Inculturation, deux évêques d'Amazonie témoignent
C’est le récit de Monseigneur Wilmar Santin, un carme vivant depuis neuf ans auprès des indigènes Munduruku, 11 000 âmes dans un diocèse de 175 000 km carré au sud-est de l’État du Para, au Brésil.
Dans la prélature d’Itaituba créée en 1988, l’Église est entrée en dialogue avec ce peuple autochtone dès 1910 lorsqu’un franciscain allemand intrigua les Munduruku en jouant de la flûte au bord de leur fleuve, «le début d’une amitié».
Depuis son arrivée en 2010, Monseigneur Wilmar Santin a renforcé la pastorale indigène. Il tâche d’accomplir le rêve du Pape François confié à l’un de ses proches, le cardinal Hummes, président du Repam : voir un prêtre autochtone dans chaque village indigène.
Mgr Santin a donc œuvré avec les moyens autorisés par l’Église : le diaconat permanent. En établissant son plan pastoral, il s’est rendu compte que la création de ministres de la Parole était prioritaire… Aussi, confie-t-il, parce que les visites des prêtres sont très espacées, en raison de leur nombre insuffisant, et que d’une visite à l’autre, à cause de l’humidité ou du passage de petites bêtes, il est difficile de protéger les hosties consacrées.
Création de ministres de la Parole indigènes
En deux ans, 48 ministres de la Parole dont 9 femmes, ont été institués, ; ils «célèbrent dans leur langue et annoncent la Parole». Mgr Santin se félicite que les Munduruku puissent désormais dire, à l’instar des peuples qui écoutèrent les disciples après la Pentecôte, «tous, nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu»(Actes 2,11). Le prélat d’Itaituba a également lancé «la formation de ministres du baptême et du mariage» parce que les Munduruku tiennent, explique-t-il, à baptiser leurs enfants et à recevoir une bénédiction de mariage à l’église.
Interrogé sur la présence des évangéliques et des pentecôtistes, il souligne qu’un dialogue serein a été instauré en 1963 avec des Suisses ayant ouvert une mission baptiste. Il souligne cependant l’arrivée récente, depuis cinq ans, de pasteurs pentecôtistes ayant, pour certains, des méthodes qualifiées par d’autres que lui d’«agressives». Ces derniers, lui a-t-on rapporté, auraient interdit aux indigènes de parler leur langue, qualifiée de «langue du diable», ou critiqué leurs peintures corporelles. Mgr Santin regrette enfin que dans des villages où se trouvent des catholiques et des évangéliques, règne un climat de division au sein de la communauté, avec l’impossibilité même de partager un café tous ensemble.
Il souligne un «double manquement de l’Église». Elle arrive souvent trop tard auprès des personnes qui la cherchent, et qui, en son absence, fréquentent les pentecôtistes. Par ailleurs, la structure de l’Église est «trop centralisée autour de la figure du prêtre» ce qui crée des lenteurs dans l’annonce de l’Évangile quand ces derniers ne sont pas assez nombreux. Il souhaite que l’Église soit «plus efficace».
Un diocèse oublié de l'État en Colombie
En Salle de presse du Saint-Siège, Mgr Medardo de Jesús Henao Del Río a également témoigné de sa mission auprès des 27 populations indigènes de son diocèse de 57 000 km carré pour 44 000 habitants au centre de la Colombie, une zone qui n’est accessible ni par la route, ni par voie d’eau, seulement par avion.
L’évêque titulaire de Case Mediane et vicaire apostolique de Mitú est revenu brièvement sur les massacres des indigènes par les caucheros, les exploitants de caoutchouc «massacrant ceux qui cherchaient à fuir». Il a évoqué les ravages causés également par les guérilleros et le narcotrafic.
«On est là avec des ONG pour défendre leurs droits», affirme Mgr Medardo de Jesús Henao Del Río. Il décrit un département à l’abandon, notamment dans le secteur médical. Récemment le récit d’une femme de son diocèse contrainte à s’auto-pratiquer une césarienne avant d’être sauvée in extremis ainsi que son enfant a fait la Une de la presse nationale mais, explique-t-il, des césariennes avec des couteaux de cuisine ne sont pas anecdotiques. «On essaie de former cette population», dit-il.
Il décrit enfin la manière dont les multinationales s’y prennent pour convaincre les peuples à consentir à l’arrivée de leurs exploitations. Voyant les populations sceptiques, ils offrent des cadeaux à leurs leaders et ne signalent pas les incidences critiques dues à leur arrivée. Mgr Medardo de Jesús Henao Del Río évoque des cas de malformations cérébrales des enfants parce que leurs mères ont bu de l’eau polluée lorsqu’elles étaient enceintes. L’Église défend le ‘bon vivir’, c’est-à-dire la possibilité pour eux de pécher des poissons sains, de vivre sur leur terre selon leurs traditions.
«Nous ne pouvons pas non plus tout sataniser»
Concernant l’inculturation, il explique avoir ordonné un diacre indigène «selon le rite romain et selon le rite indigène». «Je n’ai certainement pas ordonné un sorcier» mais dit être «entré dans le contexte de la cosmologie indigène». Il explique avoir célébré le rite de l’ordination du diacre jusqu’à ce qu’il lui remette l’Évangile. «Alors, les leaders indigènes ont posé une couronne sur la tête du diacre, le signe que l’homme acquiert de la sagesse au sein de la communauté et qu’il pourra la conduire», ajoute-t-il. Il précise qu’aucune prière n’a été récitée. Le diacre a été accueilli, la communauté a dansé autour de l’Évangile, «qui est la plus grande sagesse». La cérémonie d’ordination s’est conclue avec le geste de paix.
«Cela n’a pas été un grand mélange, explique le vicaire de Mitú, mais l’assimilation de certaines valeurs de la communauté indigènes cohérentes avec les valeurs chrétiennes. Bien sûr, nous ne pouvons pas sacraliser tout ce qui est indigène mais nous ne pouvons pas non plus tout sataniser».
Il suggère d’étudier leurs rites et le sens de leurs rites pour comprendre ceux qui sont «en communion avec le service de l’Eglise.» Il évoque notamment un rite célébré par les indigènes lorsqu’une communauté a des biens en abondance et qu’elle les partage avec une autre communauté. Ces biens sont déposés sur l’autel, les indigènes dansent tout autour. «Ces rites doivent s’associer à l’expérience chrétienne. Il ne s’agit pas d’assimilation mais de prendre chez eux ce qui se trouvent être des signes de la présence de Dieu », conclue-t-il.
Il précise qu’auparavant l’évangélisation se faisait en latin, maintenant en espagnol, et son diocèse essaie de traduire aujourd’hui les textes et les hymnes dans leur langue.
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