Première prédication de Carême du père Cantalamessa
Adélaïde Patrignani – Cité du Vatican
Cette année, le cycle de prédications du temps de Carême proposé aux membres de la Curie romaine a pour thème «In te ipsum redi» - «Rentre en toi-même», phrase de saint Augustin issue de son traité De la vraie religion. Un thème choisi pour rester dans la continuité des méditations de l’Avent, qui s’articulaient autour du verset psalmique «Mon âme a soif du Dieu vivant» (ps 42,2).
Ce vendredi, le père Raniero Cantalamessa a offert une réflexion sur la pureté du cœur, condition pour «voir» Dieu. Après avoir brièvement évoqué la pureté dans le sens d’un «certain comportement dans la sphère de la sexualité, marqué par l’exigence de respecter la volonté du Créateur et la finalité intrinsèque de la sexualité elle-même» et opposé au «péché d’impureté», le père Cantalamessa a consacré son analyse à l’autre sens de l’expression «cœurs purs»: «la droiture des intentions, en pratique sur la vertu contraire à l’hypocrisie». S’appuyant sur les Évangiles et plusieurs philosophes, le prédicateur s’est proposé de «reconnaître la part d'hypocrisie, plus ou moins consciente, qu’il y a dans nos actions».
Qu’est-ce que l’hypocrisie?
Le mot hypocrisie venant d’un terme théâtral, il peut être défini par le fait «d’endosser un masque, de cesser d'être une personne pour devenir un personnage». «Le personnage n'est rien d'autre que la corruption de la personne. La personne est un visage, le personnage un masque. La personne est nudité radicale, le personnage est tout vêtement. La personne aime l’authenticité et ce qui est essentiel, le personnage vit de fiction et d’artifices. La personne obéit à ses propres convictions, le personnage obéit à un script. La personne est humble et légère, le personnage est lourd et encombrant», a expliqué le père Cantalamessa.
«Cette tendance innée de l'homme est fortement accrue par la culture actuelle dominée par l'image», a prévenu le prédicateur. Un autre danger réside dans «la multitude de rites que les personnes pieuses ont l’habitude d’accomplir et des prescriptions qu’elles se sont engagées à observer. S'ils ne sont pas accompagnés d'un effort continu pour y insérer une âme, par amour pour Dieu et pour le prochain, ces rites deviennent des coquilles vides». Et lorsque l’hypocrisie s’enracine sournoisement dans l’âme, «elle crée, autant dans le mariage que dans la vie consacrée, comme une “double vie”: l'une publique, claire, l'autre cachée ; et souvent une vie diurne, l'autre nocturne. C'est l'état spirituel le plus dangereux pour l'âme, d'où il devient très difficile de sortir, à moins que quelque chose n'intervienne de l'extérieur pour briser le mur à l'intérieur duquel on s’est enfermé».
Deux pratiques pour vaincre l’hypocrisie
L’hypocrisie est un comportement maintes fois dénoncé par Jésus dans l’Évangile, par exemple en saint Matthieu (Mt 6,2): «Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare: ceux-là ont reçu leur récompense», avertit Jésus dans un jugement qui «est comme une épée flamboyante», selon le père capucin.
Contrer sa propre tendance à l’hypocrisie est cependant possible, même si ce ne sera «jamais une victoire du premier coup». Le père Cantalamessa a évoqué deux moyens. D’abord, «la rectification de l’intention. On atteint la droiture d’intention par la rectification constante et quotidienne de notre intention. L'intention de la volonté - pas le sentiment naturel - est ce qui fait la différence aux yeux de Dieu». Ensuite, «cacher aussi le bien qu’on fait. Privilégier ces gestes cachés qu’aucun regard terrestre ne gâchera et qui conserveront tout leur parfum pour Dieu». Comme l’écrivait saint Jean de la Croix, «Dieu se complaît bien plus à de petites œuvres, faites dans le secret et la solitude, sans désir d’être vu, qu’à une multitude de grandes œuvres, faites avec le désir du regard des hommes» (Maxime 301). Un écho de l’Évangile, où Jésus recommande «Prie en secret… jeûne en secret, fais l'aumône en secret et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra» (cf. Mt 6, 4-18). «Voilà des délicatesses envers Dieu qui tonifient l’âme», a commenté le père Cantalamessa, conseillant aussi «de distinguer quand il est bon que les autres voient et quand il vaut mieux qu'ils ne voient pas».
La simplicité, chemin escarpé vers la pureté du cœur
Puis le père capucin a consacré une large partie de sa prédication à la vertu opposée à l’hypocrisie, que la parole de Dieu nous pousse «à cultiver»: la simplicité. «Le mot “simplicité” peut avoir - et a toujours - le sens négatif de crédulité, ingénuité, superficialité et imprudence. Jésus veille bien à exclure ce sens ; à la recommandation: “Soyez candides comme les colombes”, il fait suivre l'invitation à être “prudents comme des serpents”», a-t-il d’abord expliqué. Il s’est ensuite appuyé sur saint Paul pour encourager à «fouiller la maison intérieure, le cœur» et «se dépouiller de tout ce qui est vieux et corrompu pour devenir “une nouvelle pâte”» (cf 1Co 5, 7-8). «L’intention pure et simple rassemble les forces dispersées de l'âme, prépare l'esprit et l’unit à Dieu», a-t-il poursuivi. «Elle est le début, la fin et l'ornement de toutes les vertus. Tendant à Dieu seul et ne jugeant les choses que par rapport à lui, la simplicité rejette et éradique la dissimulation, l'hypocrisie et toute duplicité. Cette intention pure et droite est cet œil simple mentionné par Jésus dans l'Évangile, qui éclaire tout le corps, c’est-à-dire toute la vie et les actes de l’homme, et les garde immunes du péché».
Mais simplifier tout son être «est l’une des conquêtes les plus ardues et les plus belles du chemin spirituel. La simplicité est le propre de celui qui a été purifié par un vrai repentir, parce qu'il est le résultat d'un détachement total de soi et de l'amour désintéressé pour le Christ. On y parvient progressivement, sans être découragé par les chutes, mais avec la ferme détermination de chercher Dieu pour lui-même et non pour nous-mêmes».
En conclusion de sa méditation, le père Cantalamessa a cité le psaume 139 (138), conseillant «de le réciter lentement et à plusieurs reprises, comme si nous le lisions pour la première fois, ou plutôt comme si nous le composions nous-mêmes ou comme si nous étions les premiers à le prononcer. Si l'hypocrisie et la duplicité consistent à rechercher le regard des hommes plus que celui de Dieu, nous trouverons là le remède le plus efficace», a-t-il assuré.
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