Le désert du Sahara, frontière meurtrière pour les migrants
Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican
Si la Méditerranée est un cimetière, le désert est un calvaire. Pour les besoins de ce nouveau rapport intitulé «Dans ce périple on s'en fiche de savoir si tu vis ou si tu meurs», 32 000 migrants et réfugiés ont été interrogés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR), témoignant d’ossements et cadavres jonchant le sable, et confiant leur peur de périr en route. Un trajet qui s’arrête d’ailleurs très souvent en Afrique. Plus de 60% des migrants qui arrivent en Libye affirment avoir atteint leur destination finale. Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR pour la Méditerranée occidentale et centrale, a présenté le rapport vendredi 5 juillet à Genève. Entretien.
Pourquoi la traversée du Sahara apparaît-elle plus dangereuse que celle de la Méditerranée?
Le premier danger dont les migrants et réfugiés nous parlent concerne les attaques de bandes criminelles, des bandits de grand chemin, des coupeurs de route qui viennent les voler, les priver de toutes leurs possessions; Pour les femmes, le risque étant plus accru de violences sexuelles sur ces routes. Ensuite, vient la violence qui vient elle-même des passeurs ou des trafiquants qui forcent les gens à faire un certain nombre de choses en route. Ce n'est pas le beau voyage qui a été promis, mais de l'extorsion, du travail forcé, parfois de l'exploitation sexuelle. Des dangers viennent aussi des autorités aux postes-frontières, des gens qui abusent de leur fonction pour aussi extorquer de l'argent à ces malheureux migrants et réfugiés dans le désert, et pas simplement sur les routes qui mènent vers le nord de l'Afrique ou vers l'Europe après par bateau, mais aussi celles qui vont vers l'intérieur et le sud du continent africain.
Ils sont témoins de personnes décédées dans le désert, qu'il s'agisse de gens qui sont tombés des camions et que les passeurs n'ont pas ramassés ou de gens malades, abandonnés au milieu de nulle part. Ils ont vu pour la plupart des cadavres sur ces routes dans le sud algérien, le nord du Niger, le sud de la Libye, mais aussi d'autres portions du Sahara.
Or, quand on pose la question: "Connaissez-vous quelqu'un qui est décédé en mer?" On obtient beaucoup moins de réponses. Sur la base de ces témoignages, on pense qu'il y a beaucoup plus de décès sur terre qu'en mer.
Comment obtenir des informations et agir dans le Sahara? N'est-il pas un trou noir pour les ONG et les institutions internationales?
Tout à fait. Il y a un certain nombre de trous noirs comme ceux-là, auxquels personne n'a accès, ou peu de gens ont accès. Pour les organisations internationales, il est très difficile d'aller là-bas de par les conditions géographiques extrêmes, mais aussi car des États ne souhaitent pas que des organisations humanitaires soient témoins de cette violence qui ne dit pas son mot et qui est secrète; elle est beaucoup moins médiatisée car moins visible qu'un bateau en détresse sur la mer Méditerranée.
Les organisations humanitaires ont la nécessité de trouver d'autres relais: travailler un peu plus avec les leaders traditionnels, avec les autorités locales, témoins et parfois elles-mêmes aussi victimes de ces bandes, sur un système de recherche, d'identification et de référencement pour ces gens qui traversent leur petite commune, les oasis ou les points d'eau qu'ils contrôlent sur ces routes.
Quel est le profil des migrants tentant cette traversée désert? Les pays d'origine évoluent-ils?
En terme général, le profil ne change pas énormément. On dépend beaucoup de ce que nous donnent les États en termes de données.
Quand les migrants et réfugiés traversent la Méditerranée pour aller en Europe, à peu près une personne sur deux obtient l'asile ou un permis humanitaire en Europe. Une personne sur deux est donc considérée comme ayant un besoin de protection internationale. L'autre personne quitte généralement son pays pour des raisons économiques ou pour aspirer à faire des études en Europe ou autre chose.
Sur le continent africain, c'est à peu près pareil. La plupart des migrants et des réfugiés restent sur le continent africain. 70% restent dans le pays voisin de leur pays d'origine avec l'intention, quand les choses vont mieux, de rentrer chez eux..
Les seuls changements récents qui impactent ces mouvements vers le nord de l'Afrique, sont la crise soudanaise -10 millions de déplacés- et la guerre au Mali et au Burkina Faso qui amène sur les routes de l'exil de nombreux ressortissants de ces pays. Là encore, pas tous en direction de l'Afrique du Nord, beaucoup de Burkinabés vont surtout dans les pays du Golfe de Guinée, en Afrique de l'Ouest.
Une fois les périls du Sahara surmontés, la volonté des personnes est-elle encore de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe?
Certains ont formé ce vœu dès leur pays d'origine. 21% des gens que nous avons interrogés nous disent qu'ils ont un point de destination en tête et qu'importe l'information sur les dangers, ils tenteront le tout pour le tout.
Cela veut dire aussi que 79% regrettent d'avoir fait ce choix. Ils nous disent que s'ils avaient su quels étaient les risques réels et pas simplement ce que leur ont dit la famille, les passeurs, la diaspora, ils n'auraient pas entrepris l'ensemble du voyage qu'ils ont fait. C'est assez intéressant en termes de travail sur les solutions.
Maintenant, pour beaucoup de gens, la Libye est la destination finale. Ils pensent travailler là-bas et n'ont pas l'intention d'aller en Europe. 70% des gens ont atteint leur destination finale lorsqu'ils arrivent en Libye.
Quelles sont les politiques d'accueil en place dans les pays de la rive nord-africaine au terme du périple saharien? Avec quelles violations et abus éventuels constatés?
Le problème principal, c'est que tous les pays d'Afrique du Nord ont ratifié les instruments internationaux relatifs à la protection des réfugiés, que ce soit des instruments internationaux ou des instruments régionaux, mais qu'aucun pays d'Afrique du Nord n'a de loi sur l'asile.
Tous les autres pays du continent africain ont des systèmes d'asile qui fonctionnent plus ou moins bien, ce qui n'est pas le cas en Afrique du Nord. Ces pays nous disent toujours qu'ils sont des pays de transit. Ce n'est pas vrai. Au moment de la pandémie il y a trois ans, on voyait toutes sortes de communautés, tant migrantes que réfugiées, dans les pays d'Afrique du Nord, qui travaillaient dans le secteur informel de l'économie pour la plupart. Or, sans cadre législatif, cela veut dire que les gens n'ont pas le droit au séjour. Leur situation est très précaire.
Et dès qu'on rencontre quelques incidents parce qu'il y a des incidents en termes de cohésion sociale avec certaines communautés, il y a des risques que cela finisse mal, comme les vagues d'expulsion de l'Algérie vers le Niger, de la Tunisie vers la Libye, vers l'Algérie, de la Libye vers d'autres pays limitrophes. Ces expulsions de masse ne sont pas la solution parce que les gens vont vers d'autres pays dont ils repartent après.
Quelles solutions de protection imaginer pour améliorer l'assistance sur ces routes du Sahara et de la part de quels acteurs?
Il faut que les États s'entendent. Aucun État seul ne peut répondre aux défis d'une meilleure gestion de ces mouvements sur le continent. Il faut travailler sur une approche basée sur la route, les chemins que les gens empruntent. Les dynamiques dans les communautés ne sont pas forcément les mêmes, donc il faut aussi faire l'effort de savoir qui influence, comment les gens financent leur voyage, quelles sont les activités programmatiques qui ont une valeur stabilisante là où il faut améliorer la protection, travailler sur le retour; il y a des gens qui ont besoin d'assistance pour rentrer chez eux. Toute une palette d'activités doit être mise en place, pas simplement de la part des organisations humanitaires.
Il faut une appropriation au niveau des États de ces solutions basées sur les routes, Il ne faut pas abandonner cette obligation de solidarité. Il s'agit d'abord de sauver des vies au-delà du statut des gens, qu'ils soient réfugiés, qu'ils soient migrants.
Cette qualification est importante concernant les solutions, mais pas en termes d'aide d'urgence. Le trafiquant ne fait pas la différence si une personne est migrante ou réfugiée.
L'Europe aussi doit aider les pays le long de ces routes de façon à mettre en place des mécanismes de protection et d'assistance qui vont donner des alternatives dignes à ces voyages dangereux et irréguliers. Un petit peu dans l'esprit de ce que les États européens avaient adopté avec un certain nombre d'États africains lors du sommet de La Valette en 2015.