourraient être engagées à la suite de deux citations en justice, avec une amende maximale de 1 250 dollars et 30 jours de prison.

Ces mesures avaient été suspendues par une cour d’appel fédérale en 2022. Au regard du manque de structure d’accueil disponibles à Grants Pass, les contraventions et mise en détention éventuelles avaient été jugées «cruelles et inhabituelles», c’est-à-dire contraire au huitième amendement de la Constitution. Vendredi dernier, la Cour suprême a donc écarté l’argument.

Les œuvres d’Église au service des plus démunis sont aujourd’hui extrêmement préoccupées. Elles craignent de ne plus être en mesure d’aider individuellement, au cas par cas, les sans-abri à rompre le cycle de pauvreté dont ils seraient, dès lors, encore davantage prisonniers. C’est ce que nous explique John Berry, le président national de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Installée depuis 1845 aux États-Unis, elle compte aujourd’hui quelque 90 000 membres.

Quelles conséquences cette validation va-t-elle avoir sur les sans-abri et pour votre travail ?

La criminalisation des sans-abri va les obliger à se déplacer, dans des campements dans les bois ou dans des endroits où ils disparaîtront au milieu d’une population d’«indésirables» dans les villes qui n’auront pas pris de mesures sanctionnant les sans domicile fixe. Cela va devenir un problème. Un certain nombre de SDF est confronté à des problèmes de santé mentale nécessitant un suivi. Il peut y avoir aussi des problèmes de dépendance qu'ils essaient de surmonter mais, pour cela, ils doivent pouvoir accéder au type de services de soutien que nous fournissons avec d’autres. Et s'ils devaient disparaitre, ils ne seraient plus en mesure d'accéder à nos services, et ils n'auraient plus personne pour les aider à brise le cycle de pauvreté dans lequel ils sont enferrés. Ces personnes seraient confrontées à une situation tragique.

Est-ce que cette décision ne va pas au final définitivement condamner les sans-abri, surtout quand on sait l’attention portée par les propriétaires à la solvabilité et aux antécédents judiciaires de leur futur locataire ?

C'est un excellent point, si les sans-abri ont une arrestation inscrite sur leur casier judiciaire, essayer de travailler avec eux pour les ramener dans un logement plus tard (ndlr: la Société de Saint Vincent de Paul se porte, par exemple, garant de la personne précaire) deviendra un défi, parce qu'ils devraient répondre de cette arrestation. Ils devraient s’en expliquer pour se loger. Donc, oui, c'est un autre obstacle qui les empêche de devenir stables et autonomes.

D’autres villes se sentiront-elles encouragées selon vous par ce jugement ?

Je pense que le fait qu’il puisse y avoir, au sein d’un même État, un certain nombre de villes adoptant des approches différentes à l’égard des SDF, cela pourrait pousser à une intervention au niveau de l’État ou, je l’espère, au niveau fédéral. On ne peut permettre qu'une ville adopte des lois sur l’itinérance et pas une autre. On se retrouverait alors dans une très très mauvaise situation.

Est-ce que le sujet de l’itinérance ou plus largement de la pauvreté est présente dans la campagne électorale précédent la présidentielle de novembre prochain ?

Malheureusement, le sujet de l’itinérance n'a pas été abordé de manière adéquate, à quelque niveau que ce soit, lors des élections, et depuis longtemps. J'espère qu'à un moment donné, le gouvernement, à tous les niveaux, commencera à comprendre qu'il ne peut pas ignorer ce problème et qu'il faut s'y attaquer. C'est un problème croissant. Les disparités économiques entre les riches et les pauvres ne font que s'accentuer.

Pour contraster la pauvreté, vous proposez une approche élargie, et des solutions globales émanant de discussion entre les autorités civiles et les secteurs privé, associatif et confessionnel, avec une attention marquée pour la prévention.

Aucune loi adoptée par une ville ne mettra fin au problème des personnes sans domicile fixe. Ce qu'il faut faire pour mettre fin à l’itinérance, c'est de la prévention, une aide financière à court terme. Les services de soutien sont incroyablement efficaces pour aider les individus et les familles à rester dans leur logement. L'Université catholique Notre Dame a constaté que les personnes qui reçoivent en moyenne deux mille dollars d'aide financière d'urgence ont 81% de chances en moins de devenir sans-abri dans les six mois suivant la réception de cette aide. La législation des villes pour lutter contre le l'itinérance des SDF n'est donc pas la solution. Elle ne changera rien. Mais la prévention fonctionne. Il est bien plus efficace et fructueux à long terme d’anticiper et de prévenir les problèmes que d'attendre que quelqu'un devienne sans-abri pour essayer ensuite de le reloger.

Est-ce que les sans-abri pourront voter lors des prochaines élections ?

Eh bien, cela dépend…. Pour pouvoir voter aux États-Unis, il faut avoir une identité établie. Et donc avoir une forme d'identification, un permis de conduire, une carte d'identité du gouvernement fédéral, un ancien passeport, quelque chose comme ça. Pour obtenir l'une de ces pièces d'identité, il faut avoir une résidence. Et ainsi, un sans-abri qui vit dans la rue ne peut avoir de carte d'identité. Il ne peut donc pas voter. Les sans-abri sont donc privés de droit de vote… en raison de leur absence de domicile, ils sont encore plus dépourvus de voix. Ils n'ont pas leur mot à dire sur leur propre avenir.

01 juillet 2024