Recherche

Jour de fête  nationale au Mexique, 15 septembre 2024. Jour de fête nationale au Mexique, 15 septembre 2024.  (AFP or licensors)

Mexique: la réforme judiciaire controversée sur l'élection des juges promulguée

Au Mexique, douzième économie mondiale, la colère de la rue n'a pas empêché l'adoption du texte de la réforme judiciaire controversée, ce qui fait du pays le premier au monde à élire tous ses juges par un vote populaire. Cette législation a été promulguée dimanche 15 septembre, jour de fête nationale, par le président sortant du Mexique Andres Manuel Lopez Obrador. Décryptage avec David Recondo, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po.

Entretien réalisé par Augustine Asta – Cité du Vatican

Ce sont au total près de 7 000 fonctionnaires judiciaires -dont environ 1 600 juges fédéraux- qui vont ainsi être élus en 2025 et 2027. Cette réforme du pouvoir judiciaire réduit également le nombre de juges de la Cour suprême de onze à neuf, tandis que leur mandat passe de 15 à 12 ans.

Pour David Recondo, chercheur au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, avec l’adoption de cette loi controversée au Mexique c’est «l’État de droit qui est en danger». Entretien.

Que signifie dans les faits cette décision de réforme qui consiste à élire les juges au Mexique?

C'est une réforme du pouvoir judiciaire fédéral et le Mexique étant une fédération, chaque État a son propre système judiciaire. Et donc cette proposition, est un projet de réforme qu'a lancé le président sortant, Andrés Manuel López Obrador et son parti Morena, sur l'argument de niveaux de corruption importants dans l'ensemble de ce système fédéral de justice. On peut effectivement mettre ça aussi sur le compte d'un niveau d'impunité aussi énorme dans la poursuite des criminels, notamment de toutes les mafias et les cartels. Ils sont rarement jugés et souvent libérés après avoir été capturés.

C'est un peu cette impression généralisée d'une corruption et surtout aussi une dimension politique qui explique la réforme. Au sommet de la pyramide, la majorité des ministres de la Cour suprême ont été désignés par des prédécesseurs de Lopez Obrador dans leur rôle de contrôle constitutionnel. Ils ont bloqué énormément d'initiatives de réforme constitutionnelle du président.

Donc, on a effectivement un parti, une coalition, qui est hégémonique, qui est dominante. Au niveau législatif et dans les États fédérés. On retrouve un système de parti dominant d'une certaine façon, comme ça a été le cas entre les années 1930 et la fin des années 90. Ce parti dominant a pu chercher à intervenir systématiquement dans les décisions du pouvoir judiciaire. S'il arrive à contrôler ou à placer des candidats qui lui sont loyaux dans ces élections de juges et de magistrats à tous les niveaux, c'est un risque. Mais il faut aussi essayer de nuancer un peu, parce que les engagements de Claudia Sheinbaum, la présidente élue qui va entrer en fonction le 1ᵉʳ octobre, sont de chercher à approuver des lois pour mettre en place cette réforme.

Cette réforme signifie-t-elle essentiellement que ceux qui sont alignés avec le parti Morena seront les seuls à gagner? Morena contrôlera finalement toutes les institutions?

On en est qu'au niveau constitutionnel, donc c'est un niveau très général et il faut quand même arriver à faire en sorte que ce soit applicable au travers d'une loi. Et dans cette loi, certainement, ils vont pouvoir trouver un équilibre pour ne pas mettre littéralement à la rue tous les gens qui étaient déjà dans une carrière du pouvoir judiciaire. Il est probable que ces gens soient obligés de repasser par un certain nombre de filtres, de concours, d'examen, etc. Mais que les candidats aux postes de juges et de magistrats puissent être puisés aussi dans ce stock de personnes qui ont été déjà dans le pouvoir judiciaire. Ça fait des milliers de juges et de magistrats près de 6000 au total. On peut imaginer qu’il y aura peut-être une tentation de politisation, mais c'est difficile qu'un parti politique puisse contrôler absolument toutes ces élections.

C’est l’État de droit qui est potentiellement en danger, menacé dans la mesure où on est habitué quand même dans les systèmes de gouvernement républicain démocratique, à ce qu'il y ait une division des pouvoirs ou une séparation des pouvoirs. Donc, on a le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire. Les uns et les autres s'équilibrent d'une certaine façon. Ils ne sont pas complètement séparés. Il y a déjà une intervention, d'une certaine façon, du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif dans la désignation ou la nomination des ministres.

Quelles sont et seront les conséquences de cette réforme judiciaire? Cette réforme constitutionnelle va-t-elle contribuer aussi à affaiblir la 12e économie mondiale comme avertissent les investisseurs et des agences de notations?

Le risque, c'est toutefois qu'il y ait peut-être davantage d'intervention du parti du président de la majorité présidentielle dans la sélection ou la présélection des candidats aux postes de juges et de magistrats. Il pourrait y avoir une détérioration de l'État de droit, puisque les juges d'une certaine façon obéiraient à des intérêts politiques. C'est dans ce sens-là que le secteur privé, mais aussi les investisseurs et y compris le gouvernement des États-Unis, se sont prononcés de manière négative en disant que ça risquait de compromettre la sécurité juridique des investissements et que c'était donc un danger pour l'ensemble de l'économie.

L’élection des juges par un vote populaire peut-elle sonner tout de même le glas de la corruption?

En Bolivie par exemple, le vote est obligatoire, donc tout le monde doit effectivement voter. On a remarqué quand même une chose:  c’est que les gens ne connaissant pas les candidats. Ce n’est pas comme les élections conventionnelles législatives ou au gouvernement national. Ils sont obligés de voter, sinon il y a une sanction, des amendes, etc. Donc ils vont tous voter. Il y a des taux de participation énormes, mais en général, ils annulent les bulletins parce qu’ils ne savent pas, qui sont les candidats. C'est un précédent qui n’est pas très positif de ce point de vue-là pour la légitimité que le vote pourrait donner aux juges puisqu'ils sont finalement élus par très peu de gens dans l'électorat national.

Aux États-Unis, les juges sont élus, mais il y a des jurys populaires qui décident ou qui tranchent. Ce n’est pas tout à fait le même cas puisque là, dans le système mexicain, les juges ont le dernier mot dans la résolution des contentieux. Donc on peut effectivement s'attendre à ce que le fait d'être élu par un vote leur donne un supplément de popularité, de légitimité peut être.

C'est la gageure en fait du président et de son parti. C'est ça en fait la justification de cette réforme. Et est-ce que ça, du coup, a un impact sur la corruption? On risque d'avoir, c'est vrai, des gens qui seront placés non seulement par le parti de la majorité présidentielle, mais potentiellement par les mafias, par le grand banditisme, par les cartels, etc. S'il y a des campagnes électorales et que ces juges font campagnes, comme ça arrive par ailleurs dans des élections au niveau fédéral et au niveau des États, on pourrait très bien imaginer que les cartels, les mafias en général, veuillent d'une certaine façon placer leurs propres pions dans le pouvoir judiciaire. Donc là, il y aurait peut-être un risque. Ce n'est pas une formule magique, ça c'est sûr, pour arriver à éliminer la corruption dans le pouvoir judiciaire.

17 septembre 2024