Le Royaume-Uni se prépare au retour des travaillistes au pouvoir
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Ce jeudi 4 juillet, les électeurs britanniques sont appelés à se rendre aux urnes pour des élections anticipées convoquées, après 14 ans de règne conservateur, par le Premier ministre sortant. Porté au pouvoir par les députés Tories en octobre 2022, Rishi Sunak, espérait surfer sur une embellie économique pour l’emporter. Mais l’ancien banquier d’affaires et ex-ministre des Finances de 44 ans est aujourd’hui très impopulaire.
S’il a apporté une certaine stabilité au pays, après une valse de Premiers ministres (David Cameron, Theresa May, Boris Johnson, Liz Truss) – ayant, pour certains, multiplié les scandales, Rishi Sunak n’a pas endigué la pauvreté, ni réduit les listes d’attente à l’hôpital, ni, malgré ses promesses, mis fin aux arrivées de migrants sur les côtes britanniques.
Nous revenons sur son bilan, sur la perte annoncée de dizaines de sièges pour les Tories à Westminster et sur les perspectives offertes par le retour probable des travaillistes au pouvoir avec Pauline Schnapper professeure de civilisation britannique contemporaine à l'université de la Sorbonne Nouvelle (Paris 3).
Qui est responsable de l’échec annoncé des conservateurs ?
Ce sont surtout les quatorze ans de parti conservateur au pouvoir qui en sont responsables, avec une situation économique et sociale extrêmement dégradée ainsi qu’une très grande instabilité politique, et des scandales en série. Il est clair que ce mélange d'incompétence et de scandales a vraiment totalement anéanti la popularité du parti conservateur. Cela dit, après un peu moins de deux ans au pouvoir, Rishi Sunak n'a pas réussi à stopper cette hémorragie sur le plan économique. L'inflation qui atteint plus de 11% au Royaume Uni en 2022 s'est maintenant réduite, mais les effets de deux ans de très forte inflation se font encore très clairement sentir. On a également beaucoup parlé d'immigration, mais finalement, quand on regarde le bilan en termes de lois ou de réussites, quelles qu'elles soient, sur le plan social ou économique, ce bilan est très très faible.
Le Labour, dans l’opposition depuis 2010, caracole dans les sondages avec 20 points d’avance. À la tête des travaillistes, Keir Starmer devrait devenir le prochain Premier ministre du pays. Est-ce un vote par rejet ou d’adhésion ?
C'est difficile à dire dans la mesure où évidemment, les deux vont peut-être un peu de pair. Il est vrai que la popularité de Keir Starmer n'est pas énorme: dans les enquêtes d’opinion, les électeurs font savoir qu'ils le connaissent encore mal et qu'ils n'ont pas un enthousiasme comparable à celui qui avait pu accompagner Tony Blair à la fin des années 90. Car la dernière grande victoire du parti travailliste remonte à 1997 avec Tony Blair, et il y avait autour de lui et du parti à l'époque, un réel engouement qu'on ne sent pas autour de Starmer.
On dit l’ancien avocat et ex-procureur d’Angleterre et du Pays de Galles «austère»…
Oui, mais en même temps, on peut se demander si l'attitude et la personnalité de Keir Starmer ne sont pas adaptées au temps que connaît le Royaume-Uni. Aujourd'hui, une partie de la population aspire certainement à du calme, du sérieux et de la compétence après ces années de chaos, du côté des conservateurs mais aussi après des années de radicalité du parti travailliste sous Jeremy Corbyn. Et c’est ce qu’offre Starmer. Nous verrons ensuite si la réalité suit mais, en tout cas, c'est l'image qu'il projette.
Il est depuis quatre ans aux commandes du Labour. Comment est-ce qu'il a transformé le parti après le départ de Jeremy Corbyn, pour proposer quoi aujourd'hui?
Il a recentré le parti en interne. Il a écarté non seulement Jeremy Corbyn lui-même, mais aussi une bonne partie de la gauche la plus radicale, et il a notamment «fait le ménage», si vous me permettez l'expression, dans tout ce qui concernait les élus qui avaient flirté avec l'antisémitisme sous Jeremy Corbyn ou même encore aujourd'hui. C’est un élément qui était extrêmement important pour le rendre acceptable par une majorité des électeurs.
Sur le plan programmatique, il a rompu avec les promesses les plus extrêmes de Jeremy Corbyn, comme de renationaliser des industries. Il est extrêmement prudent en termes de promesses de dépenses publiques. Ce qui fait sa force et sa faiblesse, parce que la population aspire très clairement à des investissements massifs dans les services publics qui sortent de quatorze ans de gouvernement conservateur dans un état déplorable. Starmer promet des dépenses, mais de façon extrêmement prudente pour l'instant, pour une raison très claire: l'état des finances publiques. C'est une autre grande différence avec 1997, c'est qu’il n’y a aujourd’hui aucune marge de manœuvre pour dépenser. Et comme il a aussi promis de ne pas augmenter les impôts des sociétés ni l'impôt sur le revenu, les marges de manœuvre du nouveau gouvernement seront étroites. On voit cela dit la direction dans laquelle le parti travailliste aimerait aller.
Avec un vote qui semble joué d'avance, est-ce qu'il faut craindre un désintérêt et du coup de l'abstention?
Alors effectivement les politiques s'inquiètent aujourd'hui du risque d’une démobilisation partielle. Mais quoi qu'il arrive, il y a peu de chance que l'abstention joue un rôle majeur sur le résultat final. Parce que si elle était relativement forte, elle affecterait a priori l'ensemble des camps, donc ça ne devrait pas bouleverser le résultat.
Est-ce que ça pourrait favoriser la droite dure de Nigel Farage, ex champion du Brexit, dont le parti Reform UK est crédité de 19 % en moyenne dans les sondages?
Effectivement, les derniers sondages donnent des chiffres assez importants pour Reform UK de Nigel Farage. Mais il faut bien garder en tête le mode de scrutin britannique, qui est un mode de scrutin majoritaire à un seul tour, c'est à dire qui pour être élu, il faut simplement arriver en tête dans chaque circonscription. Or, la probabilité que Reform UK arrive en tête dans plus d’une demi-douzaine de circonscriptions est quasi nulle – sauf surprise énorme. L’incidence de Reform UK pourrait avoir un impact indirect. Il pourrait faire battre les conservateurs dans un certain nombre de circonscriptions en leur prenant quelques voix ; des voix suffisantes pour mettre un autre parti que le parti conservateur en tête dans cette circonscription. Donc, de façon indirecte, Reform UK a une influence, oui, mais des élus, quasiment pas.
Vous parlez de l'impact sur les conservateurs. Ils pourraient quand même perdre plus de 250 sièges sur 344 aujourd'hui. C'est du jamais vu depuis la fondation du parti en 1834.
Oui, oui, tout à fait. Avec évidemment toute la prudence qui s'impose, on estime qu’a priori, on se dirige vers une défaite massive des conservateurs comme il y en a eu peu dans le passé et qui serait amplifiée par, encore une fois, le mode de scrutin. Le parti conservateur pourrait avoir une centaine, voire moins d'une centaine d'élus. Après, il ne faut pas non plus oublier que depuis dix ou quinze ans maintenant, le Royaume-Uni a un électorat qui est extrêmement volatil et peut sauter d'un parti à un autre en finalement assez peu de temps. Il ne faut pas oublier qu'il y a seulement cinq ans, en décembre 2019, Boris Johnson et le parti conservateur avaient l'avait emporté avec 81 sièges d'avance. Donc, une défaite massive aujourd'hui ne veut pas dire du tout la disparition du parti conservateur et le retournement peut se faire finalement assez vite. C'est d'ailleurs une chose qui pourrait inquiéter le parti travailliste assez vite s'il ne parvient pas à rétablir une meilleure situation économique.
Ainsi affaibli, est-ce que le parti conservateur resterait le principal parti d'opposition?
Oui, a priori, parce qu’encore une fois, on a un mode de scrutin qui favorise les grands partis et qui favorise la stabilité des partis. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres partis, bien évidemment, mais le système à deux partis reste quand même fort.
Alors on a souvent l'exemple français en tête, mais au Royaume-Uni, il y a un système institutionnel, et encore une fois un mode de scrutin qui, d'une certaine façon, protège un peu plus les partis qu'en France.