Le témoignage de Mgr Vizcarra, au Pérou auprès des Awajun et des Wampis
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Son diocèse couvre 33 000 km carré, partagés entre des terres de montagne et la forêt amazonienne où vivent deux communautés indigènes, les Awajun et les Wampis.
Ce jésuite, né à Lima en 1960, a été nommé par le Pape François, en 2014, dans ce vicariat placé sous le patronage de saint François-Xavier et animé par des jésuites depuis 1946. Il avait auparavant été envoyé en mission au Tchad pendant vingt ans. Il implanta dans cette région du Sahel le mouvement « Fe y Alegria » dédié notamment à l’éducation.
Nous l’avons interrogé sur la réalité de son diocèse quelques jours avant la fin du Synode. Il nous explique en quoi l’engagement social et pastoral est indissociable.
Mgr Vizcarra: Le Pape l’a très bien expliqué lors de sa visite à Puerto Maldonado lorsqu’il avait parlé aux communautés indigènes en disant que la défense du territoire, ce n’est que la défense de la vie, car tout peuple est lié à son territoire. Et ces peuples habitent là depuis des milliers d’années. La présence d’entreprises d’exploitation sous l’aval des politiques du gouvernement orientées vers l’extraction des ressources naturelles pour avoir des revenus économiques importants pour le développement du pays- c’est la perspective du gouvernent. Cela entraîne la destruction de l’Amazonie et de ces peuples qui y vivent. Cela entraîne un bouleversement dans la vie de cet ensemble : des peuples qui ont grandi pendant des milliers d’années dans l’Amazonie et qui a fait d’eux des connaisseurs qui ont développé tout un savoir-vivre dans ces biomes, qui leur permet de bien vivre là et de préserver la nature. Si on affecte le territoire, on affecte la vie de ces peuples aussi.
Est-il simple sur votre territoire de vivre conjointement ces deux engagements, social et pastoral ?
Non pas du tout, car on doit faire face à une manière de comprendre et de voir la forêt amazonienne qui est complètement à l’opposé de la perspective qui l’envisage comme une possibilité de revenus économiques importants au développement, tel que l’entend le gouvernement. Et cela a entraîné une situation très difficile dans ma région où je suis. Concrètement les Awajun et les Wampis, opposés à cette vision, ont développé en 2009 une manifestation très grande qui a mobilisé tous les peuples d’Amazonie du Pérou. Ils ont une prise de position très forte qui a provoqué un affrontement entre les forces de police et ce peuple, et le résultat a été un drame. 23 policiers sont morts et 10 civils indiens et paysans. C’est un problème qui reste non résolu aujourd’hui, la seule manière de trouver une solution a été d’initier quatre procès contre les indiens. Bien sûr, il faut trouver les responsables de ces meurtres, mais il faut avant tout savoir qui a dirigé cette action répressive qui a conduit à cette catastrophe dans le pays.
Quelle est la position de l’Eglise sur ce chemin ?
On ne va pas résoudre le problème en trouvant qui a jeté la pierre, qui a tiré. On pourra peut-être trouver un responsable de cela mais il y avait un affrontement entre deux manières de comprendre la présence en Amazonie, le développement si on l’on peut dire parce que pour les indiens, c’est un terme nouveau, pour eux c’est vivre, c’est respecter la vie en premier lieu. C’est deux « cosmovisions » se sont affrontées. Il y a besoin d’un dialogue, d’une compréhension et d’un changement de perspective.
Dans votre diocèse, comment est-ce que l’Église va au contact de ces populations indigènes ? Qu’en est-il de leur évangélisation ?
Il faut comprendre l’évangélisation dans un sens très large car la communauté catholique est minoritaire dans la région. Presque 70% de la population est pentecôtiste ou évangéliste et 30% est catholique. Mais nos actions sont ouvertes à tous. Il m’est arrivé même dans mes visites d’arriver dans une communauté évangélique qui me demandait d’ouvrir une église là, une communauté catholique. Je leur ai demandé : « Pourquoi ? Ici vous êtes tous Nazaréens. » Et on m’a répondu : « On a besoin d’un échange avec quelqu’un d’autre pour repense nos vies, à notre manière d’être ici et à des possibilités d’améliorer nos conditions de vie. »
Quelle est la soif de spiritualité des peuples autochtones ?
Je trouve que ces peuples ont une spiritualité propre, que j’aimerais connaître d’avantage. Leur approche au divin, à l’absolu, à l’éternel se fait à travers la nature. Ils parlent toujours d’un savoir des plantes, de la nature. Pour faire face à des problèmes dans leur vie ils ont besoin de ce qu’ils appellent une retraite : ils partent dans la forêt, seul ou en petit groupe, pour avoir un temps pour pouvoir voir, «avoir la vision» de ce qu’ils doivent faire. Cela se fait à travers, un processus de purification par la consommation de certaines plantes qui purifient de manière physiologique et aussi de l’intérieur et les aide à «avoir la vision».
On parle beaucoup d’inculturation, d’une Église au visage amazonien, qu’est ce qui se met en pratique dans votre diocèse ? Pratiquez-vous des rites indigènes – catholiques ?
Il y a eu des prêtres qui ont développé certaines « adaptations », bien que ce terme ne soit pas tout à fait approprié. Il y a eu certaines pratiques qui ne sont pas nécessairement des rituels mais qui ont une signification qui peut s’adapter, qui peut être un lieu de rencontre avec la célébration de certains sacrements. Pour tous les sacrements, ils ont essayé de voir comment ces éléments de leur culture correspondent à ce qu’on célèbre dans chacun des sacrements. Donc on utilise certains objets qui sont représentatifs pour eux. Cela a été travaillé, mais d’un autre coté il n’y a pas eu un changement fort dans le schéma rituel, de l’eucharistie par exemple. Mais il y a eu des traductions, faites au vicariat. Mais je crois que l’on ne l’a pas diffusé suffisamment encore pour pouvoir dire qu’il y a un chemin qui s’initie. Il y a un processus d’inculturation de la foi, dans la propre culture de ces indigènes.
Est-ce que vous n’avez pas l’impression que juste l’annonce du Kérygme ou un témoignage radical puissent aussi les toucher ?
Je vais vous raconter une manière de voir la présence missionnaire par les Awajun. Ils se représentent le missionnaire comme un vieux qui est arrivé chez eux et a mis sa maison au milieu de leur jardin. Ces missionnaires sont toujours avec eux, ils leur apportent beaucoup d’aide, surtout dans des moments très difficiles de leur vie, mais ils ne savent pas bien encore pourquoi ils sont là. Pourquoi ils sont à leur service.
On parle beaucoup des diocèses très vastes d’Amazonie, avec des populations dispersées et de l’urgence de trouver une manière de les accompagner, notamment pour leur donner l’eucharistie. Qu’est-ce qui existe, qu’est-ce que vous voulez créer ?
En ce qui concerne mon vicariat, je crois qu’on a besoin de communauté beaucoup plus constituée, avec une identité chrétienne beaucoup plus forte. Ceci est ma vision, mais pour eux, je ne suis pas sûr qu’ils aient le sentiment d’appartenir à une communauté chrétienne. J’ai besoin encore de comprendre quel est le sens d’appartenance à une communauté, quelle est leur organisation, pour pouvoir mieux développer le sens très profond de l’Eucharistie. Car l’eucharistie fait la communauté, c’est le don de la vie, ce don qui rassemble, c’est l’amour mené jusqu’au bout. En cela, il y a tellement de choses : réconciliation, justice, la lutte pour la vie. Il y a un chemin à faire dans la communauté et je ne précipiterais pas l’ordination d’hommes mariés.
On s’approche de la fin du synode, un document final va être présenté, le Pape va présenter une exhortation apostolique. Qu’est-ce que vous attendez du Pape François ?
J’attends que le Pape nous encourage encore à nous ouvrir, à ne pas avoir peur de rester toujours une Église ouverte, à être questionnée par la particularité de l’expérience de vie de ces peuples indigènes. Qu’avec eux, nous puissions faire les pas nécessaires pour rester fidèles à leur culture et que ces témoignages d’accompagnement puissent doucement consolider les communautés et voir quels sont les ministères qu’il faut faire dans chaque endroit. C’est ce chemin qu’il faut suivre. J’aimerais bien qu’après tout ce qu’il a écouté, le Pape encourage encore à continuer le chemin dans cette Église qui doit s’ouvrir, être une Église de la miséricorde, samaritaine, qui soit beaucoup plus présente auprès des peuples. Il a dit qu’il préfère une Église blessée parce qu’elle est dans la rue – dans notre cas, ce serait dans la forêt avec les gens – qu’être une Église qui se protège, haute-référentielle, et qui regarde quelles sont les doctrines qu’il faut maintenir. Il faut plutôt faire bouger tout cela, non pas balayer, mais que l’Église s’adapte, qu’elle devienne plus actuelle dans ce qu’elle est.
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