«Le pèlerinage à pied, c’est l’image du pèlerinage terrestre»
Entretien réalisé par Jean-Benoît Harel – Cité du Vatican
Plus de 400 000 personnes par an prennent leurs chaussures de marche pour se rendre à Saint-Jacques de Compostelle, haut-lieu de pèlerinage pour les catholiques. Cet engouement pour les pèlerinages se retrouve aussi dans les nombreuses propositions de marche spirituelle dans de nombreux pays. Expérience millénaire, les chemins de pèlerinage sont aussi empruntés par des marcheurs qui n’estiment pas tous faire une démarche spirituelle.
Un constat qu’a fait Gaële de la Brosse, qui pèlerine depuis plus de 40 ans et a rédigé de nombreux livres sur le sujet. Toutefois, pour elle, si le randonneur comme le pèlerin portent les mêmes chaussures et trace la même route, elle témoigne de la singularité de la démarche de pèlerinage à pied.
Pourquoi pèlerinez-vous?
J'ai commencé à pèleriner à l'âge de seize ans, en 1982, avec un groupe de jeunes pour aller à Fatima. Et depuis, je me suis rendue dans de nombreux sanctuaires en France et en Europe. Car je ne suis pas une randonneuse, et ce qui me motive, c'est de pèleriner vers des sanctuaires.
C’est d'ailleurs l'essence du pèlerinage dans tous les dans toutes les langues, que ce soit en arabe, le hadj, c'est celui qui va vers, idem en tibétain, le kora c'est celui qui va vers. Donc le pèlerinage est très différent d'une randonnée. Pour l'un d'entre eux, la marche est une randonnée et pour l'autre, la marche est une démarche spirituelle.
Pourtant, de nombreuses personnes marchent sur les chemins de pèlerinage sans forcément que ce soit une démarche spirituelle…
Effectivement tous les pèlerins ne marchent pas pour des raisons spirituelles, notamment les pèlerins de Saint-Jacques. Il y a des sondages qui montrent qu'il y a 40% à peu près de pèlerins qui le font pour des raisons spirituelles.
Mais toutes les valeurs qui sont redécouvertes sur les chemins de pèlerinage, que ce soit la fraternité, la solidarité, l'effort, l'amitié, l'hospitalité… Ce sont des valeurs éminemment spirituelles. Et puis, on a l'habitude de dire que sur les chemins, on part randonneur et on arrive pèlerin. Enfin, je pense qu'il y a toujours de la spiritualité dans la marche sur les chemins de pèlerinage.
En quoi le pèlerinage à pied a-t-il selon vous un sens particulier?
Tout d'abord le mot pèlerinage vient du latin peregrinus, qui signifie «celui qui va au-delà de son champ», celui qui dépasse les limites de son pays et devient un étranger. Donc tous les moyens de locomotion peuvent être empruntés par des pèlerins.
Après, le fait de marcher permet de réapprendre à découvrir la lenteur et de se reconnecter à ses sens. L’ethnologue Leroi-Gourhan disait que l'homme commence par les pieds. Le fait de retrouver cette prise de terre nous aide aussi à retrouver la prise de ciel, si l'on peut dire, la prise céleste et de se reconnecter au bon réseau.
Tous les pèlerins le disent quand ils recommencent à marcher: la métamorphose commence par l'état physique, ensuite par l'état psychologique et enfin par l'état spirituel. Quand on marche, on arrive à une sorte d'état de grâce qu'on n'a pas dans la vie courante, où on court après les urgences.
La marche à pied implique des efforts physiques, parfois même de la souffrance. En quoi est-ce bénéfique?
Parce que ça nous apprend une certaine philosophie de la vie. Pour moi, le pèlerinage est à l'image du pèlerinage de la vie, et les souffrances comme les efforts font partie du pèlerinage comme de la vie. C'est en les dépassant et en les relativisant que l'on arrive à apprécier les bons moments.
Par exemple, les pèlerins de Saint-Jacques connaissent bien la montée à Roncevaux qui est difficile. Mais l’on sait qu'en arrivant en haut, on aura un superbe paysage et puis viendra la descente et enfin, un peu plus loin, l'arrivée à Compostelle.
Les ampoules, le sac à dos, etc., font vraiment partie du pèlerinage et ce sont des petites souffrances. Bien sûr, il ne faut pas chercher la souffrance doloriste. Mais ces épreuves font vraiment partie du pèlerinage comme elles font partie de notre vie.
Dans un pèlerinage, la marche est-elle un but ou un moyen?
Sur le chemin, ce qui importe, c'est de ne pas voir uniquement l'étape du jour, c'est de voir plus loin, de voir le but qui nous motive. Et le but c'est le sanctuaire, qui est, du moins au Moyen-Âge, l'image de la Jérusalem céleste.
Le sanctuaire c'est la métaphore du lieu qui dirige notre vie. Marcher vers le sanctuaire, c'est marcher vers un lieu qui donne sens à notre chemin. Ainsi, c'est parce qu'il y a un but que le chemin a du sens. C’est en pensant au lieu vers lequel on se dirige que l'on arrive à dépasser toutes ces épreuves, tout comme dans la vie, on arrive à dépasser ses maladies, ses souffrances, parce qu'on sait qu'il y a une vie après la mort et que le terme de notre vie terrestre est suivi d'une vie plus grande, la vie éternelle.
En quoi la marche peut aider à vivre une démarche spirituelle?
Edouard Cortès, pèlerin devant l'éternel et grand écrivain disait: «la marche est une prière». Car bien sûr, dans la marche, on peut confier à la fois sa propre vie mais aussi marcher pour d'autres. Il y en a beaucoup qui marchent, qui partent marcher un peu comme on le faisait au Moyen âge par procuration. De plus, le chapelet est une prière qui s'adapte très bien à la marche, qui peut aider à marcher.
Quand on marche, on traverse des beaux paysages, on est amené à contempler et à méditer, par exemple devant une belle église romane, ou devant les plaines étendues de Castille. Ça porte forcément à la contemplation, et ça touche tout le monde.