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Chasuble pour archevêque créé par Jean-Charles de Castelbajac, en vue de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 8 décembre 2024. Chasuble pour archevêque créé par Jean-Charles de Castelbajac, en vue de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 8 décembre 2024.  

L’or et la lumière de Notre-Dame, signe d’une renaissance dans l’espérance

Grande dame de pierres et de lumières, la flamboyante Notre-Dame réenchantera bientôt le ciel de Paris, rayonnant de nouveau au firmament des cathédrales européennes. Sous la voûte gothique, le ballet des 700 prêtres célébrants présents lors de la réouverture sera chorégraphié par le créateur Jean-Charles de Castelbajac, appelé à dessiner vêtements et ornements liturgiques dans un esprit de «noble simplicité». Une éthique et une esthétique plus minimales, reliées à l'histoire de la cathédrale.

Entretien réalisé par Delphine Allaire - Cité du Vatican

À 50 jours du triduum de réouverture de l'emblématique édifice partiellement ravagé par les flammes il y a cinq ans, le pari de sa reconstruction n'a jamais été aussi prêt d'être tenu. Le calendrier des festivités est bouclé, les derniers détails affinés. Parmi eux figurent les vêtements et l'ornementation liturgique qui sublimeront la première messe de l’inauguration officielle, dimanche 8 décembre. Étoles, mitres et dalmatiques ont été croqués par l'iconique créateur de 74 ans, Jean-Charles de Castelbajac. Ces vêtements seront utilisés tout au long de la période inaugurale de la cathédrale, qui s’étendra jusqu’à la Pentecôte le 8 juin 2025, puis pour les fêtes les plus importantes ou les ordinations sacerdotales.

Sollicité par le diocèse parisien, l'artiste poète catholique a déjà réalisé les chasubles aériennes des JMJ de 1997 à Paris, et habillé saint Jean Paul II, dont il garde un souvenir ineffable. À un mois et demi de ce rendez-vous d'éternité comme il le dit, Jean-Charles de Castelbajac, illustre Gascon devenu enfant terrible de l'art pop, nous livre son expérience poétique du beau au service de la foi, touché et ému de prendre part à ce nouveau pan d'histoire qui s'ouvre pour Notre-Dame.

Comment décririez-vous vos créations pour Notre-Dame et quelle a été votre inspiration esthétique et spirituelle?

Ce qui m'a inspiré, c'est déjà sa renaissance. La force de la couleur des pierres, la caresse de la couleur sur ces pierres, l’or des éléments liturgiques sacrés. L'idée aussi de faire partie de l'Atelier Notre-Dame avec différents designers. J'ai donc voulu travailler autour du rayonnement de la Croix et j'ai dessiné une croix rayonnante. Cela a été ma première idée. Cette croix, je voulais qu'elle soit dédiée à la jeunesse, qu'elle soit comme la renaissance d'un signe fort. L'or me semblait être un élément essentiel dans la paramentique -ndlr, l'ensemble des vêtements, coiffes, tentures et ornements utilisés dans les liturgies- pour Notre-Dame. L'or amène la lumière. De l'or a jailli la couleur, d'une manière épique, joyeuse, fédératrice et lumineuse. Je voulais quelque chose à la fois de solennel et de fédérateur et, surtout, chargé d'espérance.

Vous aviez dessiné les chasubles des JMJ de Paris en 1997, dont celui du Pape Jean-Paul II. Quel supplément d'âme retirez-vous à créer pour Dieu?

Chacun de nous a sa manière de prier, a sa relation au Seigneur, à la foi, au mystère de la prière. Au fil de ma carrière, il y a toujours eu une sorte d'omniprésence de ma relation à Dieu puisque mes vêtements étaient en forme de croix. Je dessine aussi depuis 30 ans des milliers d'anges sur les murs de Paris. C'est aussi une manière de partager cette idée des anges messagers, d'une pensée empathique, d'une pensée de messager de transmission. Il y a ce souffle et ce lien à l'inspiration de la beauté de la Création. Je suis aussi, comme vous le savez, passionné de couleurs, mais je m'aperçois que ces couleurs m'ont été inspirées, à l'origine, par les vitraux. Le rouge, le bleu, le jaune, le vert. Il y a une sorte de discipline et d'économie des couleurs.

Quel regard cultuel, culturel, existentiel, portez-vous sur cette renaissance prochaine de Notre-Dame, passée des flammes à la résurrection?

Face au projet de Notre-Dame, il y a cette notion, non pas d'événement, mais d'éternité. Il y a cette notion d'accompagner par mon travail l'idée d'une Église qui va être dans la transmission, dans cette émotion que doivent capter les jeunes générations, «le peuple de demain». Je suis très attaché à la transmission et je suis très attaché à l'idée de participer à la marche de mon temps et de pouvoir, avec mon talent, donner des symboles d'espérance, des symboles, des signaux. Peut être que mon attachement pour les bannières, d'ailleurs il y en aura dans la paramentique, est aussi dû à cela. Ces étendards montrent le chemin.

Il reste peu de signaux dans notre société qui peuvent montrer l'exemple. L'Église est plus qu'un signal, c'est un symbole et un exemple. Notre-Dame est ce symbole universel, ce vaisseau amiral de l'Église de France qui, par sa légende, sa popularité et par l'affection qu'ont pour elle des millions de gens dans le monde, fait partie du cœur de chacun.

La cathédrale concentre un certain savoir-faire et l'excellence artisanale de l'homo faber. Comment y concourez-vous?

J'ai travaillé sur des détails, comme par exemple le geste des célébrants. La couleur va apparaître lorsqu'ils vont faire un geste. J'ai aussi utilisé un symbole qui m'est cher, très moderne malgré son âge: le chrisme mis sur les drapeaux de Constantin, (monogramme du Christ, formé de lettres grecques, ndlr). Ce chrisme incarne bien cette idée de rassemblement de l'Église, d’étoile qui montre un chemin. Le chrisme que j'ai travaillé de différentes couleurs va apparaître sur les vêtements, par exemple sur les dalmatiques, les chapes.

Il y a une sobriété, une simplicité dans le travail que j'ai fait, fabriqué par aussi les meilleurs artisans en France et qui s'inscrivent dans cette tradition séculaire du savoir-faire, de l'intelligence de la main, de cette tradition des artisans, des compagnons. Toute une convergence qui nous montre tous là, au chevet de Notre-Dame, prêts pour ce grand jour du 7, 8 et 9 décembre, afin de participer à la création d'éléments qui vont accentuer peut-être la manière d'interpeller aussi une autre génération, de plus en plus captée par des images profanes.

Les techniques que j'utilise, comme le drap de laine et sa tradition presque bénédictine, sont très contemporaines parce que je n'utilise pas des broderies dites traditionnelles, je fais des solarisation d'or, des flocages. Je voulais qu'il y ait cet ancrage dans l'histoire, mais qu'il y ait aussi cette dimension ultra moderne. Parce que telle est notre Église. Elle doit être porteuse de cet ancrage, de cette tradition, de cette pérennité, mais doit aussi montrer le chemin d'une prière contemporaine.

Comment concevez-vous le dialogue entre le sacré, le transcendant et l'art, la création, entre la foi et le beau?

J'aime cette idée d'Ateliers Notre-Dame. ces artistes qui soudain vont se remettre au travail pour l'art sacré. Le père Couturier disait qu'il préférait les artistes athées aux artistes qui avaient la foi, parce qu'ils étaient moins prisonniers du dogme. Moi, j'ai la chance que ma foi m'inspire.

Le Pape Jean-Paul II m'avait dit: "Vous avez utilisé la couleur comme ciment de la foi". Aujourd'hui, il faut utiliser l'art comme ciment de la foi. Il y a cette pierre angulaire d'une nouvelle création que Notre-Dame incarne divinement. J'aime les propos de Mgr Ulrich quand il dit que Notre-Dame est dédiée bien sûr à ceux qui ont la foi, mais aussi aux visiteurs. Nous sommes dans un moment important du réveil de l'art sacré.

“Nous sommes dans un moment important du réveil de l'art sacré.”

Quelle place laisser à l'élan, parfois mal accueilli, de la création contemporaine dans l'Église?

Lorsque j'ai travaillé pour les JMJ en 1997 et que j'ai eu l'audace d'utiliser l'arc en ciel, Mgr Lustiger m'a dit: "Il n'y a pas de copyright sur l'arc en ciel, utilisons l'arc en ciel". Il y a un artiste formidable que je retrouve dans ce travail pour Notre-Dame, Sylvain Dubuisson. Il est l'exemple même d'un artiste qui a cette aptitude à capter l'invisible, à capter le sacré, à capter le pouvoir du nombre par exemple, ou le pouvoir d'un reflet de couleur sur le sol. C'est ce qui est fascinant dans le travail de paramentique, comme dans le travail d'art liturgique: transformer le visible en invisible, et amener, par la création, à accompagner le visiteur, le participant, celui qui prie. Afin d'être en quelque sorte comme un miroir d'une autre dimension.

La religion catholique et ses thèmes inspirent beaucoup les créateurs de mode. On se souvient de cette exposition au MET de New York en 2018, à laquelle vous aviez participé. Empreintes de rites, de liturgie, de symboles, de quelle façon la trouvez-vous propice à la création artistique?

Nous avons vécu une décennie, si ce n'est deux décennies de tsunami, d'images désincarnées, d'images profanes, d'images créées pour provoquer ou un marché ou un désir de consommation, mais en fait des choses extrêmement fugaces, dénuées de sens ou d'authenticité.

On arrive à un moment charnière où il y a dans la jeune génération une quête de sens. Je le vois moi-même, puisque moi qui, après avoir été un créateur d'avant-garde, suis aujourd'hui presque un créateur "rétro futuriste". Je ressens comme un devoir de m'emparer d'éléments de l'histoire pour les électriser. Et je le vois très bien. Par exemple, j'étais jury au festival de Hyères pour le design et l'art. La plupart des projets sont inspirés par l'histoire ou par le sacré. Pourquoi? Parce que l'histoire et le sacré n'ont rien à vendre. En fait, ce n'est pas consommable, il ne peut pas y avoir de marketing. Donc il y a quelque chose. Cette dualité entre le visible et l'invisible est au cœur de la modernité.

Vous dessinez des milliers d'anges sur les murs des rues. Pourquoi?

J'avais une certaine timidité à dessiner. Le premier dessin qui m'est venu était un ange. Cette figure m'a toujours accompagnée depuis l'enfance. L'ange a cette dimension d'ami, de compagnon de route, de garde du corps et garde du cœur. Il parle à tous, quelles que soient les religions. Et j'ai pris cette habitude parce que j'aime la matière, j'aime les murs et j'aime les murs qui ont une histoire.

Très attaché à l'histoire des villes et à l'histoire des rues, dessiner des anges dans la rue m'a appris à vivre la lumière d'une autre manière, parce que je devais les dessiner rapidement, parce que c'était une relation aussi avec une matière qui était celle du mur, parce que je les dessine à la craie et que c'est quelque chose de minéral qui s'inscrit d'ailleurs parfois très longtemps dans la pierre.

Certains anges dessinés durent dix ou vingt ans. Certains portent des prénoms, dont certains m'ont été suggérés, des prénoms de gens qui parfois souffraient ou n'étaient plus là. D'autres portent spontanément un adjectif, un mot, un verbe, aimer, croire, passionner, vivre. Des choses très simples. Le temps a passé, et mystérieusement, la Société de géographie du boulevard Saint-Germain, autrefois dirigée par Chateaubriand, m'a commandé une œuvre. J'ai eu envie de faire un grand ange pérenne. Il mesure 17 mètres. Les Bâtiments de France l'ont aimé et l'ont accepté. Il surplombe désormais le 182, boulevard Saint-Germain, à côté de la cathédrale gréco-catholique ukrainienne de Paris. Il s'appelle Le Voyageur éternel.

Chasuble pour prêtre créé par Jean-Charles de Castelbajac
Chasuble pour prêtre créé par Jean-Charles de Castelbajac
17 octobre 2024