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Les anneaux olympiques sur la tour Eiffel à Paris. Les anneaux olympiques sur la tour Eiffel à Paris.  (AFP or licensors)

La trêve olympique, un espoir de paix trop souvent déçu

La trêve olympique va de pair avec les Jeux ; elle remonte à l’antiquité et se veut une invitation à cesser les hostilités dans le monde entier pendant la durée des Jeux. Elle a été ouverte ce vendredi 19 juillet à Paris par une messe présidée en l’église de la Madeleine par l'archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich. Toutefois, ce concept est une «tradition inventée» et n’a malheureusement jamais eu d’effets concrets en faveur de la paix, comme l'explique Patrick Clastres, historien du sport.

Vianney Groussin – Cité du Vatican

Dans la préface écrite pour le livre “Jeux de paix. L'âme des Jeux Olympiques et Paralympiques” publié en italien par la Librairie éditrice du Vatican à l'initiative de l’Athletica Vaticana et édité par Vincenzo Parrinello, le Pape François a appelé à respecter cette année la trêve olympique: «J’espère que l'appel à la trêve émanant du langage populaire olympique commun, compréhensible par tous, sous toutes les latitudes, pourra être accepté». Trop souvent bafoué, le concept de trêve olympique est aujourd’hui instrumentalisé par ceux qui refusent d’y adhérer.

Une tradition antique remodelée

La trêve olympique a été introduite pour les Jeux de Barcelone en 1992, afin de proposer une pause dans la guerre en ex-Yougoslavie. «À cette époque-là, le CIO souhaitait que l'ensemble des pays du monde puissent se réunir aux Jeux de Barcelone en 1992, à ceci près que la Serbie et le Monténégro ne pouvaient pas y participer parce que l'ONU a interdit toute relation internationale avec ces deux pays, y compris en matière sportive», rappelle Patrick Clastres, historien du sport. Des tractations sont alors engagées par le président du CIO d’alors, Antonio Samaranch, qui va réussir à faire participer les athlètes concernés sous bannière neutre, sans drapeau ni hymne national.

«À l'issue de cet événement, le CIO a proposé de faire respecter une trêve, qui commencerait deux semaines en amont des Jeux et finirait deux semaines en aval des Jeux», poursuit l'historien. Concrètement, cette trêve induit l’arrêt des combats dans le monde entier, et se matérialise par une résolution de l’ONU.

«Bien évidemment, cette idée de trêve olympique est reprise d’une idée antique, mais qui n'avait rien à voir, qui était tout à fait différente, qui était l’ekecheria dans l'antiquité grecque». En effet à l’époque, «c'était une sorte de sauf-conduit qui permettait aux pèlerins de rejoindre le sanctuaire d'Olympie», explique Patrick Clastres, qui rappelle que les Jeux olympiques étaient avant tout religieux: «ce sauf-conduit concernait les pèlerins, donc les athlètes, puisque les athlètes étaient des pèlerins comme les autres, ils venaient rendre honneur aux dieux par la participation aux concours. C'était une manière de célébrer un culte en l'honneur de Zeus, mais pour autant, les combats ne s'arrêtaient pas en Grèce ancienne».

Un espoir de paix toujours déçu

«C'est un espoir qui s'est levé aussi avec cette idée olympique récente d'interrompre les conflits», ajoute Patrick Clastres, car la trêve olympique correspond assez bien aux valeurs des Jeux olympiques: «ça renvoie à l'idée originelle des Jeux olympiques telle qu’inventée par Pierre de Coubertin et ses collègues en 1894, à savoir que l'idée c'était de permettre, par l'affrontement athlétique, la paix internationale entre les nations du monde». Les Jeux olympiques sont une vraie respiration dans ce sens, puisque les questions politiques sont dépassées par les athlètes au cours d'une compétition saine.

Et si la trêve olympique en tant que suspension des combats pendant la durée des Jeux n’était pas explicitement présente chez les créateurs des olympiades modernes, «c'est la formalisation concrète de l'idéal émis par Coubertin à ses débuts». Pour Patrick Clastres, «c'est l'idée que l'on puisse avoir une efficacité en matière de paix internationale autrement que par les compétitions elles-mêmes, l'idée que l'on puisse arrêter pendant quelques semaines le temps de la guerre, qu'on puisse le mettre en suspens». D’autant que Pierre de Coubertin était justement issu des milieux pacifistes détaille le chercheur: «il est initié au pacifisme libéral dans le cadre du Congrès de la Paix de Paris de 1889, au moment du centenaire de la Révolution française, et il a fait introduire parmi les membres d'honneur du Congrès du rétablissement des Jeux en 1894, sept ou huit membres issus de ces Congrès de la paix, qui seront d'ailleurs des futurs prix Nobel. Il y a donc un lien très fort à l'origine entre le mouvement pacifiste libéral, qui n'est pas l'internationalisme des ouvriers, et la dynamique de la paix internationale par le sport, qui trouve son exemple dans les Jeux olympiques ressuscités».

Toutefois, l’espoir que représentait les Jeux olympiques et la trêve proposée n’a jamais été satisfait. «Force est de constater que ça n'a jamais vraiment fonctionné, qu'on ne connaît pas d'interruption de guerre parce qu'il y a les Jeux Olympiques. On peut le regretter mais si on considère la réalité actuelle, on s'achemine vers des Jeux de Paris avec la guerre qui continue probablement». Pire même, la trêve olympique est parfois instrumentalisée pour justifier des situations de guerres, regrette Patrick Clastres: «très souvent, la trêve olympique est utilisée par des États à des fins de communication et d'influence»

19 juillet 2024