Mgr Rafic Nahra: «Il faut donner une raison de vivre» aux Palestiniens
Entretien réalisé par Jean-Charles Putzolu - Cité du Vatican
Les tensions en Terre-Sainte étaient au centre de l’échange que le Pape François a eu ce mercredi 28 août au matin avec les évêques latins des régions arabes, reçus peu avant l’audience générale. «Le Moyen-Orient connaît des moments de tension accrue qui, dans certains contextes, dégénèrent en affrontements ouverts et en éclats de guerre», a dit François, soulignant le risque d’extension du conflit qui oppose le Hamas à l’armée israélienne, depuis plus de 10 mois maintenant.
Une solution équitable est nécessaire si l’on veut éviter une guerre durable, a estimé le Pape, qui dénonce sans cesse les pertes de milliers de vies humaines, les immenses souffrances et la propagation de sentiments de haine et de ressentiment.
Tous les jours, les informations en provenance de Terre Sainte évoquent des nouvelles frappes, des nouveaux raids et des nouvelles destructions.
Présent à la rencontre avec le Pape François, Mgr Rafic Nahra, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem et vicaire patriarcal pour Israël, souligne l’inquiétude des populations et l’état de fatigue avancée des Palestiniens de la bande de Gaza et de Cisjordanie:
Mgr Rafic Nahra, depuis 10 mois maintenant, on assiste au plus long conflit de l’histoire d’Israël, quel est le sentiment des populations qui traversent autant de violence?
Il y a une grande fatigue de la part de tout le monde, de toute évidence. À Gaza, la situation humanitaire est indescriptible avec les destructions mais aussi les populations qui sont obligées de se déplacer régulièrement. Beaucoup de souffrances en Israël aussi, pour diverses raisons. Il y a les familles des otages bien sûr, qui vivent cela très difficilement, mais aussi les soldats eux-mêmes qui sont à Gaza, c'est quand même une guerre qui est extrêmement difficile. Ce sont des étudiants, des pères de famille… Donc c'est aussi pour eux une situation très difficile. Mais ce qui est particulièrement difficile, c'est le manque d'horizon.
La seule vision que l'on entend de la part de différentes autorités, c'est l'éradication du Hamas. Est-ce que c'est un objectif crédible, réalisable?
Non, tout simplement. Non pour la raison suivante: quand bien même les combattants du Hamas mourraient tous, la même réalité pourrait renaître sous un autre nom. Et puis tous ces enfants, tous ces jeunes qui passent une période extrêmement difficile, ont beaucoup de haine dans le cœur. En réalité, il faut donner une raison de vivre. Quand il n'y a pas de raison de vivre, quand ils sentent que tout ça, c'est une peine inutile, quand ils ont perdu leurs parents, leur famille, leur maison, avec le sentiment que ce n’est pour rien, on prépare un avenir obscur. C'est pour ça que si cette guerre n'aboutit pas à une solution réaliste qui prenne en considération les aspirations de tous, c'est peine perdue.
De plus en plus, la solution à deux États est mise en avant, solution prônée depuis très longtemps d'ailleurs par le Saint-Siège. Est-ce que cette solution à deux États commence à faire son chemin aussi en Israël?
Franchement, je ne sais pas quelle autre solution serait possible aujourd'hui, avec tout ce qui s'est passé. Il y a 5 millions de Palestiniens dans les territoires à Gaza et dans les territoires palestiniens, sans compter ceux qui sont en Israël. Mais que sont-ils? Quelle est leur identité? On ne peut pas continuer à laisser dans le flou la situation de ces personnes-là. Il faut bien qu'elles puissent vivre dignement, avec une autonomie aussi financière, leur structure, la liberté de se déplacer, de décider de leur propre sort. 5 millions, c'est un chiffre très élevé. Je ne vois pas quelle autre solution. Aujourd'hui aussi, vivre ensemble, dire qu'il y aura un État binational après tout ce qui s'est passé, avec l'immense méfiance qu'il y a désormais, après toutes les violences qui ont eu lieu depuis presqu'un an de guerre, comment peuvent-ils vivre ensemble dans un État binational? C'est pour cela que la solution qui apparaît seule plausible pour le moment, c'est une solution à deux États. Ensuite, pour les détails, il faut que les personnes concernées puissent le décider ensemble
Je suppose que, au bout d'un an de conflit, vous avez réfléchi, analysé cette guerre sous tous ses aspect. Quel est l'élément le plus révélateur de ce conflit?
Vous savez, une blessure ouverte et non traitée pendant des années ne fait que s'envenimer. Donc ne pas vouloir résoudre le problème, même s'il est si c'est coûteux, car il y a un prix à payer de la part des Israéliens et il y a un prix à payer de la part des Palestiniens, et si on ne trouve pas de solution, la blessure s'envenimera encore. Imaginez que, par je ne sais quel miracle, la violence s'arrête sans qu'on ait trouvé une solution pour les 5 millions de Palestiniens. Ce serait vivre dans le déni.