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Paul Kagamé, président de la république du Rwanda, candidat à sa succession Paul Kagamé, président de la république du Rwanda, candidat à sa succession  (ANSA)

Présidentielle au Rwanda: victoire «programmée» de Paul Kagamé

Au Rwanda, près de 9,7 millions d’électeurs sont appelés aux urnes ce lundi 15 juillet pour un double scrutin présidentiel et législatif. Environ 500 candidats sont en lice pour les législatives, en vue de remporter 53 des 80 sièges parlementaires. Et pour le scrutin présidentiel, 3 candidats s'affrontent: Paul Kagame, actuel chef d'État et chef du parti politique FPR depuis 1998, Frank Habineza, chef du Parti Démocratique Vert, et Philippe Mpayimana, candidat indépendant.

Entretien réalisé par Augustine Asta - Cité du Vatican

Au pouvoir depuis près de 24 ans le président Paul Kagame, reste le grand favori de cette élection présidentielle qui lui permettra de briguer un quatrième mandat. Il dirige le Rwanda depuis 2000, et a remporté la présidence, à chaque fois avec plus de 90 % des voix, lors des élections de 2003, 2010 et 2017.

Pour Marie Roger Biloa, présidente du Groupe de presse "Africa International" et spécialiste de l’Afrique, ce scrutin présidentiel est «sans enjeu». C’est un simulacre qui permettra juste de légitimer au pouvoir une fois de plus le président sortant, qui dit-elle, il faut le reconnaitre à réussi à faire de son pays un acteur sécuritaire incontournable sur le continent. Avec une politique extrêmement volontariste, le Rwanda a aujourd’hui une diplomatie très active. Le régime «autocratique et autoritaire» de Paul Kagame a certes de la vision mais fait aussi partir d’un système international mis en place pour «piller la RDC», déplore Marie Roger Biloa.

À quoi doit -on s’attendre à l’issu de ce scrutin présidentiel au Rwanda?

Personne ne se fait d'illusion sur le résultat connu à l'avance qui est la réélection de Monsieur Kagamé à un taux qui ferait honte. Sauf au Rwanda, puisque je crois que la dernière fois qu'il a organisé une telle élection, il s'est donné plus de 90 %. Cette fois çi, les candidats ont été triés sur le volet et ceux qui étaient véritablement dans l'opposition ont été écartés. Donc il n'y a absolument aucun risque. Il aura encore un score écrasant. Et ce qui est également particulier, c'est que, après plus de 24 ans, on a beau parcouru toute la presse, on voit à peine l'interrogation sur la légitimité d'une telle durée au pouvoir, puisqu'il a fait réviser la Constitution comme le font d'autres à travers le continent pour rester au pouvoir. Ce qui lui est garanti maintenant, c'est pratiquement jusqu'à 2034. Et donc les interrogations, et je dirais même les indignations qui accompagnent généralement ce genre d'initiatives et de démarches ailleurs, on l'a vu dans d'autres pays, n'ont pas eu lieu. Ici, personne ne semble s'étonner ou s'indigner de ce qu’un président peut rester des dizaines d'années au pouvoir avec des élections qui ne sont pas démocratiques, et une situation intérieure qui est marquée par la répression et l'impossibilité d'exercer librement une parole critique envers le régime.

C'est un scrutin sans grande surprise en fin de compte?

C'est une formalité parce que c'est l'hommage du vice à la vertu. Tous ces dictateurs ne croient pas en fait à la démocratie parce qu'ils font tout pour la contourner, l'étouffer et ne défendre que leurs intérêts à se préserver au pouvoir. Pour cela, ils ont besoin de l'onction, d'une élection des atours et de la forme démocratique pour se légitimer. C'est une espèce de simulacre de démocratie dont ils attendent une légitimité accrue. Et c'est pareil pour le Rwanda. Il y a zéro enjeu. On a bien vu que le Parlement, qui est une écrasante majorité aux couleurs du parti au pouvoir, est une vaste caisse de résonance. Ce sont des institutions qui sont censées apporter de la crédibilité, de la légitimité à un système qui est entièrement autocratique.

Le Rwanda est-il aujourd'hui un acteur sécuritaire incontournable en Afrique?

Le Rwanda a réussi à devenir un acteur de premier plan en Afrique en matière de sécurité et c'est dû à la politique de Paul Kagame qui a une forme de vision. Il sait où il veut aller, il connait les faiblesses de son pays et il a tout fait pour exploiter certaines faiblesses aussi de la communauté internationale. Donc ils se sont créés une réputation d'une armée régulière et correcte qui aurait un comportement extrêmement éthique et tout ce qu'on veut, bénéficiant un peu de cette sympathie qui est issue des événements de 94, du génocide rwandais, il y a eu une volonté sur le plan international de soutenir le Rwanda. Ensuite, on a vu le président rwandais a envoyé son armée sur différents fronts, des fois sous l'égide de l'Union africaine au Soudan.


Il y a des pays où ils ont aussi des accords bilatéraux. En Centrafrique, il a pris des contacts avec des pays comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, enfin la plupart des pays en Afrique de l'Ouest et ailleurs, où ils offrent de participer à la sécurisation des palais présidentiels déjà, et puis pour d'autres besoins de sécurité. Et ça, c'est une politique constante, cohérente, qui fait que. Il a bien compris que pour certains régimes qui comme lui sont dirigés par des gens qui ne veulent pas d'alternance et ne veulent pas quitter le pouvoir de sitôt… l'urgence, c'est d'abord de protéger les pouvoirs et donc de protéger les tenants du pouvoir, les palais présidentiels, etc. Donc ça, cette demande est là. Ensuite, ils ont compris aussi au Rwanda qu'il fallait se faire des alliés, même parmi les anciens ennemis. Le meilleur exemple, c'est la France. C'était vraiment un état de quasi guerre jusqu'à l'arrivée de Macron et depuis le dégel on voit un rapprochement spectaculaire entre les deux pays. Et les entreprises françaises investissent massivement au Rwanda et par conséquent les accords sécuritaires sont de plus en plus poussés.

Quelle influence, justement le Rwanda a-t-il aujourd'hui dans la sous-région?

Le Rwanda a une politique extrêmement volontariste, du coup, a le soutien de pas mal de chefs d'États africains. La conséquence en est que son agression, qui est désormais documentée et avérée contre la RDC et qui perturbe particulièrement profondément toute la région de l'Est de la RDC. Il n'y a absolument aucune conséquence marquante pour le Rwanda dont l'ONU dénonce. On a même établi la liste des entreprises qui opèrent dans la région, qui exploitent les minerais et toutes les ressources naturelles, les différentes ressources naturelles en RDC et qui sont en lien avec le Rwanda. Il y a des listes, tout ça ne sert à rien. Et maintenant on a même un regain d'activité militaire du Rwanda sur le terrain là-bas. Et ses relations avec l'Ouganda semblent s'être à nouveau améliorées puisqu’ils se sont mis ensemble pour agresser et envahir la RDC et contre lesquels, semble-t-il, les autorités congolaises ne peuvent pas grand-chose parce qu'elles sont partiellement impliquées elles-mêmes dans des trafics illicites.

Peut-on dire aujourd’hui que le Rwanda est finalement un allié aussi incontournable qu’encombrant?

C'est une situation où le Rwanda apparaît comme en position de force. D'une part parce qu'il s'est fait des alliés sur le continent et ailleurs. Le Rwanda intervient comme le proxy de différentes firmes et de différents pays occidentaux dans la guerre. Maintenant, c'est une espèce de guerre pour la reconversion écologique. La transition écologique est maintenant le grand sujet. Les batteries électriques, les terres rares, tout ce que vous voulez et dont la RDC regorge. Et visiblement, toutes ces forces, toutes ces instances étrangères préfèrent s'adresser au Rwanda plutôt qu'aux propriétaires de principes qui sont les autorités en RDC. Non seulement c'est illégal, mais c'est connu, c'est documenté et ça n'a pas l'air de les gêner au plus fort des dénonciations justement des activités et de l'agression militaire rwandaise et de l'exploitation illicite du pillage de la RDC par le Rwanda, on a vu l'Union européenne conclure un contrat avec le Rwanda pour l'exploitation des chaînes de valeur concernant certaines ressources minières. C'est absolument ahurissant. Le Rwanda a bien analysé ce qui fait bouger les pays occidentaux leur cupidité, leur absence totale de principes quand il s'agit de leurs intérêts économiques. Le Rwanda fait partie d'un système qui s'est mis en place pour piller la RDC, c'est à dire à un moment donné, quand les images du Kivu et de toute cette zone deviennent insupportables, là se sentent obligés de sortir un communiqué qui condamne les attaques contre la souveraineté territoriale de la RDC. Mais ça reste sans suite, ça reste lettre morte. On a bien vu qu’aucune sanction sérieuse n'a été prise envers le Rwanda. Absolument aucune.

Le pays de Paul kagame représente-t-il un modèle pour les pays africains?

On réalise qu’entre 94 et maintenant, beaucoup a été fait quand même. C'était un pays qui a été détruit par la guerre, mais ils ont réussi à obtenir beaucoup d'aide et quand même à donner un visage assez avenant à la capitale du Rwanda, Kigali. Même s'il faut dire que le Rwanda vit de 40 % d'aides étrangères, en plus du pillage de la RDC. Ce n'est pas un modèle économique très sain. Mais beaucoup, beaucoup d'Africains admirent ce qui s'est passé là-bas parce qu’ils savent bien communiquer sur leur succès et aussi parce que beaucoup de chefs d'État africains ne les font pas du tout rêver par leur gestion. On a des scandales de détournements et de corruption qui s'alignent, se suivent jour après jour, et les pays sont dans des états souvent catastrophiques, où les coupures d'électricité sont de plus en plus fréquentes. Il y a egalement un veritable problème d'eau, d'infrastructures de base, de santé...

Paul Kagamé bénéficie d'une aura de bon chef d'état qui a redressé son pays. En tout cas, cette image est très forte parmi les Africains. Le Rwanda a participé à des missions de paix dans différentes régions en Afrique et ça rehausse le prestige tout en leur apportant beaucoup d'argent. Parce que ces missions de maintien de la paix sont des sources de revenus pour les États. Donc c'est un double bénéfice.

Peut-on parler d'un  «soft power rwandais»?

C'est un pays qui sait utiliser tous les symboles qu'il faut pour asseoir une réputation et monter une image positive. Ils ont par exemple choisi un tourisme de luxe. Contrairement à un tourisme de masse, ils ont fait des choix stratégiques intéressants et surtout, ils savent viser ce qui a une répercussion immédiate sur l'image. Par exemple le label «Visit Rwanda», ça leur a beaucoup plus rapporté que ce qu'ils ont payé. Le Rwanda est cependant dans un système où les citoyens n'ont pas leur mot à dire. Et c'est ce qu'on reproche à ce régime autoritaire, autocratique et assez criminel puisque on a vu récemment encore un reportage fait par différents journaux sur les opposants au régime qui sont assassinés à l'étranger, par exemple des éliminations organisées à l'étranger par le régime contre des dissidents …Imaginez sur place… le nombre de gens qui disparaissent, accidents de voiture maquillés avec des histoires derrière et des interrogations. C'est un régime qui a des aspects très sombres et qui, à mon avis, ne compense pas du tout le peu de développement économique qu'on peut voir. Parce qu'en fait le développement économique est normalement réalisé pour le bien de la population.

Comment se projette le Rwanda dans le futur?

Il faut être objectif et reconnaître que c'est un régime qui a de la vision. Leur projet, c'est d'asseoir leur emprise sur la RDC et de consolider le pillage qu'ils sont en train de faire. Parce que ça, c'est une source économique importante. Donc cela passera par différentes phases, mais également par la consolidation des alliances avec les pays de la région et de la sous-région. Il y a une diplomatie active du Rwanda vis à vis des pays africains. Kigali est toujours aux aguets, à l'affût d'idées qui peuvent renforcer à la fois l'image, le profil du régime et ses finances.

15 juillet 2024