Trois ans après l’arrivée des talibans, les médias afghans toujours sous la censure
Vianney Gilliot – Cité du Vatican
Depuis leur prise de pouvoir en août 2021, les talibans ont opéré un virage autoritaire. Si les mesures tendant à restreindre les libertés individuelles se multiplient, en particulier pour les femmes, c’est la presse qui paye le prix fort des restrictions publiques depuis trois ans. À la mi-octobre, la nouvelle loi pour «la promotion de la vertu et la répression du vice» interdisant la diffusion d’image d’êtres vivants transforme tout travail journalistique en un labeur sur-réglementé.
Une loi autoritaire de plus
«Il s’agit de mettre en œuvre une loi qui reflète l’interprétation très stricte par les talibans de la loi islamique», décrit Célia Mercier en énumérant les objectifs de cette mesure: «empêcher la publication de contenu jugé contraire à la charia et empêcher l’utilisation abusive de magnétophones, radios et prises de photographies et de vidéos représentant des êtres vivants sur des ordinateurs ou des portables». Si l’objectif de cette loi est clair et contraignant, il reflète avant tout «l’interprétation très stricte par les talibans de la loi islamique», ajoute la journaliste. Les autorités talibanes ont précisé que cette loi serait mise en place progressivement.
Une répression de la presse toujours d’actualité
Cette mesure ne marque pas un retour en arrière. Au contraire, elle continue sur la tendance mise en œuvre par les autorités talibanes qui régissent le pays depuis trois ans. «Le retour au pouvoir des talibans en août 2021 a vraiment sonné le glas de la liberté de la presse en Afghanistan», précise la journaliste de «Reporters Sans Frontières». En décrivant que «les médias vivent dans un climat de peur» et que «le paysage médiatique est décimé», Célia Mercier précise que «deux tiers des 12.000 journalistes que comptait le pays ont cessé leur activité». Ce climat de peur se renforce lorsqu’il est question des femmes journalistes qui subissent toutes sortes de restrictions, «que ce soit du harcèlement, l’interdiction d’accès aux sources officielles, etc…». Le nombre de 140 journalistes agressés, a été donné par «Reporters Sans Frontières», «c’est une estimation basse parce que nous n’avons pas été alertés sur l’ensemble des cas», a ajouté Célia Mercier.
Cette contrainte apportée à la profession vient du fait que les autorités «veulent contrôler absolument leur image et ne souhaitent pas que la réalité assez catastrophique du pays soit montrée au monde extérieur», a souligné la journaliste spécialiste de l’Asie du Sud. Pour réaliser un tel dessein, les médias ont reçu, de la part du gouvernement, une liste de 60 personnalités approuvées par l’exécutif. C’est le signe non d’une censure de plus, mais d’un interventionnisme étatique latent. De l’autre côté, les forces gouvernementales sont aussi virulentes: «nous avons aussi entendu parler de cas de responsables talibans armés de Kalachnikov qui vont rendre visite aux rédactions pour menacer un journaliste dont le reportage a déplu».
Les journalistes en exil
Environ 50 médias en exil sont «retransmis en ligne ou par satellites pour certaines télévisions». Si leur fuite était la condition à la poursuite d’un exercice libre de leur profession, ils demeurent encore «largement dépendants de financement de donateurs pour leur survie». Le pouvoir taliban, pour les contrer, va réprimer les collaborateurs locaux de ces journalistes. La GDI, le service de renseignement du pouvoir afghan, «va vraiment procéder à des arrestations et des détentions accompagnées de tortures de ces collaborateurs de médias en exil».