Le difficile équilibre des prêtres et religieux actifs sur les réseaux sociaux
Vianney Groussin – Cité du Vatican
Quand on demande au père Gaspard Craplet pourquoi il a commencé ses catéchèses sur les réseaux sociaux, sa réponse est pour le moins étonnante: «moi je ne voulais pas me lancer sur les réseaux sociaux parce que je trouvais ça un peu narcissique, qu'on se filme soi-même, je trouvais que ça n'était pas très bien. Et puis je trouve que les jeunes, il ne faut pas trop qu'ils soient sur les réseaux, donc je me disais ’’c'est bien que je n'y sois pas’’». Pourtant, le prêtre de la Société Jean-Marie Vianney à Ars a fini par accepter la demande des jeunes qu’il accompagne lors de ses camps en montagne, et lui réclamaient des petites vidéos explicatives: «ils m'ont un peu obligé à en faire une ou deux. Et puis finalement, ils m'ont aidé à mettre des sous-titres, à les publier et je me suis pris au jeu».
Aujourd’hui, une petite équipe s’occupe de mettre en ligne ses vidéos, de telle sorte que lui puisse exercer tranquillement son ministère principal, au service des jeunes par les camps qu’il organise: «mon but ce n'est pas tellement de faire de la présence sur les réseaux, c'est de répondre aux questions des jeunes […] Au début, je pensais que je n'aurai rien à dire, ou en tout cas que j'aurai quelques idées et puis après que j'en aurai plus. Puis en fait, les jeunes ont tellement de questions que finalement je n'arrive pas à écouler toutes les vidéos que je voudrais mettre».
«Peut-être que Dieu le veut, c'est pour ça qu'il le fait marcher»
Le père Craplet, c’est près de 75 000 abonnés sur Instagram, et un peu plus sur Tik Tok, où ses vidéos font des centaines de milliers de vues. La recette de son succès? Encore un mystère pour le prêtre de 49 ans lui-même: «Il y a un expert qui m'a dit qu'il ne comprenait pas très bien pourquoi ça marchait, parce que c'est vrai que je ne change pas de format, c'est toujours la même chose et c'est toujours des questions de jeunes[…]. Je ne suis pas sûr que ça va continuer de marcher, je n'en sais rien moi. J'ai répondu à l'appel des jeunes de faire ça, alors peut-être que Dieu le veut, c'est pour ça qu'il le fait marcher… Mais c'est vrai que stratégiquement ce n'est pas très logique vu les moyens que je prends qui sont de zéro!».
Sur les comptes du père Craplet, on trouve des petites vidéos d’une minute montrent le prêtre dans un décor souvent montagneux, répondant à un jeune qui lui pose une question. Un format simple, authentique et sans fioritures: «effectivement je ne me suis pas pris la tête […]. Après, pour la forme, c’est chaque prêtre, chaque religieux, chaque laïc qui se lance qui fait suivant sa propre forme, ce qui permet une multitude de choses. Et c'est super, ça porte vraiment beaucoup de fruits» se réjouit-il.
Une religieuse TikTokeuse en Côte d’Ivoire
Sœur Marceline Ebia est religieuse de la communauté Mère du Divin Amour en Côte d’Ivoire, et a lancé son compte Tik Tok fin 2021. En plus de nourrir spirituellement 144 000 abonnés, elle est enseignant-chercheur à l’Université catholique d’Afrique de l’Ouest, et ne compte plus ses diplômes en philosophie, en gestion des conflits ou encore en médiation professionnelle. C’est après un appel du Pape à aller vers les périphéries qu’elle décide de s’engager sur les réseaux sociaux, façon pour elle d’aller rejoindre les gens là où ils sont. «Aujourd'hui, les réseaux sociaux, c'est un nouveau continent, le continent numérique, qui a besoin que des hommes de Dieu, que des hommes de foi annoncent l'Evangile», explique-t-elle.
Dans ses petites vidéos et ses lives, elle fait des «exhortations à partir de la Parole de Dieu», dans le but d’«encourager les gens à s’engager davantage avec le Christ». Maintenant qu’elle a trouvé son public, chrétiens comme non chrétiens lui réclament des vidéos:
«Je vois beaucoup de limites»
L’un comme l’autre, ils constatent des limites dans les réseaux sociaux, même si leur action porte des fruits évidents. Pour sœur Marceline, c’est la barrière que crée l’écran qui est problématique, puisqu’elle peut empêcher de vraies relations: «parfois ils demandent mon téléphone, je donne mon numéro de téléphone pour commencer une communication et puis ils s'arrêtent en pleine communication» raconte-t-elle. «Donc je vois que le virtuel c'est bien, mais ça ne crée pas de vrais de vrais liens en fait. Et même quand ils sont dans ma commune, je cherche à les rencontrer, et ils ne sont pas disponibles. Pourtant ils sont tout le temps connectés sur mes lives, sur mes vidéos… Mais une relation, une rencontre en présentiel, on sait qu'ils n'en ont pas envie en fait. Les gens se cachent un peu derrière les réseaux sociaux» regrette-t-elle.
Le père Craplet de son côté met en garde contre l’orgueil et la course à la popularité à laquelle incitent les réseaux sociaux: «c'est important de ne pas se prendre au jeu parce qu'il y a aussi un danger, un peu comme dans les paroisses ou autres, si on devient quelqu'un que les gens adorent, ce n'est pas très bon». Pour lui, l’exemple de Saint François de Sales est éloquent: «Il est arrivé à Paris et sa réputation l'avait précédé. Il n'y avait pas les photos à l'époque, donc les gens ne le connaissaient pas de visu. Et quand il a voulu entrer dans son église, pour faire une conférence, il ne pouvait pas rentrer tellement il y avait de monde, il a dû rentrer par un vitrail! Et là il s'est dit ’’ça ne va pas, on m'estime trop’’, donc il a fait une homélie nulle pour pas qu'on l'estime trop! Alors je ne fais pas ça moi, parce qu'il y a déjà des vidéos qui sont nulles de toute façon… mais c'est pour dire qu’il ne faut pas trop se prendre la tête».